Dans le cadre d’une tournée provinciale,
Amir Khadir, codirigeant et premier député élu de Québec solidaire (QS), était
à Montréal le 15 février dernier pour présenter la réponse de son parti à la
crise économique mondiale – une réponse axée sur le nationalisme économique.
Khadir a débuté son intervention en
critiquant les plans de sauvetage mis de l’avant aux Etats-Unis et au Canada
parce qu’ils visaient davantage à sauvegarder les intérêts des banques qu’à
venir en aide aux gens ordinaires. Expliquant que cette attitude des
gouvernements était la continuation de politiques « néolibérales »
mises de l’avant depuis trois décennies, il a affirmé que la crise actuelle était
le résultat de la « culture de cupidité et de vol » si répandue.
Khadir a ensuite salué le « New Deal » adopté par le gouvernement
démocrate américain de Roosevelt dans les années 30, ainsi que les autres
mesures de stimulation de l’économie inspirées par l’économiste anglais John
Maynard Keynes, qui auraient permis de préserver, selon lui, ce qu’il y a de
mieux dans le capitalisme.
De tels propos visent à
nier le caractère objectif de la crise qui ébranle aujourd’hui le capitalisme
mondial et à semer l’illusion qu’elle peut être surmontée par des mesures
palliatives à la Keynes. La cupidité et la fraude qui dominent dans les hautes
sphères économiques sont, en fait, une manifestation de la crise, et non sa
cause. Le tsunami qui ravage aujourd’hui l’économie
mondiale est le produit inévitable – tout comme l’était la Grande Dépression de
1929 – d’une crise de l’accumulation du profit découlant des contradictions
fondamentales du capitalisme : la contradiction entre le caractère social
de la production et la propriété privée des moyens, et celle entre une économie
mondialisée et des Etats-nations antagonistes.
Au début du vingtième siècle, les classes
dirigeantes tentèrent de « résoudre » cette contradiction par la
guerre, mais ne réussirent, avec le Traité de Versailles conclu à la fin de la
Première Guerre mondiale, qu’à l’intensifier en entraînant une multiplication
des barrières tarifaires et autres mesures protectionnistes. Face aux luttes
ouvrières de masse des années 1930 aux Etats-Unis, Roosevelt faisait partie des
éléments les plus conscients de l’élite dirigeante américaine qui étaient
convaincus que la bourgeoisie devait faire des concessions pour empêcher
l’émergence de mouvements révolutionnaires des travailleurs. Et cela était
seulement possible dans la mesure où le capitalisme américain avait d’immenses
ressources à sa disposition.
De plus, ces mesures d’inspiration
keynésienne n’ont pas réussi à sortir l’économie mondiale de la Grande
Dépression. Seule la destruction massive des forces productives, y compris la
perte de millions de vies humaines, lors de la Deuxième Guerre mondiale, a
permis au capitalisme de se restabiliser sur la base de la position dominante
de l’économie américaine.
Cet enseignement clé de l’histoire a été
passé sous silence par Khadir tandis qu’il lançait un appel, dirigé vers les
sections supposément « progressistes » des classes dirigeantes, à un
rejet du néo-libéralisme et un retour à Keynes. Mais l’adoption à partir des
années 70 de l’idéologie néolibérale n’était pas un « choix » des
élites dirigeantes, comme le présente Khadir. C’était plutôt leur réponse à
l’échec des politiques keynésiennes à assurer une croissance économique
continue et le maintien des taux de profit. Le tournant néolibéral n’est que
l’expression idéologique des efforts désespérés de la classe dirigeante depuis
trois bonnes décennies pour accroître la rentabilité du capital en éliminant
toute entrave à la domination du marché et des intérêts privés sur l’économie
et en lançant un assaut frontal sur les emplois, les salaires et le niveau de
vie des travailleurs.
Aujourd’hui, devant une crise financière et
économique qui a déjà provoqué la destruction de millions d’emplois à travers
le monde et qui menace d’éradiquer des sections entières de l’économie, une
crise qui nous ramène directement à la Grande Dépression de 1929 et aux
contradictions fondamentales du système capitaliste, que propose QS dans son
plan pour « sortir de la crise » ?
Le programme qu’a présenté brièvement Amir
Khadir est un mélange de vagues engagements et de timides mesures qui
laisseraient intactes la domination du capital et la propriété privée des
moyens de production. Le caractère nationaliste et petit-bourgeois de QS
ressort clairement dans son engagement à soutenir « une agriculture verte,
locale, biologique et du terroir afin de réduire notre dépendance à
l’importation » et à favoriser l’achat « local ».
QS fait ici essentiellement la promotion du
modèle « achetez chez nous », un des principaux outils idéologiques
utilisés par la bureaucratie syndicale à travers le monde pour diviser les
travailleurs sur une base nationale.
De plus, une bonne partie des propositions
avancées par QS auraient très bien pu venir d’un parti traditionnel de la
grande entreprise. QS propose par exemple une hausse immédiate du salaire
minimum à 10,50 $ l’heure, ce qui est à peine plus que la hausse à
9,50 $ sur deux ans qu’a mise de l’avant le gouvernement libéral de Jean
Charest. Khadir s’est même vanté lors de sa présentation que certaines de ces
propositions (on pourrait penser à la timide demande d’un moratoire sur la
hausse des tarifs dans les services publics) avaient déjà été suggérées par des
partis de l’establishment (en l’occurrence le Parti québécois), voulant ainsi
insister sur leur caractère réaliste et acceptable.
Lors de la période de questions, une
personne dans la salle a demandé pourquoi on ne faisait pas référence dans le
plan de crise à une augmentation des impôts pour les plus riches et les
compagnies. La réponse évasive de Khadir fut d’affirmer que ce genre de mesures
se retrouvait déjà dans le programme à plus long terme de Québec solidaire et
que ce plan de sortie de crise était différent.
Dans un épisode particulièrement
révélateur, un participant, dont l’intervention a été accueillie par les
applaudissements de plusieurs personnes dans la salle, a soulevé la question de
la nationalisation des banques en faisant référence au chroniqueur économique
du New York Times et lauréat 2008 du prix Nobel
d'économie, Paul Krugman.
Même si ce que propose Krugman n’est que la
nationalisation temporaire de certaines grandes banques pour permettre aux gros
actionnaires de piger dans les fonds de l’Etat, Khadir a refusé de soutenir
cette mesure jugée trop « radicale », affirmant qu’un jeune parti
avec un seul député au parlement de Québec n’était pas en mesure d’imposer un
débat là-dessus. « Dans cette salle, nous savons beaucoup de choses. Mais
la population n’est pas rendue là. »
Khadir a ainsi démontré une fois de plus
l’opportunisme de son parti, qui fait tout pour se faire accepter de l’élite
dirigeante québécoise. En blâmant le soi-disant manque de préparation de la
population pour des mesures allant au-delà du discours politique officiel,
Québec solidaire ne fait qu’affirmer son propre manque de principes politiques.