General Motors et Chrysler ont fourni aux
gouvernements canadien et ontarien leurs plans de restructuration pour leurs
opérations canadiennes vendredi dernier. Ils ont présenté leurs stratégies
respectives pour revenir à la rentabilité par un assaut sans précédent sur les
emplois, les salaires, les pensions et les conditions de travail des
travailleurs.
Suivant les traces du gouvernement
américain sous George W. Bush et maintenant Barack Obama, le gouvernement
conservateur canadien rend toute aide aux fabricants de l’automobile
conditionnelle à des réductions de coûts de la main-d’œuvre au niveau des
usines opérant au sud des États-Unis. Cette attaque par l’Etat et l'employeur est
destinée à ramener une section de la classe ouvrière — historiquement associée
à des luttes syndicales militantes — à des conditions jamais vues depuis les
années 1930 et, conséquemment, de restructurer de façon permanente les
relations de classe.
Tout comme ils l’ont fait plus tôt cette
semaine lorsqu’ils ont fourni à Washington leurs plans de
« viabilité », GM et Chrysler ont affirmé que confrontant une crise
économique qui ne cesse de s'approfondir, ils ont besoin d’une aide gouvernementale
beaucoup plus importante.
En décembre, les fabricants de l'auto ont
demandé 4 milliards $ (CAN) en crédit du gouvernement fédéral
conservateur et du gouvernement libéral ontarien. Maintenant ils recherchent un
sauvetage de l’ordre de 10 milliards $.
Aucune des compagnies n’a mentionné des
chiffres spécifiques dans leurs rapports de vendredi dernier. Plutôt, ils
demandent une aide proportionnelle à l’argent qui leur a été accordé par
Washington. Ainsi, GM, qui a de 17 à 20 pour cent de sa capacité de production
canado-américaine au nord de la frontière, cherche à obtenir la même proportion
en fonds de sauvetage. Vu que GM a demandé 30 (US) du département du Trésor
américain, un montant proportionnel pour ses opérations canadiennes serait de
7,3 milliards $ (CAN). Chrysler réclame 25 pour cent de ses 9
milliards $ demandés à Washington ou 2,7 milliards $ (CAN).
Ford, qui a reçu des milliards de dollars
en crédit privé avant l’écroulement financier du système bancaire l’automne
dernier, a maintenu qu’il n’a pas besoin de fonds publics à ce point-ci pour
implanter son propre plan de restructuration massive. Mais, Ford insiste pour
bénéficier de toutes concessions qui seront faites à GM ou Chrysler. L’UAW et
les Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA) ont tous les deux accepté.
Après avoir demandé à grands cris des
versements de liquidités d’urgence en décembre dernier, GM Canada a décidé de
ne pas accepter l’offre initiale de 3 milliards $ du gouvernement fédéral
et ontarien, optant plutôt de réunir toutes ses demandes dans la nouvelle
demande de sauvetage élargie.
GM, qui employait 20 000 travailleurs
canadiens en 2005, a déclaré dans sa demande d’aide qu’elle s’attend à ce que
sa main-d’œuvre canadienne totalise 7000 employés en 2010. La compagnie a déjà
été la plus grande entreprise canadienne.
Bien qu’aucune nouvelle fermeture d’usines
n’ait été annoncée dans la proposition de GM de vendredi, 5500 travailleurs de
l’automobile seront rayés de la liste de paye de la compagnie au cours des 16
prochains mois. La compagnie poursuit jusqu’au bout la fermeture précédemment
annoncée de sa géante usine d’assemblage de camions à Oshawa ce printemps et de
son usine de transmissions à Windsor l’année prochaine.
Des milliers d’emplois de plus seront
perdus alors que GM fermera environ 250 concessionnaires à travers le Canada et
que des fournisseurs de pièces et d’autres services auxiliaires sabrent dans
leur main-d’œuvre en réaction à la réduction des activités nord-américaines de
GM.
Même si aucune usine ne fut spécifiquement
ciblée pour la fermeture dans la proposition de Chrysler, la compagnie a
désigné un « quart de travail de fabrication » en réserve en plus des
3000 licenciements et a déclaré que les congédiements seront
« intégrés » à travers ses opérations canadiennes et américaines.
Il est largement prévu que ce « quart
de travail de fabrication » provienne de l’usine Windsor minivan de
Chrysler. Si c’est le cas, 1200 travailleurs viendront grossir les rangs des
chômeurs à Windsor. Dans les derniers mois, les ventes des mini-fourgonnettes
ont chuté drastiquement. L’usine est la dernière des opérations à trois quarts
de travail de Chrysler en Amérique du Nord, mais ces trois quarts sont déjà en
train d’être rationalisés dans une réorganisation du travail sur deux quarts de
travail où un tiers de la main-d'œuvre ne travaille pas à tour de rôle.
Une petite usine de moulage de Chrysler qui
emploie 330 ouvriers dans l’ouest de Toronto a déjà été ciblée pour fermeture
en 2011 à moins qu’un acheteur ne soit trouvé.
Contrairement à GM, Chrysler a simplement
soumis à nouveau le plan échafaudé à Washington plus tôt dans la semaine
accompagné d’une lettre explicative de quatre pages provenant du PDG Reid
Bigland et destinée aux ministres des gouvernements ontarien et fédéral. Les
relations entre Chrysler et les responsables canadiens se sont dégradées à
propos d’une dispute fiscale qui implique plus de 1 milliard de dollars que
l’Agence du revenu du Canada (ARC) affirme que la compagnie lui doit en raison
de manipulations de longue date de ses frais de transport. En septembre
dernier, l’ARC a déposé un droit de rétention de 500 millions $ contre
l’usine d’assemblage de Chrysler à Brampton.
En raison de l’échec de Chrysler à produire
un rapport spécifique pour ses plans canadiens de restructuration, un crédit de
relais de 1 milliard $ qui lui était dû dans le plan de sauvetage de
décembre pourrait être reporté. Un porte-parole du ministre du développement
économique de l’Ontario, Michael Bryant, a déclaré : « Le ministre
reporte sa décision pour le moment, en attendant d’autres négociations avec la
compagnie. »
Si Chrysler a choisi de ne pas fournir plus
de détails, c’est possiblement parce qu’il veut que GM assume le rôle de
premier plan à ce stade-ci des négociations. Les propositions de GM destinées à
Washington suggèrent des coupes encore plus grandes que celles proposées par
Chrysler dans sa proposition.
Les deux compagnies ont maintenant jusqu’au
31 mars pour travailler avec les bureaucraties de l’UAW et des TCA pour obtenir
des concessions massives des travailleurs de l’automobile.
Le délai dans les véritables annonces des
fermetures d’usines et la fenêtre de six semaines pour conclure les
négociations avec les syndicats sont utilisés pour s’assurer que les compagnies
disposent d'assez de temps pour monter les travailleurs des différentes usines
et des différents pays les uns contre les autres. Les programmes de
nationalisme économique des bureaucraties syndicales du Canada, des Etats-Unis
et internationalement correspondent aux intérêts prédateurs des dirigeants de
l’industrie de l’automobile.
Dans une conférence de presse vendredi
dernier, le président des Travailleurs canadiens de l’automobile, Ken Lewenza,
a annoncé que le syndicat « fera partie de toutes solutions », c’est-à-dire
qu’il est dédié à assurer la survie des compagnies de l’automobile en les
rendant plus attrayantes pour le capital. Il s’est vanté que les TCA ont déjà
renoncé à 900 millions $ en épargne pour les travailleurs aux Trois Grands
de Détroit lors de négociations de convention collective l’an dernier. Parlant
comme un membre du conseil d’administration d’une des compagnies, Lewenza a
déclaré que peu importe les concessions négociées par l’UAW, les TCA fourniront
aux fabricants de l’automobile du Canada un avantage compétitif. Cela atteindra
et dépassera toutes les économies sur le coût de la main-d’œuvre offertes par
l’UAW sous la forme de coupures de salaires et d'avantages sociaux et
d’accélération du rythme de travail.
Les travailleurs doivent prendre garde.
Dans les trois dernières semaines, la United Auto Workers aux Etats-Unis a
conclu une entente de principe pour modifier sa convention collective de 2007
qui couvrait 133 000 travailleurs chez GM, Chrysler et Ford. Selon des
fuites dans les médias, l’entente comprend un gel de salaire jusqu’à septembre
2011 — éliminant l’ajustement au coût de la vie et les bonus en montants
forfaitaires en 2009 et 2010 qui pouvaient atteindre 3295 $ — ainsi que
des réductions dans le nombre de postes de métier qualifié et mieux payés et
les heures supplémentaires.
L'UAW a aussi accepté la destruction d'un
programme vieux de 25 années qui fournissait un revenu d'appoint aux
travailleurs congédiés, ainsi que la réduction du régime d'assurance-emploi
bonifié, un plan gagné par l'UAW en 1955 qui garantissait aux ouvriers mis à
pied pratiquement l'équivalent de leur salaire net. Le syndicat collabore aussi
avec les compagnies en incitant, par des rachats de parts et des retraites
anticipées, les travailleurs vétérans mieux payés à quitter.
Sous les conditions de l'entente de 2007,
les compagnies peuvent embaucher de nouveaux travailleurs à 14 $ l'heure
plutôt que 28 $ l'heure. Les patrons de l'industrie ont louangé l'UAW pour
avoir presque éliminé l'écart dans les coûts de la main-d'oeuvre avec les
ouvriers non syndiqués des usines américaines de Toyota, Nissan et Honda.
L'égalisation vers le bas des salaires est
exigée par le plan de sauvetage du gouvernement. Comme toutes les autres
concessions faites par le syndicat UAW, les nouvelles coupures ne protégeront
d'aucune façon les emplois. Depuis le début de ces concessions lors du
sauvetage de Chrysler en 1980, plus de 700 000 travailleurs de l'UAW ont
perdu leur emploi.
L'industrie s'attend à ce que Lewenza imite
l'UAW et accepte d'éliminer les Supplementary Unemployment Benefits (SUB), qui
viennent bonifier temporairement les paiements d'assurance-emploi des ouvriers
congédiés. Les bonus et les montants forfaitaires négociés dans les concessions
de 2008 sont aussi menacés, tout comme ce qui reste des clauses d'ajustement au
coût de la vie.
On va demander au syndicat d’augmenter
encore plus la productivité de ses membres en accélérant la cadence et en
interprétant les griefs en faveur du patronat. Des gels directs de salaire sont
aussi envisagés.
Les compagnies tentent aussi de réduire
leurs anciennes obligations contractuelles, celles liées aux régimes de
retraite et de santé. Certaines formulations dans le contrat de 2008 des TCA
avec GM ouvraient déjà la porte à cette possibilité. Lewenza a récemment reçu
l'appui des membres du conseil de direction et des représentants d'usines
pour « discuter d'autres mécanismes de financement » consistant entre
autres à se décharger des responsabilités de la compagnie quant aux régimes de retraite
et de santé sur le dos des travailleurs, des retraités et du gouvernement.
Les travailleurs de l'auto au Canada
doivent s'opposer aux plans de la direction des TCA d'abandonner des droits
obtenus par des décennies de lutte. Ils doivent s'allier aux travailleurs de
l'auto aux Etats-Unis et internationalement afin de s'opposer à toutes les
mises à pied, fermetures d'usines et concessions.
La crise dans l'industrie de l'automobile
est une expression de l'effondrement de tout le système de profit. Il est
impossible de renverser cette catastrophe, et ses conséquences sociales
dévastatrices, sans la restructuration fondamentale de l'économie canadienne et
mondiale sur les principes socialistes de la propriété sociale et du contrôle
démocratique des principaux leviers de la vie économique, dont la grande
industrie et les banques.
La classe ouvrière n'est pas responsable de
cette crise. Les travailleurs de l'auto n'ont absolument aucun contrôle sur les
décisions financières, d'investissements et de production prises par les
entreprises pour lesquelles ils travaillent. Au contraire, la cause
fondamentale de la crise est la propriété privée de l'industrie automobile et
des moyens de production en entier, la subordination des besoins sociaux au
profit et la dictature économique exercée par l'élite patronale et financière.
Son incompétence, sa cupidité et cette pulsion effrénée visant à faire
augmenter la valeur de ses actions ont joué un rôle majeur dans l'effondrement
de l'industrie automobile et de toute l'économie. Elle se tourne maintenant
vers les travailleurs, les accuse d'être responsables de la crise et exige
qu'ils s'acquittent des coûts par la destruction de leurs emplois, de leurs
salaires et de leurs régimes de retraite et de santé.
Pour résoudre la crise de l'industrie
automobile, sur une base progressiste et en défendant les intérêts des
travailleurs, il est essentiel de lutter pour la nationalisation de l'industrie
et sa transformation en entité sous le contrôle social de la classe ouvrière.
L'industrie automobile en Amérique du Nord devrait ensuite être incorporée dans
une industrie mondiale de l'auto basée sur un programme socialiste de
planification rationnelle et de contrôle démocratique.
(Article original anglais paru le 25
février 2009)