Le projet de l’assureur AIG d’accorder des
bonus de plusieurs millions de dollars aux génies de la finance responsables de
la faillite de l’entreprise est un « scandale », a déclaré lundi
Barack Obama. Le président américain a dit avoir ordonné à son secrétaire au
Trésor d’« employer tous les moyens légaux pour bloquer [les
primes]. » Il a affirmé que le gouvernement disposait d’un certain
« moyen de pression », c’est peu dire quand on sait qu’il détient à
présent 79,9 pour cent des parts d’AIG et qu’il a renfloué le géant de
l’assurance à hauteur de 180 milliards de dollars et plus.
La grosse colère feinte d’Obama contre les
bonus d’AIG a eu lieu un jour à peine après que ses conseillers économiques de
hauts rangs avaient insisté sur le fait que dans un « Etat de droit »
et compte tenu de la sainteté des contrats, rien ne pouvait être fait contre
ces primes, aussi « scandaleuses » soient-elles.
Lawrence Summers, le directeur du Conseil
économique national de la Maison-Blanche, a déclaré dans une interview
télévisée sur CBS, « La chose la plus facile serait de dire tout
simplement ‘faisons rouler ces têtes’ en violant les contrats. Mais vous devez
penser aux conséquences que représente une rupture des contrats pour l’ensemble
du système des lois. »
Par cette tournure de phrase invoquant la guillotine, Summers
a mis par mégarde le doigt sur un élément essentiel de la fureur suscitée par
les primes AIG. Tout comme la noblesse à l’époque de la Révolution française,
l’oligarchie financière américaine est une couche sociale totalement
parasitaire et dont la défense implacable de la richesse et des privilèges est
un obstacle fondamental à la satisfaction des besoins les plus élémentaires de
la société en général.
En réalité, les bonus d’AIG sont loin d’être une aberration.
Reuters avait rapporté lundi que le directeur général de Citigroup, Vikram
Pandit, avait engrangé 10,82 millions de dollars en compensation financière en
2008. Ce versement avait été effectué au moment où la banque avait reçu du
gouvernement américain une injection de capital de 45 milliards de dollars.
Kenneth Lewis, le patron de la Bank of America, a fait un peu
moins bien en empochant 9,96 millions de dollars au moment où sa banque
bénéficiait d’un plan de sauvetage de 45 milliards de dollars.
De plus, ces salaires et ces primes ne sont qu’une infime
partie de l’argent distribuée à l’élite financière.
Avec 20 000 personnes qui perdent leur emploi tous les
jours, l’essentiel du programme économique du gouvernement Obama, et qui est la
poursuite de la politique du gouvernement Bush avant lui, est un gigantesque
transfert de richesse des masses de la population laborieuse vers les coffres
des banques et des institutions financières en faillite de Wall Street. Les
soi-disant plans de sauvetage et autres mesures identiques ne correspondent à
rien d’autre qu’à une façade destinée à fournir une couverture politique pour
cette opération Robin des Bois en sens inverse.
Ceci a été une fois de plus clairement montré dimanche dernier
lorsqu’AIG avait publié une longue liste de bénéficiaires de versements faits
avec l’argent des contribuables. Le Wall Street Journal avait calculé
que « grosso modo deux-tiers » des quelques 180 milliards de dollars
d’aide gouvernementale reçue par AIG ont été transférés à leurs partenaires
commerciaux dont la plupart sont des banques et des entreprises
d’investissement. En tête de liste se trouvait Goldman Sachs avec 12,9
milliards de dollars. AIG avait principalement payé ces firmes avec 100 pour
cent d’investissements irresponsables sous forme de créances hypothécaires et
autres formes de créances titrisées, et qui sont à présent connues sous le nom
d’actifs toxiques, et qui rapporteraient dans le meilleur des cas cinq centimes
par dollar.
Ce n’est pas par hasard que le plan de sauvetage d’AIG a été
élaboré de concert par le secrétaire au Trésor de Bush, l’ancien président de
Goldman Sachs, Henry Paulson, et le secrétaire au Trésor d’Obama, Timothy
Geithner, ancien président de la Réserve fédérale de New York qui a joué le
rôle de complice de Paulson. Edward Liddy, PDG d’AIG nommé par le gouvernement
et qui avait pris la semaine dernière la défense des bonus, était, avant d’être
muté à AIG, au conseil d’administration de Goldman Sachs.
Fournissant un éclaircissement quant à la décision de faire
qu’Obama critique vivement AIG, le New York Times a publié lundi un
article disant que son gouvernement « est de plus en plus inquiet quant à
un retour de bâton populiste contre les banques et Wall Street, et qu’il
s’inquiète que la colère contre les institutions financières puissent
finalement aussi se diriger contre le Congrès et la Maison-Blanche en
compliquant éventuellement l’agenda du président Obama. »
Les responsables gouvernementaux et les médias qui sont à la
botte des grandes entreprises décrivent la colère populaire grandissante contre
AIG et le renflouement de Wall Street comme étant « populiste » dans
le but de la délégitimer, en la qualifiant d’arriérée et d’ignorante, et en
laissant entendre qu’elle pourrait perturber des mesures soi-disant nécessaires
à la reprise économique.
Mais quelles sont ces mesures ? L’une des mesures
initiées par le gouvernement Obama détournera au moins mille milliards de
dollars vers les banques de Wall Street par le biais d’un programme qui
encourage les fonds spéculatifs et les sociétés de financement par capitaux
propres à racheter les actifs toxiques des banques. Les fonds spéculatifs
recevront des prêts bon marché du gouvernement et seront protégés contre les
principales pertes. Le plan, comme toutes les autres mesures antérieures, a
pour but de privatiser les profits et de socialiser les pertes, en garantissant
que les intérêts des parasites financiers ne soient pas le moins du monde
touchés.
La crainte que l’indignation populaire contre les bonus d’AIG
puisse contrecarrer ce programme est tout à fait fondée parce que ceux-ci ne
forment qu’un tout avec le sauvetage de la riche oligarchie aux dépens du reste
de la population.
L’article du Times sur le « retour de bâton
d’AIG » conclut en faisant état de l’inquiétude ressentie par les membres
de l’équipe d’Obama, selon laquelle si le président démocrate « devait se
révéler être un défenseur des banques et de Wall Street, les gens pourraient
passer leur colère sur lui. »
Ce qu’ils redoutent c’est, qu’en dépit de toute la rhétorique
concernant « le changement » et « l’espoir », Obama sera
considéré de plus en plus pour ce qu’il est : un dirigeant au service du
capital financier qui est impliqué dans sa criminalité et sa fraude financière
et qui applique une politique de classe flagrante pour la défense de ses
intérêts.
Des millions de gens supportent le poids de la crise
économique par des suppressions d’emplois et par le fait que leur niveau de vie
et leurs droits démocratiques sont confrontés aux intérêts sociaux que le
gouvernement Obama représente réellement. C’est ce qui crée les conditions pour
une nouvelle période de luttes de classe et d’émergence d’un mouvement
socialiste de masse aux Etats-Unis.