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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La réintégration de la France dans l’OTAN

Par Alex Lantier
27 mars 2009

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Le 17 mars, l’Assemblée nationale française a voté par 329 voix contre 238 la confiance à la politique étrangère du président Nicolas Sarkozy et du premier ministre François Fillon. Ce vote incluait l’approbation du projet de Sarkozy d’un retour complet de la France dans le commandement militaire de l’OTAN. Cette décision annulera celle prise en 1966 par le président Charles De Gaulle de retirer les officiers français de plusieurs organes de commandement de l’OTAN.

Bien que cette réintégration ait un caractère plutôt symbolique, la France ayant toujours participé aux opérations de l’OTAN (elle a envoyé récemment encore des milliers d’hommes en Afghanistan et dans l’ex-Yougoslavie), il existe néanmoins un vaste débat public quant aux messages politiques forts accompagnant cette démarche. Ce retour, de par l’acceptation par la France d’une OTAN dominée par les Etats-Unis et sa participation sans restriction à son commandement, associe publiquement la politique française à celle de Washington.

Une partie considérable de la bourgeoisie française était opposée à cette mesure. Les intérêts stratégiques américains et français s’étaient affrontés dans le passé, en particulier en 2003 lorsque la France avait dénoncé aux Nations unies la guerre des Etats-Unis contre l’Irak. Tandis que les Américains restent populaires en France, le gouvernement américain et sa politique financière ne le sont pas : l’occupation américaine en Irak et en Afghanistan est très impopulaire et les Etats-Unis sont largement considérés comme l’épicentre de la criminalité financière qui a déclenché l’actuelle crise économique.

Le premier ministre François Fillon avait annoncé le 5 mars qu’il demanderait aux députés un vote de confiance le 17 mars sur la politique étrangère de Sarkozy. En d’autres termes, un vote à l’Assemblée nationale contre la politique étrangère de Sarkozy aurait causé la chute du gouvernement et provoqué de nouvelles élections. Compte tenu de l’impopularité du gouvernement droitier de Sarkozy, cela semble être en grande partie une mesure pour s’assurer que la majorité conservatrice UMP (Union pour un mouvement populaire) à l’Assemblée nationale se rallie à Sarkozy. Sans quoi, elle aurait couru le risque de ne pas être réélue.

Sarkozy, qui dès le début de sa présidence avait soutenu publiquement la réintégration dans l’OTAN, parle pour les parties de la bourgeoisie qui estiment que la crise économique et les problèmes grandissants de l’armée américaine représentent une menace telle à l’ordre mondial que la France se doit de maintenir une plus grande unité avec Washington dans le domaine de la politique.

Sarkozy avait officiellement annoncé son intention de rejoindre totalement le commandement intégré de l’OTAN le 11 mars, lors d’un discours à l’Ecole militaire à Paris. Faisant allusion à la ligne Maginot, que l’armée allemande avait contournée lors de la conquête de la France en 1940, Sarkozy a dit : « Que serait une politique de défense française isolée, repliée sur elle-même ? Une nouvelle ligne Maginot contre les défis du monde moderne. L’assurance de la défaite. »

Soulignant le fait que les Américains « sont venus nous sauver deux fois », il a dénoncé une politique qui consiste à ne plus passer d’accords avec les Etats-Unis comme de la « folie. » Remarquant que la position actuellement adoptée par la France n’était « pas comprise de nos alliés » en Europe, il a dit qu’au sein de l’OTAN, « la France doit codiriger plutôt que de subir. » Il a ajouté que les commentaires prétendant que le retour de la France à l’OTAN mettait en question son indépendance « insultent et choquent nos partenaires européens, nos alliés, en laissant entendre qu’ils ne sont pas indépendants. »

Sarkozy a repoussé les accusations selon lesquelles la France s’engagerait, par une réintégration de l’OTAN, dans une « guerre des civilisations » entre les Etats-Unis et le monde musulman. De telles préoccupations sont particulièrement importantes parce qu’un grand nombre des principales anciennes colonies françaises (l’Algérie, le Maroc, la Syrie, etc.) font partie du monde musulman et que la plus grande partie de sa population immigrée est formée par des travailleurs musulmans hyper exploités.

Il a crânement défendu le rôle joué par les membres de l’OTAN dans les guerres d’agression américaines en Yougoslavie, en Afghanistan et en Irak : « Quant à l’Alliance atlantique [autrement dit, l’OTAN], elle ne fait pas la ‘guerre des civilisations’. C’est l’OTAN qui a volé au secours des musulmans de Bosnie et du Kosovo, c’est une vérité, elle est historique, chacun peut la constater, contre l’agression de Milosevic. C’est l’OTAN qui défend le peuple afghan contre le retour des Taliban et d’Al Qaïda. » Contre toute évidence, malgré le fait que la guerre contre l’Irak ait été menée par les membres dirigeants de l’OTAN que sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie, Sarkozy affirma que la « guerre d’Irak n’a rien à voir avec l’OTAN. »

Depuis l’annonce par Sarkozy le 7 février que « le moment est venu » d’expliquer aux Français l’importance des liens entre la France et les Etats-Unis, un nombre de politiciens en vue du Parti socialiste (PS), dans la gauche bourgeoise et de l’UMP conservatrice, le parti de Sarkozy, ont critiqué sa politique. Le PS a réclamé et obtenu un débat parlementaire sur la question. Les anciens ministres socialistes de la Défense Paul Quilès et Jean-Pierre Chevènement ont écrit des éditoriaux mettant en garde que la réintégration pourrait être un piège pour la France en cas de conflit motivé par des intérêts américains plutôt que français.

Le 21 février, l’ancien premier ministre Alain Juppé (UMP) un associé du dernier président, Jacques Chirac, a écrit un éditorial dans Le Monde attaquant la politique de Sarkozy. Il avait remarqué l’absence fondamentale d’une politique européenne de Sécurité et de Défense et lança cet avertissement : « Conçue dans un contexte de confrontation entre les blocs, soviétique d’un côté, occidental de l’autre, elle [l’OTAN] doit aujourd’hui redéfinir sa raison d’être, ses missions, son territoire d’action. La vision qu’en a l’Amérique n’est pas forcément identique à celles des Européens, et notamment des Français. »

Ce qui sous-tend les divisions existant au sein de la bourgeoisie c’est la conscience que la politique vis-à-vis de l’OTAN telle qu’elle est pratiquée par Sarkozy rapprochera davantage la France des Etats-Unis et ce, malgré le fait qu’aucun des conflits politiques qui avaient motivé le retrait de l’OTAN par De Gaulle en 1966 n’ait été résolu. Les raisons de celui-ci étaient très complexes. Si l’explication qui en est généralement donnée est que De Gaulle considérait le commandement intégré de l’OTAN trop aligné sur les intérêts stratégiques américains, sa décision avait aussi été le produit de l’animosité entre De Gaulle et Washington et elle était liée à des préoccupations relevant de la politique intérieure française.

La décision de De Gaulle fut indubitablement influencée par des intérêts géopolitiques durables. Manifestement, c’était par crainte d’un éventuel changement de la politique américaine envers l’URSS en Europe qu’il voulait que la France développe une force indépendante de dissuasion nucléaire antisoviétique. De Gaulle espérait aussi qu’un arsenal nucléaire français donnerait du poids à l’argument que l’Allemagne n’avait pas besoin de force nucléaire propre et servirait à lier l’Allemagne plus étroitement à la France. De Gaulle redoutait également les conséquences de l’intervention militaire américaine à l’étranger, notamment au Vietnam, une ancienne colonie française ayant acquis son indépendance dans une guerre qui s’était achevée en 1954, à Dien Bien Phu, par une défaite humiliante pour la France.

Du reste, de Gaulle n’oublia jamais, ni personnellement ni politiquement, l’opposition déterminée de Washington à sa carrière politique pendant la Seconde guerre mondiale. A l’époque, il dirigeait la « France libre » et coordonnait la résistance bourgeoise contre l’occupation nazie en France tout en luttant pour que la bourgeoisie française restât capable  de sauvegarder un maximum d’indépendance vis-à-vis des alliés plus puissants Etats-Unis et Grande-Bretagne et de défendre les intérêts impérialistes français dans ses colonies d’Afrique et du Proche Orient. En cela, il s’était souvent trouvé en désaccord avec Washington.

Dès le début de l’occupation nazie, Washington avait préféré traiter avec les autorités collaboratrices françaises de Vichy. L’amiral David Leahy fut envoyé à Vichy en tant qu’ambassadeur américain en France au début de l941. Une décision prise en 1942 par les Américains et les Britanniques de nommer l’amiral Jean-François Darlan, un ancien dirigeant de Vichy, à la tête des colonies françaises d’Afrique du Nord, après leur invasion par les USA et l’Angleterre et la victoire de ceux-ci sur l’armée allemande, avait rendue De Gaulle furieux. Après l’assassinat de Darlan, les Etats-Unis obligèrent de Gaulle à négocier un accord avec le général Henri Giraud, un autre responsable militaire favorable à Vichy.

La « certaine idée de la France » que de Gaulle devait promouvoir après la Libération, le mythe d’un pays cultivé et humain et qui aurait résisté à la domination nazie jusque dans ses classes dirigeantes, dépendait d’une alliance avec la gauche bourgeoise et les staliniens français. Etant donné que l’écrasante majorité de la bourgeoisie française avait collaboré avec les nazis, De Gaulle s’était trouvé, malgré ses origines politiques conservatrices, obligé de s’associer à de nombreux politiciens bourgeois de gauche, y compris d’anciens ministres du Front populaire comme Pierre Mendès-France et Pierre Cot et le dirigeant de la résistance Jean Moulin.

Afin de faire face au défi révolutionnaire de la classe ouvrière à la Libération, De Gaulle dut compter sur le Parti communiste français (PCF). Il comprenait que la politique de ce dernier, soutenue à la fois par les membres droitiers de l’appareil du PCF et par la direction stalinienne du Kremlin, était dirigée avant tout contre la révolution prolétarienne et favorisait la restauration de l’Etat-nation français. Il devait écrire plus tard dans ses mémoires à propos du  PCF de cette époque, que ce dernier s’était, tout en renâclant, attelé à la tâche de faire advancer les ambitions nationales françaises et que sa tâche à lui avait été de tenir les rênes

Puisant dans son immense prestige en tant que plus grand parti de la Résistance et représentant politique d’une URSS ayant joué le rôle principal dans la défaite militaire de l’Allemagne nazie, le PCF avait conduit la classe ouvrière derrière de Gaulle et l’Etat bourgeois français. Le PCF avait incorporé dans l’armée française des combattants de la résistance aux idées socialistes, avait dissous les comités ouvriers qui avaient pris la direction des usines au moment de l’écroulement du régime nazi et collaboré au rétablissement du contrôle des anciens propriétaires d’usines. En contrepartie, De Gaulle et la bourgeoisie française toléraient une situation sociale dans laquelle le PCF jouait un rôle majeur au sein des syndicats et de la politique locale d’après-guerre en France.

De fortes tensions avaient existé entre les Etats-Unis et de Gaulle durant la période précédant le retrait de l’OTAN en 1966. Après le retour de De Gaulle au pouvoir en 1958 et durant la guerre d’indépendance algérienne contre la France, des rumeurs avaient persisté au sujet de l’implication de la CIA dans des complots contre De Gaulle, notamment dans le putsch des généraux pro-coloniaux de 1961. L’un des succès du retrait de 1966 de l’OTAN fut d’atténuer les conflits qui faisaient rage au sein de la bourgeoisie française elle-même ; comme le remarquait Le Monde dans un de ses récents articles, « d’où l’image, et aussi la réalité, d’une politique plus indépendante à l’égard des Etats-Unis faisant consensus à Paris. »

L’opposition bourgeoise qui s’est manifestée contre l’actuelle proposition de Sarkozy est liée à des craintes que la révocation de la décision de De Gaulle n’entraîne la réapparition de conflits diviseurs au sein de la bourgeoisie française au sujet des relations avec les Etats-Unis, et dont les conséquences intérieures seraient incertaines. Aucun des différends stratégiques majeurs existant entre la France et les Etats-Unis et qui avaient motivé de Gaulle, à savoir les relations avec la Russie, la constitution d’un pôle européen indépendant, la crainte d’ interventions militaires concurrentielles dans d’anciens pays coloniaux, n’ont été résolus.

La bourgeoisie française voit d’un œil plutôt réticent la politique menée tout récemment par les Etats-Unis dans l’ancien bloc communiste et notamment le fait que les Etats-Unis aient, en août dernier, encouragé le régime géorgien de Mikhail Saakashvili à attaquer l’armée russe en Ossétie du Sud. Tout comme la plupart des autres puissances européennes, la France est opposée aux projets américains de faire entrer la Géorgie et d’autres anciennes républiques soviétiques dans l’OTAN, ce qui l’aurait engagée l’année dernière dans une guerre contre la Russie en défense de Saakashvili. La mise en place d’un programme militaire européen indépendant, auquel Washington s’oppose sans bruit mais fortement, végète elle aussi. Des responsables français de la sécurité ont objecté que le retour de la France dans l’OTAN serait considéré comme une capitulation de la France à ce sujet.

Le fait de lier publiquement la France à la politique américaine dégonflera le mythe de cette « certaine idée de la France » auquel De Gaulle et ses successeurs ont recouru pour obscurcir la conscience de classe en France, dépeignant l’impérialisme français comme étant, d’une façon ou d’une autre, une puissance qualitativement différente, plus humaine. La bourgeoisie française risque à présent d’être considérée par l’opinion publique comme le lèche-botte de Washington, en raison notamment de la forte opposition populaire à la participation française à l’occupation américaine en Afghanistan.

Dans une interview publiée dans le magazine Marianne, le sociologue Emmanuel Todd a remarqué qu’en réintégrant l’OTAN au moment où les Etats-Unis s’embarquaient dans un projet de conquête du monde musulman, la France se « positionne dans une construction idéologique contre le monde musulman. Cette posture est d’ailleurs très cohérente avec le sarkozysme en politique intérieure… La recherche de bouc-émissaires, l’émergence d’une idéologie islamophobe et hostile aux enfants d’immigrés… ce n’est pas dans la nature de la France. Au final, les Français préfèrent toujours décapiter les nobles que les étrangers. »

Comme Todd le suggère, l’expression publique des conflits en politique intérieure liés au départ de l’OTAN sous De Gaulle pourrait se révéler être de nature hautement explosive. La France réintègre l’OTAN au moment où son élite politique présente des dispositions qu’on associe traditionnellement à l’extrême droite et que le départ de l’OTAN était censé dissimuler. Sarkozy a remporté les élections en raflant les voix néo-fascistes du Front National (FN) par une campagne sécuritaire et dont la rhétorique fut reprise par sa principale adversaire Ségolène Royal, du PS. Sarkozy fut aussi le premier président à publiquement accueillir le dirigeant du FN, Jean-Marie Le Pen, au palais présidentiel de l’Elysée.

Le meilleur résultat que cet épisode pourrait produire serait la réapparition d’une conscience de classe chez les travailleurs et les intellectuels, d’une approche de classe de l’Etat français, des enjeux de la politique étrangère et des crimes historiques de la bourgeoisie française.

(Article original paru le 19 mars 2009)


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