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Québec solidaire prône le nationalisme économique

Par Éric Marquis
7 mars 2009

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Dans le cadre d’une tournée provinciale, Amir Khadir, codirigeant et premier député élu de Québec solidaire (QS), était à Montréal le 15 février dernier pour présenter la réponse de son parti à la crise économique mondiale – une réponse axée sur le nationalisme économique.

Khadir a débuté son intervention en critiquant les plans de sauvetage mis de l’avant aux Etats-Unis et au Canada parce qu’ils visaient davantage à sauvegarder les intérêts des banques qu’à venir en aide aux gens ordinaires. Expliquant que cette attitude des gouvernements était la continuation de politiques « néolibérales » mises de l’avant depuis trois décennies, il a affirmé que la crise actuelle était le résultat de la « culture de cupidité et de vol » si répandue. Khadir a ensuite salué le « New Deal » adopté par le gouvernement démocrate américain de Roosevelt dans les années 30, ainsi que les autres mesures de stimulation de l’économie inspirées par l’économiste anglais John Maynard Keynes, qui auraient permis de préserver, selon lui, ce qu’il y a de mieux dans le capitalisme.

De tels propos visent à nier le caractère objectif de la crise qui ébranle aujourd’hui le capitalisme mondial et à semer l’illusion qu’elle peut être surmontée par des mesures palliatives à la Keynes. La cupidité et la fraude qui dominent dans les hautes sphères économiques sont, en fait, une manifestation de la crise, et non sa cause. Le tsunami qui ravage aujourd’hui l’économie mondiale est le produit inévitable – tout comme l’était la Grande Dépression de 1929 – d’une crise de l’accumulation du profit découlant des contradictions fondamentales du capitalisme : la contradiction entre le caractère social de la production et la propriété privée des moyens, et celle entre une économie mondialisée et des Etats-nations antagonistes.

Au début du vingtième siècle, les classes dirigeantes tentèrent de « résoudre » cette contradiction par la guerre, mais ne réussirent, avec le Traité de Versailles conclu à la fin de la Première Guerre mondiale, qu’à l’intensifier en entraînant une multiplication des barrières tarifaires et autres mesures protectionnistes. Face aux luttes ouvrières de masse des années 1930 aux Etats-Unis, Roosevelt faisait partie des éléments les plus conscients de l’élite dirigeante américaine qui étaient convaincus que la bourgeoisie devait faire des concessions pour empêcher l’émergence de mouvements révolutionnaires des travailleurs. Et cela était seulement possible dans la mesure où le capitalisme américain avait d’immenses ressources à sa disposition.

De plus, ces mesures d’inspiration keynésienne n’ont pas réussi à sortir l’économie mondiale de la Grande Dépression. Seule la destruction massive des forces productives, y compris la perte de millions de vies humaines, lors de la Deuxième Guerre mondiale, a permis au capitalisme de se restabiliser sur la base de la position dominante de l’économie américaine.

Cet enseignement clé de l’histoire a été passé sous silence par Khadir tandis qu’il lançait un appel, dirigé vers les sections supposément « progressistes » des classes dirigeantes, à un rejet du néo-libéralisme et un retour à Keynes. Mais l’adoption à partir des années 70 de l’idéologie néolibérale n’était pas un « choix » des élites dirigeantes, comme le présente Khadir. C’était plutôt leur réponse à l’échec des politiques keynésiennes à assurer une croissance économique continue et le maintien des taux de profit. Le tournant néolibéral n’est que l’expression idéologique des efforts désespérés de la classe dirigeante depuis trois bonnes décennies pour accroître la rentabilité du capital en éliminant toute entrave à la domination du marché et des intérêts privés sur l’économie et en lançant un assaut frontal sur les emplois, les salaires et le niveau de vie des travailleurs.

Aujourd’hui, devant une crise financière et économique qui a déjà provoqué la destruction de millions d’emplois à travers le monde et qui menace d’éradiquer des sections entières de l’économie, une crise qui nous ramène directement à la Grande Dépression de 1929 et aux contradictions fondamentales du système capitaliste, que propose QS dans son plan pour « sortir de la crise » ?

Le programme qu’a présenté brièvement Amir Khadir est un mélange de vagues engagements et de timides mesures qui laisseraient intactes la domination du capital et la propriété privée des moyens de production.  Le caractère nationaliste et petit-bourgeois de QS ressort clairement dans son engagement à soutenir « une agriculture verte, locale, biologique et du terroir afin de réduire notre dépendance à l’importation » et à favoriser l’achat « local ».

QS fait ici essentiellement la promotion du modèle « achetez chez nous », un des principaux outils idéologiques utilisés par la bureaucratie syndicale à travers le monde pour diviser les travailleurs sur une base nationale.

De plus, une bonne partie des propositions avancées par QS auraient très bien pu venir d’un parti traditionnel de la grande entreprise. QS propose par exemple une hausse immédiate du salaire minimum à 10,50 $ l’heure, ce qui est à peine plus que la hausse à 9,50 $ sur deux ans qu’a mise de l’avant le gouvernement libéral de Jean Charest. Khadir s’est même vanté lors de sa présentation que certaines de ces propositions (on pourrait penser à la timide demande d’un moratoire sur la hausse des tarifs dans les services publics) avaient déjà été suggérées par des partis de l’establishment (en l’occurrence le Parti québécois), voulant ainsi insister sur leur caractère réaliste et acceptable.

Lors de la période de questions, une personne dans la salle a demandé pourquoi on ne faisait pas référence dans le plan de crise à une augmentation des impôts pour les plus riches et les compagnies. La réponse évasive de Khadir fut d’affirmer que ce genre de mesures se retrouvait déjà dans le programme à plus long terme de Québec solidaire et que ce plan de sortie de crise était différent.

Dans un épisode particulièrement révélateur, un participant, dont l’intervention a été accueillie par les applaudissements de plusieurs personnes dans la salle, a soulevé la question de la nationalisation des banques en faisant référence au chroniqueur économique du New York Times et lauréat 2008 du prix Nobel d'économie, Paul Krugman.

Même si ce que propose Krugman n’est que la nationalisation temporaire de certaines grandes banques pour permettre aux gros actionnaires de piger dans les fonds de l’Etat, Khadir a refusé de soutenir cette mesure jugée trop « radicale », affirmant qu’un jeune parti avec un seul député au parlement de Québec n’était pas en mesure d’imposer un débat là-dessus. « Dans cette salle, nous savons beaucoup de choses. Mais la population n’est pas rendue là. » 

Khadir a ainsi démontré une fois de plus l’opportunisme de son parti, qui fait tout pour se faire accepter de l’élite dirigeante québécoise. En blâmant le soi-disant manque de préparation de la population pour des mesures allant au-delà du discours politique officiel, Québec solidaire ne fait qu’affirmer son propre manque de principes politiques.

Voir aussi : Le nouveau parti « de gauche » du Québec tend la main à l’establishment politique [14 février 2009]

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