Lundi, on a mis un terme au spectacle électoral qui durait depuis deux
mois et demi en Afghanistan lorsque le président sortant du régime fantoche
des Etats-Unis à Kaboul, Hamid Karzaï, fut déclaré vainqueur.
Le Comité électoral indépendant, un organe rempli de partisans de Karzaï,
a rendu une décision accordant à ce dernier un autre mandat de cinq ans et
annulant le deuxième tour qui était prévu pour le 7 novembre.
La décision fut prise un jour après que le principal rival et ancien
ministre des Affaires étrangères de Hamid Karzaï, Abdoullah Abdoullah, s’est
retiré de l’élection de second tour.
Abdoullah avait exigé que soient renvoyés les loyalistes de Karzaï sur le
comité électoral, qui étaient profondément impliqués dans la fraude massive
du premier vote tenu le 20 août, avant le deuxième tour. Karzaï a refusé.
Une commission électorale de surveillance formée par les Nations Unies
avait découvert qu’un million de bulletins de vote supposément en faveur de
Karzaï (un tiers du total de ses votes) avaient été truqués. On a aussi jugé
que quelque 300.000 votes pour Abdoullah étaient faux. A l’issue du
recomptage, l’avance de Karzaï était descendue tout juste sous la barre de
la majorité absolue, ce qui, selon la constitution afghane, rendait
nécessaire un deuxième tour électoral entre les deux meneurs.
Les Etats-Unis et leurs alliés ont aussitôt lancé une frénétique campagne
pour forcer Karzaï à accepter un recomptage et se soumettre à un second tour
avec Abdoullah. Le sénateur John Kerry, président du Comité des affaires
étrangères du Sénat, a passé trois jours à harceler Karzaï pour qu’il
accepte un deuxième tour électoral. Le ministre français des Affaires
étrangères, Bernard Kouchner, était lui aussi présent à Kaboul.
Le premier ministre britannique Gordon Brown, la secrétaire d’Etat
Hillary Clinton, l’envoyé spécial américain en Afghanistan et au Pakistan
Richard Holbrooke ainsi que le secrétaire de l’ONU Ban Ki-moon ont tous
contacté Karzaï pat téléphone, lui disant que le second tour était essentiel
à la « légitimité » de l’élection et à son régime même.
Maintenant, à peine deux semaines plus tard, Washington et ses alliés
insistent que l’annulation du deuxième tour est sans conséquence et que la
sélection de Karzaï par son propre comité électoral trié sur le volet est
tout à fait légitime.
Le président Barack Obama a appelé Karzaï pour le féliciter.
Reconnaissant que l’élection avait été « compliquée », Obama a affirmé avoir
dit à Karzaï qu’il « était temps d’entamer un nouveau chapitre ».
« Cela n’affecte pas, selon nous, la légitimité du processus », a déclaré
un haut représentant de l’administration au Washington Post lundi.
« Cela nous donne la chance de passer à une nouvelle étape en Afghanistan. »
On prépare le « nouveau chapitre » ou la « nouvelle étape » en
Afghanistan à travers une importante escalade militaire où des dizaines de
milliers de soldats américains supplémentaires seront déployés dans le but
d’étouffer la résistance armée qui a crû jusqu’à occuper 80 pour cent du
pays et qui lutte contre l’occupation menée par les Etats-Unis.
La seule utilité de l’élection était de donner une « légitimité » à cette
escalade de la guerre de type coloniale de Washington.
Le caractère illégitime du vote, du point de vue du peuple afghan, était
à prévoir. L’élection fut tenue dans des conditions d’occupation militaire
par 100.000 troupes américaines et autres pour choisir un chef du
gouvernement qui est totalement dépendant de l’appui de Washington pour sa
survie. Il était interdit à tous les candidats qui s’opposaient à
l’occupation de prendre part à l’élection.
La date pour le vote, le 20 août, fut imposée sur le régime de Karzaï en
violation de la constitution afghane dans le but de donner du temps aux
21.000 troupes appelées en renfort par Obama en mars dernier pour qu’elles
commencent à arriver. Il est venu trois mois après que le mandat de Karzaï
ait expiré, remettant en question la légalité officielle du président à agir
en tant que tel.
Pour ce qui est du vote lui-même, la signification des bulletins de vote
frauduleux ne soutient pas la comparaison avec l’abstention de masse des
électeurs afghans, 70 pour cent d’entre eux ne sont pas allés aux urnes.
L’administration américaine était très au courant qu’un deuxième tour
attirerait encore moins d’électeurs, le tournant en une confirmation de
l’illégitimité de tout le processus.
Le deuxième tour aurait requis le redéploiement des troupes d’occupations
pour fournir la sécurité à un bassin plus petit d’électeurs, entraînant sans
doute une autre hausse de morts et de blessés américains. Il y a toutes les
raisons de croire que les Etats-Unis et leurs alliés n’ont jamais tenté de
faire en sorte qu’un deuxième tour se tienne.
Plutôt, forcer Karzaï à accepter un deuxième tour servait de moyens pour
enlever de l’importance au président fantoche et à le forcer à effectuer des
négociations sur le partage du pouvoir avec Abdoullah. L’objectif était et
demeure pour Washington d’assumer un contrôle encore plus direct du régime
afghan pour paver la voie à une campagne de contre-insurrection intensifiée.
Ces négociations ont continué jusqu’à samedi soir, les représentants
d’Abdoullah demandant une part des avantages de l’Etat dans la forme de
ministères et de postes. Karzaï a cependant reculé, insistant qu’il irait de
l’avant avec le deuxième tour.
Les manœuvres de partage du pouvoir étant à un point mort, il semble que
les responsables américains sont intervenus, tentant de faire en sorte
qu’Abdoullah se retire de la course et que le deuxième tour, lui-même, soit
annulé.
Maintenant, les responsables américains insistent que Karzaï doit gagner
de la « légitimité » en réformant son régime et en luttant contre la
corruption. Obama a dit qu’il avait mis l’accent avec Karzaï que la preuve
de son engagement envers de tels efforts « ne sera pas en mot, mais en
action ».
La personnification de la corruption qui traverse le régime est le frère
du président, Ahmed Wali Karzaï, le chef du gouvernement provincial à
Kandahar, qui a été accusé de jouer un rôle central dans le commerce de la
drogue qui est en pleine expansion au pays. Comme le New York Times
l’a révélé la semaine dernière, il est aussi un atout clé des services de
renseignements centraux américains (CIA), qui l’a placé sur sa liste de
paie. Ses services à l’agence incluent l’organisation d’une « force de
frappe » locale utilisée pour assassiner des terroristes soupçonnés et
l’approvisionnement d’établissements dans la province pour les agents de la
CIA.
L’occupation américaine a été la force qui a le plus corrompu
l’Afghanistan. Depuis le début, l’occupation a reposé sur des gens comme
Karzaï, renforçant le pouvoir des seigneurs de guerre corrompus impliqués
dans le massacre qui a pris place dans le pays dans les années 1990.
Le trafic des narcotiques a augmenté de façon très importante depuis que
les Etats-Unis ont envahi le pays en 2001. Le ministre afghan responsable de
la lutte contre le trafic de la drogue, le général Khodaidad Khodaidad a
indiqué récemment que le gros du trafic passait par deux provinces sous
contrôle des Etats-Unis et de l’OTAN.
Le New York Times a rapporté dans son édition du lundi 2 novembre
que des hauts responsables de l’administration avaient été « dégoûtés » par
la fraude électorale en Afghanistan. « Comment peut-on considérer envoyer
des dizaines de milliers de soldats américains en renfort, ont-ils demandé
dans des rencontres à la Maison-Blanche, dans le but de soutenir le
gouvernement afghan considéré comme illégitime par une bonne part de la
population ? »
C’est évidemment une question que se posent les travailleurs américains
qui devront assumer le coût de cette escalade.
En réalité, toutefois, le régime Karzaï est une création de la politique
américaine en Afghanistan. Karzaï lui-même a été choisi avec soin par
Washington et a été nommé président seulement grâce à l’invasion américaine
en 2001. Il a gagné la première élection de 2004, organisée par les
Américains, qui a aussi été l’objet d’une fraude électorale de grande
ampleur.
Des dizaines de milliers de soldats supplémentaires seront envoyés en
Afghanistan, non pour soutenir le gouvernement marionnette de Kaboul ou pour
faire la chasse à al-Qaïda. Le but de l’occupation est la défense des
intérêts géostratégiques de l’impérialisme américain.
Le porte-parole pour la Maison-Blanche Robert Gibbs a dit lundi que la
décision d’augmenter le nombre de soldats déployés en Afghanistan sera
annoncée au cours « des prochaines semaines », ajoutant qu’il ne pouvait pas
garantir que cela se fera avant le 11 novembre, date à laquelle Obama amorce
une tournée de l’Asie de neuf jours.
Anthony Cordesman, spécialiste de la stratégie militaire du Center for
Strategic and International Studies (CSIS) et conseiller du général Stanley
McChrystal, le commandant américain en Afghanistan, a écrit sur le site web
de CSIS qu’il fallait qu’Obama explique franchement au peuple américain
qu’il y a escalade de la guerre en Afghanistan.
Obama, a-t-il écrit, doit expliquer que « dans le meilleur des cas, il
est peu probable que l’insurrection et la menace terroriste pourront être
entièrement défaites en Afghanistan et au Pakistan au cours de la prochaine
décennie ».
Cordesman continue : « Il doit préparer les Etats-Unis et le monde à
accepter le fait que le niveau présent des pertes des Etats-Unis, de ses
alliés, de l’Afghanistan et du Pakistan va presque certainement doubler, et
probablement plus que tripler, avant qu’une situation ressemblant à une
victoire émerge. »
Il a ajouté qu’Obama « doit arrêter de prendre la voie de la facilité qui
consiste à se concentrer sur le terrorisme international » et dire au peuple
américain comment les guerres que mènent les troupes américaines « viennent
toucher aux défis plus larges de l’instabilité régionale à l’Ouest, au Nord
et à l’Est ».
En d’autres mots, la guerre en Afghanistan et son intensification ne vise
pas l’éradication d’al-Qaïda. Plutôt, cette guerre vise à projeter la
puissance militaire américaine dans la région stratégique et riche en
ressources énergétiques de l’Asie centrale pour y contrecarrer l’influence
de l’Iran, de la Russie et de la Chine.
Obama, a aussi écrit Cordesman, doit donner l’avertissement que « toute
forme de victoire en Afghanistan et au Pakistan sera une partie d’une lutte
plus large et plus longue » qui « continuera pour une durée indéterminée ».
Que signifie ces conseils du stratégiste et expert militaire ? Une année
après l’élection d’Obama en tant que candidat du « changement », prenant le
pouvoir en large mesure à cause du sentiment anti-guerre existant dans de
larges couches de la population américaine, il se prépare une escalade
importante du nombre de morts en Afghanistan et au Pakistan en tant que
partie d’une guerre sans fin et gagnant continument en ampleur.
(Article original anglais paru le 3 novembre 2009)