Les
dirigeants des pays membres de l’UE se sont rencontrés dimanche à Bruxelles
pour une discussion d’une journée consacrée à la crise, qui est en plein essor.
Alors que la crise a des conséquences catastrophiques pour l’Europe en général,
elle a touché de façon particulièrement dure les pays d’Europe centrale et de
l’Est.
La
réunion avait été prévue début février pour discuter les plans du président
français Nicolas Sarkozy de financer l’automobile française aux dépens des
nations d’Europe de l’Est. Entre-temps, une multitude d’autres problèmes
avaient été à l’ordre du jour, notamment l’effondrement potentiel des économies
d’un nombre d’Etats d’Europe de l’Est.
A
la fin de la journée de délibérations, les dirigeants de l’UE ont donné une
réponse collective à la crise en signalant leur refus du protectionnisme et du
nationalisme. Le premier ministre britannique, Gordon Brown, est allé jusqu’à
dire qu’un retour des Etats membres de l’UE à une politique protectionniste
mènerait à la ruine.
Dans
la pratique, les participants au sommet furent incapables de se mettre d’accord
sur une quelconque mesure concrète pour faire face à la crise de liquidité, à
l’effondrement tant redouté des banques européennes ou de s’accorder sur un
plan d’aide paneuropéen. Les nations européennes les plus performantes furent
incapables d’élaborer un programme commun pour le sauvetage de leur industrie
automobile respective. L’une des principales propositions soulevées au sommet,
un renflouement de plusieurs milliards d’euros pour l’Europe de l’Est, fut
platement rejetée par l’Allemagne et d’autres membres communautaires de premier
plan avec l’argument que des nations en mauvaise santé ne pouvaient être
traitées qu’au « cas par cas. »
Le
sommet de Bruxelles a été loué par un nombre de journaux, y compris le Süddeutsche
Zeitung qui a décrit l’événement en
disant que « les nations européennes réalisent l’unification juste au bon
moment. » En fait, rien n’est plus éloigné de la vérité. Aucun accord
substantiel n’a été conclu et, en coulisses, il était évident que les divisions
nationales au sein de l’UE, qui étaient devenues de plus en plus apparentes au
cours de ces derniers mois, sont à présent exacerbées au plus haut point et
proches de la rupture.
La
réunion de dimanche avait été précédée par une mise en garde du premier
ministre hongrois, Ferenc Gyurcsany : la crise financière mondiale créait
de nouvelles et dangereuses divisions au sein de l’Union européenne des 27.
Près de deux décennies après l’effondrement de l’Union soviétique et de ses
Etats satellites d’Europe centrale et de l’Est, Gyurcsany déclare :
« Nous ne devrions pas permettre qu’un nouveau rideau de fer ne divise
l’Europe en deux. »
Gyurcsany
a poursuivi en proposant que les pays les plus riches de l’UE contribuent à un
fonds communautaire spécial de 190 milliards d’euros afin de soutenir les
économies d’un certain nombre de pays d’Europe de l’Est menacés
d’insolvabilité. Signe de méfiance croissante entre les pays d’Europe de l’Est
et de l’Ouest, la Hongrie et les huit autres pays de la région, la Pologne, la
Slovaquie, la République Tchèque, la Bulgarie, la Roumanie et les trois Etats
baltes, se sont rencontrés séparément avant le sommet afin de discuter de leur
propre stratégie.
Le
fait que la proposition de Gyurcsany fut rejetée par un certain nombre de pays
comme la Pologne et la République tchèque est une indication de l’ampleur des
divisions qui existent au sein du bloc de l’Europe de l’Est. Dans un discours
tenu la semaine dernière devant le parlement polonais, le ministre polonais des
Finances, Jacek Rostowski, avait déjà dit aux députés que, pour faire face à la
crise économique grandissante du pays, le gouvernement « était en quête
d’une solution polonaise à un problème polonais. »
Finalement,
la proposition de Gyurcsany pour un fonds de renflouement de plusieurs
milliards d’euros fut catégoriquement rejetée par les gouvernements
occidentaux, Allemagne en tête.
L’Allemagne
et les Pays-Bas ont également repoussé une suggestion mise en avant lors du
sommet d’une adhésion rapide à la zone euro pour les pays d’Europe de l’Est qui
ont vu leurs monnaies dégringoler ces dernières semaines. Alors que l’Union
européenne compte 27 pays et constitue le plus vaste marché intérieur du monde,
seuls 16 pays sont membres de la zone euro et partagent la même monnaie.
Un
nombre de pays d’Europe de l’Est sont actuellement obligés de rembourser aux
banques occidentales (y compris de nombreuses banques allemandes et autrichiennes)
d’énormes dettes contractées en euros, alors que leur propre monnaie subit une
dévaluation rapide. Une adhésion rapide à la zone euro diminuerait de manière
substantielle les remboursements de ces pays aux banques occidentales.
La
chancelière allemande, Angela Merkel, a refusé de céder sur la question du plan
de sauvetage et de la demande d’adhésion à la zone euro. Elle a déclaré lors du
sommet : « Je ne peux pas dire que la situation est la même pour tous
les Etats d’Europe centrale et de l’Est », en ajoutant « On ne peut
pas comparer » la situation difficile de la Hongrie à celle des autres
pays. Elle fut soutenue en cela par le premier ministre néerlandais, Jan Peter
Balkenende, qui a également rejeté toute « édulcoration » des
critères d’adhésion à la zone euro.
Tout
en rejetant les appels d’aide des pays de l’Est, les dirigeants de la France et
de l’Allemagne ont clairement fait entendre au sommet qu’ils avaient leur
propre liste de revendications, d’abord et avant tout, l’augmentation du
financement communautaire pour le subventionnement des constructeurs automobile
français et allemands.
Nicolas
Sarkozy avait dernièrement brusqué ses voisins européens en liant son accord à
un plan de soutien au secteur automobile français à un engagement de Peugeot et
de Renault de ne pas transférer leur production à l’étranger, par exemple la
République Tchèque et la Slovaquie. Plus tard, il jeta de l’huile sur le feu
protectionniste en accordant à Peugeot Citroën et à Renault respectivement un
prêt de 3 milliards d’euros à la condition qu’ils ne ferment pas d’usines
automobile en France.
A
la question posée à Bruxelles, de savoir si ses mesures de soutien de
l’industrie automobile française étaient protectionnistes, Sarkozy a défendu sa
position en faisant référence à son collègue britannique Gordon Brown. Personne
n’a qualifié Brown de protectionniste lorsqu’il a pris une participation
majoritaire et le contrôle d’un certain nombre de banques britanniques, a dit
Sarkozy à la presse.
Quant
à la chancelière Merkel et son gouvernement, ils sont en quête de fonds
communautaires pour un éventuel sauvetage d’Opel, le constructeur automobile
allemand en difficulté. Merkel et Sarkozy ont tous deux qualifié les actuelles
directives communautaires en matière de subvention de trop restrictives et ont
qu’elles avaient besoin d’être réformées.
La crise en Europe de l’Est
Suite
au rejet de sa proposition, Ferenc Gyurcsany a, au terme du sommet de dimanche,
mis une fois de plus en garde qu’un refus d’accorder des plans d’aide plus
importants « pourrait résulter dans une contraction massive »
des économies de l’Est et à « des défauts de paiements de grande
envergure » qui affecteraient l’Europe en général. La conséquence,
poursuivit-il, serait des troubles politiques accrus et une pression
migratoire.
Alors
que les nations européennes influentes refusent d’accorder un plan de sauvetage
substantiel aux pays d’Europe de l’Est en difficulté, l’Allemagne, la France et
les autres pays communautaires sont parfaitement au courant de l’ampleur de la
crise que connaissent ces pays. Après tout, ils sont les principaux
investisseurs dans ces pays et, de plus, entretiennent d’importantes relations
commerciales avec eux.
Les
banques européennes ont investi en Europe de l’Est une somme évaluée à 1,6 billion
d’euros. Les investissements autrichiens à eux seuls totalisent 230 milliards
d’euros (70 pour cent du PIB du pays) et, fin septembre dernier, les banques
allemandes avaient effectué dans la région des investissements estimés à 170 milliards
d’euros.
Le
risque d’un effondrement des économies en Europe de l’Est précipitant une
réaction en chaîne de faillites dans l’ensemble du système bancaire européen
est très réel. Depuis le début de l’année, l’indice DAX allemand a perdu près
de 20 pour cent de sa valeur. Les pertes enregistrées sur les marchés boursiers
d’Europe de l’Est sont le double de ce chiffre. Le BET roumain a chuté cette
année de 38,5 pour cent et le WIG20 polonais de 31,2 pour cent. Et ce, en dépit
du fait que des nations individuelles, le Fonds monétaire international et la
Banque mondiale ainsi que des institutions financières européennes ont déjà
injecté des milliards dans les économies d’Europe de l’Est.
Selon
un analyste, les fonds déjà investis n’eurent qu’un effet limité. Il a conclu
en disant, « à ce rythme, il est difficile d’imaginer où finiront les
cours des actions d’ici fin 2009. Les mesures introduites jusque-là dans les
différents pays ne semblent pas avoir eu un quelconque effet
appréciable. »
Dans
ces conditions, les principaux pays d’Europe de l’Ouest confrontés aux
difficultés de leurs propres banques et grands groupes et les Etats hautement
endettés tels l’Irlande, la Grèce et l’Italie, ne sont pas très enclins à
investir de l’argent frais dans des économies malades en Europe centrale et
orientale. Merkel et Sarkozy sont prêts à intervenir et à sauver des économies
individuelles mais à la condition seulement de veiller à la sauvegarde de leurs
propres intérêts financiers et commerciaux tout en fixant les conditions de
remboursement des prêts. C’est ce qui se cache derrière la remarque de Merkel
de déterminer toute aide « au cas par cas. »
Le
prix à payer pour de tels prêts de la part des nations d’Europe de l’Ouest sera
inévitablement une accélération de la destruction des emplois, des salaires,
des services sociaux et des droits démocratiques qui a déjà suffisamment
affecté la population laborieuse d’Europe de l’Est. Tel est l’héritage
catastrophique laissé par l’économie de marché deux décennies après la restauration
capitaliste en Europe de l’Est.