Le nouveau gouvernement allemand, formé par la CDU/CSU (Union
chrétienne-démocrate/Union chrétienne-sociale) et le FDP (Parti libéral-démocrate)
et ayant pris ses fonctions le 28 octobre prépare des attaques massives contre
les prestations sociales et les droits démocratiques. On avait déjà
radicalement réduit les prestations sociales au cours des dernières années,
sous la coalition SPD-Verts et la grande coalition CDU/SPD. A présent il s’agit
de détruire ce qui reste encore de l’Etat social.
Les partis qui composent le gouvernement ont, pendant un mois,
négocié un « contrat de coalition ». Le résultat de ces négociations
fut un document qui place au centre de tous les domaines de la société les
intérêts du patronat et des riches. Tous les coûts sociaux portés par les
entreprises y sont considérés comme des obstacles à la compétitivité et devant
donc être éliminés. Sous le slogan de « promotion de la croissance
économique » la redistribution qui dure depuis des années de la richesse
de bas en haut se trouve ainsi brusquement accélérée.
Tous les partis gouvernementaux sont d’accord sur le fait de
faire porter à la population tout le poids de la crise économique et de
l’endettement de l’Etat, en forte augmentation du fait du plan de sauvetage des
banques (à hauteur de 480 milliards d’euros) et des plans de relance qui ont
suivi.
Afin de ne pas provoquer la résistance depuis le début, on est
resté, pour ce qui est de cet accord de coalition, dans les généralités. Une
des formules les plus fréquentes qu’on y trouve est : « nous
recherchons… ». L’élaboration concrète des cruautés sociales envisagées
est laissée à des experts dans les différents ministères.
On doit introduire, au début de l’année prochaine déjà, une
réforme de la fiscalité des entreprises dont les détails doivent être inscrits
dans une « Loi d’accélération de la croissance ». Au plus tard au
cours de l’année suivante, les cadeaux fiscaux au patronat devront, sur la base
du « frein à la dette » récemment ajouté à la constitution, être
économisés sur le dos du public.
On n’a pas encore pris de décision définitive sur la demande
du FDP d’abolir purement et simplement la taxe professionnelle, la plus
importante source de revenu des communes. Le gouvernement veut cependant déjà
donner pour mission à une commission de faire des propositions sur une
réorganisation des finances communales. Plusieurs ministres présidents des
Lands se sont déjà manifestés et ont mis en garde contre une intervention du
gouvernement dans les finances des municipalités. Ils craignent que les
communes qui sont déjà fortement endettées ne soient poussées à la faillite
pure et simple, ce qui aurait des conséquences dramatiques pour les services
dont dépendent les gens ordinaires.
Comme on donne avant une amputation des tranquillisants au
patient, le contrat de coalition prévoit quelques calmants pour la population. Dans
la catégorie calmante, on trouve l’annonce que les allocations familiales
augmenteront de 20 euros (elles sont actuellement de 164 euros). En outre, il
est dit : « Nous recherchons un allègement fiscal des petits et
moyens revenus ainsi que des familles et des enfants » ; cela doit
progressivement entrer en vigueur à partir de 2011.
Ces mesures profitent, elles aussi, surtout à ceux qui gagnent
bien. Ils peuvent déclarer aux impôts la hausse des allocations familiales et
récupérer beaucoup plus que les 20 euros d’augmentation. Beaucoup de petits salariés
ne profitent pas des allègements fiscaux puisque leur revenu se trouve au-dessous
du seuil d’imposition. En revanche, les familles à faible revenu seront
d’autant plus touchées par la hausse des cotisations sociales, qui seront
exclusivement portées par les salariés et qui seront progressivement changées
en cotisations forfaitaires individuelles. Ils seront aussi durement touchés
par l’augmentation du prix de l’eau et de l’électricité qui menace du fait de
l’introduction d’une TVA pour les entreprises de service public.
De nombreux calculs montrent que les familles les plus pauvres
auront à l’avenir à payer plus et que seuls les hauts salaires auront des
charges légèrement réduites, si les promesses du contrat de coalition sont
tenues. Mais cela n’est pas sûr, car une des déclarations les plus importantes
de celui-ci est que toutes les mesures s’y trouvent « sous réserve de
leur financement ».
Tandis que l’accord de coalition reste vague dans les détails
et se limite à des déclarations d’intention, le choix de ceux qui occupent les
différents ministères ne laisse aucun doute sur la direction prise par ce
gouvernement. Le FDP est, avec cinq ministères (Affaires étrangères, Economie,
Justice, Santé et Aide au développement), fortement représenté. La CSU se
contente de trois et la CDU de sept ministères.
Une des nominations les plus importantes est celle de Wolfgang
Schäuble (CDU). Celui qui fut jusqu’à présent ministre de l’Intérieur de la grande
coalition (CDU/SPD) passe au ministère des Finances. Cet homme de 67 ans est au
parlement depuis 1972 et il est le seul à avoir été au gouvernement avant la
réunification. Il était avant 1989, sous Helmut Kohl, chef de la chancellerie.
Pendant les événements de 1989-90, il devint ministre de l’Intérieur pour la
première fois et négocia le contrat de réunification.
Lors de son second passage au ministère de l’Intérieur il fit
en sorte que les pouvoirs de la police et des services secrets soient renforcés
systématiquement et chercha à imposer l’intervention de la Bundeswehr à
l’intérieur, développant en même temps l’Etat surveillance et la réduction des
droits civiques.
Schäuble est un représentant expérimenté de l’appareil d’Etat jouissant
de la pleine confiance du patronat. Il n’aura pas peur d’imposer de drastiques
mesures d’austérité et des coupes dans les systèmes sociaux, même contre une
résistance massive de la population. On salua dans de nombreux journaux le fait
qu’on l’envisageait comme ministre des Finances avec la remarque qu’il était le
« candidat idéal » parce qu’il avait l’expérience politique et la
poigne et qu’il n’avait plus rien à perdre. Le Financial Times de
Londres fit ce commentaire que la chancelière avait mis ce ministère important
entre les mains d’un allié expérimenté qui ne reculera pas devant l’imposition
de « remèdes amers ».
Schäuble lui-même dit clairement dans ses premières
déclarations publiques qu’il tenait des mesures d’austérité importantes dans
l’Etat et dans l’économie pour inévitables.
Une autre nomination indiquant la direction prise est celle de
la jeune personnalité montante du FDP, Philipp Rösler. Il est à 36 ans le plus
jeune ministre de ce gouvernement et représente une couche de parvenus
privilégiés qui considèrent les assurances sociales publiques et le principe de
solidarité qui les accompagne comme une restriction inadmissible à leur
enrichissement personnel.
Rösler a une formation de médecin et il a fait sa carrière
dans un parti qui s’identifie sans aucune retenue avec les lobbies de
l’industrie pharmaceutique, des médecins et des pharmaciens. Sa nomination au
ministère de la Santé signifie que le gouvernement va en direction d’un
démantèlement des assurances sociales publiques. Les assurances retraite,
maladie et vieillesse doivent être transférées dans un modèle privé où elles
seront « couvertes par du capital ». Dans ce modèle, les assurés « peuvent
décider eux-mêmes », selon la grosseur du porte-monnaie, ce qu’ils
assurent et comment ils le font. « Des participations personnelles
constituées de façon non bureaucratique sont indispensables à un comportement
responsable du point de vue des coûts et de la santé ».
Dans le programme électoral du FDP ceci est formulé de la
façon suivante : « Nous opposons la responsabilité personnelle à la
tutelle des excroissances bureaucratiques de l’Etat providence social-
démocrate. Nous sommes pour l’Etat social libéral. La mission centrale de
l’Etat n’est pas la création de l’égalité absolue, mais de la garantie de
l’équité des chances et des prestations pour tous […] La politique de
l’égalité ordonnée par l’Etat a jusque-là toujours mené à l’absence de
liberté. »
Significatif également est le passage de Karl-Theodor zu
Guttenberg (CSU) du ministère de l’Economie à celui de la Défense qui, étant
donné l’ampleur croissante des interventions de l’armée, est devenu une sorte
de ministère des Affaires étrangères bis. Ce baron de 38 ans est l’héritier,
côté paternel comme côté maternel, de plusieurs familles nobles étroitement
liées à la tradition du militarisme allemand. Sa femme est une comtesse de
Bismark-Schönhausen. Sa mère Christiane, fille d’un comte d’Eltz et étroit
confident de l’ancien président croate Franjo Tudjman, épousa en secondes noces
Adolf Henkell von Ribbentrop, le fils du ministre des Affaires étrangères
d’Hitler, qui devint ainsi le beau-père de zu Guttenberg.
Des conflits étaient déjà apparents au sein du nouveau gouvernement
et des partis de la coalition pendant les négociations sur le contrat de
coalition. Le quotidien munichois Süddeutsche Zeitung titrait ainsi
mardi 27 octobre : « La coalition commence et voilà qu’on se dispute
déjà. » La signature du contrat de coalition s’est selon ce journal accompagné
de virulents conflits à propos de la politique fiscale et de santé.
Il serait toutefois erroné de déduire des conflits internes au
gouvernement une incapacité à imposer les attaques envisagées. La force de la
coalition Merkel-Westerwelle provient moins de sa force propre et de son unité
que de l’absence de toute opposition sérieuse. Le SPD, les Verts et le Parti de
Gauche ont tous, à leur manière, dit nettement qu’ils sont d’accord avec les
objectifs fondamentaux du nouveau gouvernement.
En Thuringe et en Sarre, le SPD et les Verts se sont décidés,
à une grande majorité, cette semaine pour des coalitions avec le CDU et ont
ainsi laissé entendre à Merkel qu’elle pouvait compter sur leur soutien.
Dans le Land de Brandebourg le Parti de Gauche a signé son propre contrat de
coalition avec le SPD, un contrat dont l’aspect central est l’élimination d’un
cinquième des emplois dans les services publics – une tâche que le CDU ne
pourrait mener à bien étant donné la résistance à laquelle il faut
s’attendre.
Les syndicats eux aussi ont déjà signalé leur accord à la
nouvelle coalition. La vice-présidente du DGB, la fédération des syndicats
allemands, Ingrid Sehrbrock, a voté pour le contrat de coalition au congrès de
la CDU. Et le chef du syndicat de la métallurgie IG Metall, le plus important
du DGB, annonça un jour après la signature du contrat de coalition, que son
syndicat se retiendrait en fait de revendications salariales. « Je ne
pense pas pour le moment que nous allons poser des revendications salariales
élevées » dit-il. Le Süddeutsche Zeitung en conclut : « Le
syndicaliste envoie par là un clair message avant tout en direction du
gouvernement fédéral. »
Derrière le nouveau gouvernement se tient une coalition de
tous les partis, soutenue par les syndicats. Cela encourage Merkel,
Westerwelle, Schäuble et Cie à lancer un assaut général sur les
systèmes sociaux et le niveau de vie de la population. La classe ouvrière doit
se préparer à des luttes politiques véhémentes et tirer les conséquences
nécessaires. Elle a besoin d’un nouveau parti qui lui donne la possibilité,
indépendamment des partis établis et des syndicats, d’intervenir dans la
situation politique.