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  WSWS : Histoire et culture

Vingt ans depuis la chute du Mur de Berlin

Déclaration du Bund Sozialistischer Arbeiter, 18 octobre 1989 – Première partie

Il faut renverser la bureaucratie stalinienne! Il faut construire des conseils ouvriers en Allemagne de l’Est !

13 novembre 2009

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Il y a vingt ans, le 4 novembre 1989, l’on assistait à la plus importante manifestation de l’histoire de l’Allemagne de l’Est (République démocratique allemande, RDA). Près d’un million de personnes s’étaient rassemblées dans le centre de Berlin Est pour manifester contre la bureaucratie stalinienne au pouvoir.

Mass demonstration in East Berlin
La manifestation de masse à Berlin Est

La manifestation à Berlin fut le point culminant de la vague de protestations qui avait commencé à Leipzig deux mois auparavant et qui n’avait cessé de croître de semaine en semaine. Le SED stalinien (Parti socialiste unifié d’Allemagne) avait déjà démissionné à ce moment. Le 18 octobre, le chef du Politburo (bureau politique) et le président de longue date du conseil d’Etat, Erich Honecker, avait été remplacé par Egon Krenz. Peu de temps après d’autres fonctionnaires méprisés du SED, tel Erich Mielke, le patron de la Stasi, police secrète de la RDA, et Kurt Hager, le chef du service de la propagande démissionnaient également de leur poste.

Le 9 novembre, cinq jours après la manifestation de masse à Berlin, le SED ouvrait le Mur de Berlin. Ceci déclencha le processus de la dissolution de la RDA qui, après un traité commun et une union monétaire avec l’Ouest du pays, s'acheva par la réunification de l’Allemagne.

Toutefois, lors de la manifestation du 4 novembre, il n’avait nullement été question d’un tel cours des événements. Au contraire, la manifestation de masse avait pris la forme d’une opposition politique et sociale au régime stalinien et fut dominée par des slogans tels : Elections libres ! Démission du gouvernement ! Abolition du monopole du pouvoir SED ! Abolition des privilèges du parti et des fonctionnaires d’Etat! Dissolution de la Stasi!

Les intervenants à la manifestation de Berlin étaient avant tout des représentants de l’opposition petite-bourgeoise de l’Allemagne de l’Est représentée par des artistes, des curés et des avocats qui cherchaient à contenir et à désamorcer la colère des participants en lançant des appels au « dialogue » avec le régime. Les organisateurs de la manifestation permirent également à des membres en vue du SED de s’exprimer, y compris Gregor Gysi, Günter Schabowski et le chef adjoint de longue date de la Stasi, Markus Wolf.

Le Bund Sozialistischer Arbeiter (Ligue des Travailleurs socialistes), le prédécesseur du Parti für Soziale Gleichheit (Parti de l’Egalité socialiste d’Allemagne), distribua lors de la manifestation un appel sous forme de brochure. Avant la manifestation, des milliers d’exemplaires de cet appel avaient été introduits clandestinement en Allemagne de l’Est, la frontière Ouest-Est étant encore fermée à ce moment. Comme parti trotskyste, le Bund Sozialistischer Arbeiter (BSA) luttait contre le régime stalinien d’un point de vue de gauche et toute activité lui était interdite depuis la fondation de l’Etat Est-allemand en 1949. Le SED menait une campagne répressive intransigeante contre les mouvements oppositionnels clandestins tout en ayant établi dans le même temps, à partir des années 1970, des liens étroits avec la République fédérale allemande à l’Ouest et ses personnalités dirigeantes, Willy Brandt, Helmut Schmidt, Helmut Kohl et Franz Josef Strauß.

Le BSA était la seule tendance politique à avancer un programme d’opposition fondé sur une perspective socialiste internationale à l’encontre de la bureaucratie stalinienne. Les avertissements du parti concernant les conséquences sociales catastrophiques de la restauration du capitalisme qui à son tour ouvrirait une nouvelle période de conflits et de guerres impérialistes furent tout à fait confirmés par le cours des événements.

L’appel lancé par le BSA saluait l’opposition au régime en RDA. Il soulignait le lien entre la crise en RDA et la crise du capitalisme mondial dont le « soutien politique le plus important » durant ces six dernières décennies avaient précisément été les bureaucraties staliniennes. Les alliés dans la lutte contre le SED n’étaient donc ni « Gorbatchev, le dirigeant du quartier général stalinien à Moscou, ni les politiciens capitalistes occidentaux, ni le Parti social-démocrate ou les bureaucraties syndicales, mais purement et simplement la classe ouvrière internationale. »

A l’occasion du 20ème anniversaire de la chute du Mur de Berlin, nous republions cet appel. Dans les jours et les semaines à venir, le WSWS publiera une série d’articles traitant du contexte et des conséquences de la réunification de l’Allemagne, davantage de rapports et de commentaires ayant trait au 20ème anniversaire ainsi que davantage de matériel d’archives du BSA.

* * *

Cette déclaration du Comité central du Bund Sozialistischer Arbeiter, le prédécesseur du Partei für Soziale Gleichheit, fut publiée le 18 octobre 1989 dans le journal du BSA, Neue Arbeiterpresse. Nous affichons ci-dessous la première des trois parties de la déclaration.

Le Bund Sozialistischer Arbeiter salue tout chaleureusement les manifestations de masse et la lutte que mènent les travailleurs et les jeunes en Allemagne de l’Est contre la bureaucratie stalinienne! Nous appelons tous les travailleurs, les syndicalistes et les jeunes en Allemagne de l’Est et de l’Ouest à soutenir cette lutte ! A défendre tous ceux qui participent aux manifestations et aux grèves contre la répression et la persécution de la bureaucratie du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED) ! (SED est le nom officiel du Parti communiste d’Allemagne de l’Est.)

Il y a quelques semaines à peine, dans l’éditorial du 25 août 1989 du Neue Arbeiterpresse, nous avions prédit que l’exode de masse ininterrompu de l’Allemagne de l’Est n’était que le signe avant-coureur d’un soulèvement des travailleurs contre le régime du SED. Cette évaluation s’est d’ores et déjà révélée juste. L’exode de masse hors de l’Allemagne de l’Est s’est transformé en un mouvement de masse à l’intérieur de l’Allemagne de l’Est et qui a déjà renversé le dirigeant du parti et chef d’Etat, Erich Honecker.

Malgré les interventions policières brutales et conformes à la tradition stalinienne, les manifestations de centaines de milliers de jeunes et de travailleurs à Berlin Est, Leipzig, Dresde, Magdebourg et d’autres villes ont déjà ébranlé les fondations mêmes de l’arrogante bureaucratie en apparence toute puissante. Dans une réaction de panique, des centaines de responsables ont été dépêchés dans les grandes usines pour mener des discussions sur les lieux de travail dans l’espoir d’apaiser les travailleurs en leur faisant miroiter la possibilité de « régler tous les problèmes par le dialogue. » La bureaucratie craint à juste titre que les manifestations de rue d’aujourd’hui ne soient suivies demain par des grèves de masse dans les usines.

Bien que les revendications politiques de ce mouvement n’émanent jusque-là que des couches petites bourgeoises qui en sont les porte-parole, leur vraie source et la puissante force motrice est la haine profonde et irréconciliable de la classe ouvrière envers la couche dirigeante des parasites et des bureaucrates.

Cette bureaucratie est dirigée par des bourreaux sanguinaires du stalinisme qui comptent de nombreuses années passées à son service tels Erich Honecker, l’architecte du Mur de Berlin et l’organisateur des pièges mortels installés le long de la frontière Est-allemande, et son élève et successeur, Egon Krenz. Le passage de Honecker à Krenz à la direction du parti et du gouvernement est partie intégrante des préparatifs de la bureaucratie en vue de la violente confrontation à venir avec la classe ouvrière. En tant que membre du comité central du SED, Krenz avait précédemment été responsable de l’ensemble de l’appareil sécuritaire de la bureaucratie. Il avait expressément soutenu le massacre sanglant de milliers de travailleurs et d’étudiants par les staliniens de Beijing en l’acclamant comme une « victoire sur la contre-révolution. » Il a régulièrement falsifié les résultats électoraux, comme dans le cas des récentes élections communales, et il a aussi organisé les attaques policières contre les manifestants. Avec Krenz, le premier geôlier et chef de police de l’Allemagne de l’Est a été chargé de la formation d’un nouveau gouvernement et de la « résolution de tous les problèmes. » Tout comme Honecker, il sera lui aussi conseillé par le vieux Kurt Hager qui, depuis l’époque où il était le chef de la propagande de la police secrète stalinienne durant la guerre civile espagnole, a eu pour tâche d’inventer une nouvelle justification cynique pour chaque crime du stalinisme. D’autres bureaucrates du SED de rangs inférieurs sont peut-être plus jeunes que lui et paraissent plus « modérés » ou être « davantage en faveur de réformes, » mais doivent eux aussi leurs positions et leurs privilèges à cet appareil de répression stalinien.

Un soulèvement contre le stalinisme et le capitalisme

Avec leurs manifestations de masse, la classe ouvrière et la jeunesse de l’Allemagne de l’Est ont rejoint la classe ouvrière chinoise et soviétique dans sa lutte contre la bureaucratie stalinienne. Ce faisant elles ont considérablement intensifié la crise internationale du stalinisme, renforçant par là même la classe ouvrière en Allemagne de l’Ouest, en Europe de l’Ouest, en Asie et aux Etats-Unis dans sa lutte contre le capitalisme, étant donné que durant ces six dernières décennies le stalinisme a opéré au sein du mouvement ouvrier international comme le principal soutien contre-révolutionnaire du monde impérialisme. C’est le stalinisme qui porte à la fois la responsabilité du retard de la révolution mondiale qui avait débuté en 1917 sous la direction de Lénine, de Trotsky et des bolcheviques et des défaites infligées à la classe ouvrière, à savoir en Allemagne en 1933 et en Espagne en 1936. Le stalinisme a permis aux capitalistes de rester au pouvoir au moyen de terribles dictatures et du fascisme pour poursuivre leur système d’exploitation même après la catastrophe de la Deuxième guerre mondiale.

Cette collaboration contre-révolutionnaire entre l’impérialisme et le stalinisme a été organisée au moyen d’innombrables traités et accords secrets : le pacte germano-soviétique, l’assentiment du largage de la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki, les accords de Yalta et de Potsdam, les traités sur la division du Vietnam et du sous-continent indien, l’établissement de l’Etat raciste d’Israël, etc. jusqu’aux récents accords de Mikhaïl Gorbatchev avec le gouvernement américain pour désamorcer les tensions locales et visant directement les luttes de libération nationale et les peuples opprimés, comme par exemple les Nicaraguayens, les Angolais, les Palestiniens et les Tamouls.

La crise historique du capitalisme

L’effondrement du stalinisme coïncide ainsi avec la plus profonde crise de l’impérialisme. Même la collaboration la plus étroite entre les impérialistes et les staliniens ne pourrait empêcher que les lois objectives du mode de production capitaliste, découvertes par Karl Marx, se manifestent à nouveau en faisant remonter à la surface la crise insoluble et historique du capitalisme mondial en remettant à l’ordre du jour les luttes révolutionnaires de la classe ouvrière. Telle est de nos jours la situation de la classe ouvrière sous le capitalisme, un système social qui a prouvé sa faillite historique par deux guerres mondiales, le fascisme et d’innombrables dictatures meurtrières : plus de 20 millions de chômeurs officiels dans les pays de la Communauté européenne (CE), en réalité plus de 30 millions ; la destruction continue de toutes les réformes et droits sociaux qui avaient été conquis de haute lutte après la Deuxième guerre mondiale, comme par exemple, la couverture santé et les retraites en République fédérale d’Allemagne ; l’appauvrissement de la classe ouvrière aux Etats-Unis dont le niveau de vie a baissé de près de 30 pour cent ces dix dernières années ; l’inflation galopante non seulement en Amérique latine mais aussi au Portugal, en Grèce, en Turquie et même dans des pays industrialisés tels la Grande-Bretagne et l’Italie.

Les derniers bouleversements survenus sur les marchés des changes et la forte baisse des valeurs boursières sur les marchés boursiers internationaux qui ressemblent au krach boursier international de 1987, montrent la fragilité de l’ensemble du système bancaire et financier international qui peut s’écrouler d’un jour à l’autre en entraînant un chômage de masse sans précédent, la guerre et la guerre civile littéralement du jour au lendemain. Les préparatifs pour le marché unique européen, un instrument pour la guerre commerciale contre ses rivaux américain et japonais sur le marché mondial, signifie une guerre de classes des capitalistes dans chaque pays. Ils tentent de détruire les droits, les emplois et les salaires de la classe ouvrière comme ce fut le cas dans les années 1930. Mais avant tout cela signifie la préparation à de nouvelles guerres impérialistes.

Dans ces conditions, les imposteurs réformistes de la social-démocratie et du stalinisme qui ont essayé de faire croire à la classe ouvrière que le capitalisme serait stable pendant des siècles, qu’il pourrait être réformé et que des perspectives révolutionnaires étaient futiles, commencent inévitablement à perdre de l’influence. Alors que tous les bureaucrates réformistes soutiennent ouvertement leur Etat-nation capitaliste respectif et tentent d’imposer les attaques contre la classe ouvrière au nom de l’« intérêt (profit) national » en prônant le nationalisme, en organisant la guerre commerciale et en armant l’appareil d’Etat en vue de la guerre civile, la classe ouvrière de par le monde s’oriente dans la direction opposée. Soudée plus que jamais internationalement du fait de la mondialisation de la production et du commerce, elle cherche à briser les chaînes du nationalisme et des Etats-nations bourgeois avec lesquels les bureaucraties social-démocrate et stalinienne divisent la classe ouvrière en s’efforçant de l’attacher aux intérêts du capital.

Le début d’une nouvelle période de luttes révolutionnaires

Le soulèvement de la classe ouvrière en Europe de l’Est, en Chine et en Union soviétique contre le stalinisme doit être compris dans le contexte suivant : c’est un élément d’une révolte internationale de la classe ouvrière qui est en train de se développer à l’encontre des bureaucraties social-démocrate et stalinienne et qui durant ces dernières décennies ont contrôlé politiquement le mouvement ouvrier en le subordonnant à l’impérialisme. Et donc, tous les mécanismes politiques par lesquels l’impérialisme a maintenu son pouvoir dans la période de l'après-guerre sont en train de s'effonder. Une nouvelle période de lutte de classes révolutionnaire a commencé ! C’est la véritable signification historique de la mobilisation de la classe ouvrière en Allemagne de l’Est contre le régime de Berlin Est. C’est en réalité la raison pour laquelle les gouvernements capitalistes et leurs stratèges politiques ne sont absolument pas ravis de la tournure des événements en Allemagne de l’Est. A maintes reprises, les représentants du gouvernement Kohl tout comme le SPD ont souligné qu’ils « n’avaient aucun intérêt à déstabiliser l’Allemagne de l’Est, » parce que cela serait « également préjudiciable à l’Ouest. »


Le soulèvement ouvrier de juin 1953 en Allemagne de l’Est – les travailleurs de Berlin Est confrontent les tanks soviétiques.

En conséquence, le Bund Sozialistischer Arbeiter met en garde la classe ouvrière en attirant son attention sur les expériences faites par la classe ouvrière en Allemagne de l’Est en 1953 et en Hongrie en 1956 : ses alliés ne sont ni Gorbatchev, le dirigeant du quartier général stalinien à Moscou, ni les politiciens capitalistes occidentaux, ni le Parti social-démocrate ou les bureaucraties syndicales, mais purement et simplement la classe ouvrière internationale.

Réforme ou révolution?

Avec les dernières manifestations de masse en date, la classe ouvrière en Allemagne de l’Est a à nouveau repris la lutte qu’elle avait commencée avec le soulèvement ouvrier en 1953. Dans le même temps, elle renoue avec les luttes révolutionnaires menées contre la bureaucratie stalinienne en Pologne et en Hongrie, 1956 ; en Tchécoslovaquie, 1968 ; et à nouveau en Pologne, 1980-81. A présent, la classe ouvrière est confrontée à la question : Quel programme peut assurer la victoire de cette lutte ?

« Liberté de manifestation et d’organisation ! » « Liberté de la presse ! Liberté de parole et de voyager ! » « Abolition de tous les privilèges des fonctionnaires de l’Etat, du parti et de la bureaucratie syndicale ! »

Telles sont les revendications immédiates réclamées lors des manifestations et dont on débat dans les usines. Le Bund Sozialistischer Arbeiter soutient énergiquement ces revendications ! Mais elles ne peuvent pas être obtenues par un « dialogue » avec la bureaucratie ou par la « réforme » comme l’affirment les fondateurs du Nouveau Forum (Neues Forum) et le SPD !

La bureaucratie est une excroissance cancérigène, une couche parasite corrompue au sein de l’Etat ouvrier. L’appel du Nouveau Forum pour un « dialogue » ou une « coexistence démocratique et égale en droit » avec la bureaucratie dirigeante et le reste de la société correspond donc à un appel en faveur de droits égaux et de démocratie à la fois pour les parasites et leurs hôtes.

Toutes les positions et tous les privilèges, en effet l’ensemble de l’existence de la bureaucratie est fondée précisément sur la suppression de tout droit démocratique de la classe ouvrière, suppression du droit à la liberté de réunion et d’organisation, la liberté de parole et de voyager. Pour imposer cette répression ils comptent sur leur fanatique machine policière et leur pouvoir de monopole au sein de l’appareil d’Etat et de la vie publique.

C’est pourquoi, le Bund Sozialistischer Arbeiter déclare catégoriquement: la liberté politique et les droits démocratiques ne peuvent être conquis que par une révolution politique dans laquelle la classe ouvrière renverse la bureaucratie dirigeante, l'évince de tous les postes qu'elle occupe et met en place des organes indépendants de pouvoir ouvrier et démocratiques, des conseils ouvriers, élus par les travailleurs dans les usines et les quartiers et n’étant responsables que devant eux en se basant uniquement sur leur force et leur mobilisation.

La classe ouvrière doit rejeter avec mépris les appels des évêques et des curés qui mettent en garde contre d’autres manifestations au motif que « le gouvernement n’entamera pas le dialogue sous la pression de la rue. » Tout comme l’Eglise catholique en Pologne, l’Eglise protestante en Prusse soutient ouvertement la bureaucratie dirigeante au moment où elle est menacée par un soulèvement révolutionnaire ouvert. Ils ouvrent leurs églises au mouvement d’opposition non pas pour faciliter la chute des dirigeants mais pour contrôler l’opposition et pour la subordonner à l’alliance du « trône et de l’autel. » En effet, les appels de l’évêque Krusche ont été ignorés ou plus exactement ont trouvé leur réponse, d’abord dans une manifestation de 70.000 puis de 120.000 travailleurs et jeunes à Leipzig.

Les appels lancés par la présidence de l’association des écrivains de l’Allemagne de l’Est en faveur de « réformes révolutionnaires » méritent tout autant de mépris. Ces poètes officiels lèche-bottes de la bureaucratie tels Hermann Kant ou Stephan Hermlin se distinguent par le fait qu’ils ajoutent à la coercition des prisons, de la police secrète et des fusils, l’outrage à l’esprit humain. Respectueux des besoins quotidiens des dirigeants, ils falsifient les plus grandes idées de l’humanité en les trahissant pour justifier le stalinisme et ses crimes. Hier encore aux ordres du SED de Walter Ulbricht ou d’Erich Honecker, ils organisaient des chasses aux sorcières contre des écrivains oppositionnels dans le but de détruire à la fois leur art et leurs moyens d’existence. Leur présent appel pour des « réformes révolutionnaires » c’est-à-dire pour la subordination à une bureaucratie « réformée » est cyniquement enjolivé avec une citation disant que sous le socialisme, « le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. » Cette citation est tirée du Manifeste Communiste, le programme dans lequel Marx et Engels appellent la classe ouvrière à se libérer de toute forme d’oppression. Alors que la principale tâche sociale de l’artiste est de garder en éveil et d’encourager au sein des opprimés et des exploités la recherche du bonheur, le sentiment de la dignité humaine et de la grandeur, qui défiera toute terreur policière, ces prostitués intellectuels de la bureaucratie s’adonnent à la destruction de ces sentiments en ne semant que cynisme à l’égard des principes du marxisme révolutionnaire.

La démocratie : bourgeoise ou prolétaire ?

La classe ouvrière doit rejeter le programme du Nouveau Forum et rompre avec toutes les illusions placées dans la politique de Gorbatchev, le dirigeant de la bureaucratie stalinienne de Moscou. Certes, le Nouveau Forum appelle les gens à descendre dans la rue et à manifester, mais refuse de mobiliser la classe ouvrière pour le renversement de la bureaucratie en exigeant à la place un « dialogue » et des « réformes ».

L’appel à la « démocratie » et au « pluralisme », séparé de la construction d’organes du pouvoir ouvrier ou opposé à celle-ci, ne mène pas à l’émancipation de la classe ouvrière. Il n’existe pas de forme de régime qui soit indépendante des deux principales classes, le prolétariat et la bourgeoisie. Déjà Lénine avait défendu cette découverte du marxisme contre Kautsky qui au nom de la « démocratie » avait soutenu les impérialistes allemands dans leur guerre contre l’impérialisme russe, en rejetant la prise du pouvoir par la classe ouvrière en octobre 1917 et en saluant la répression de la révolution en Allemagne en 1918-1919.

« La ‘démocratie pure’ n’est qu’une phrase mensongère de libéral qui cherche à duper les ouvriers. L’histoire connaît la démocratie bourgeoise qui prend la relève de la féodalité, et la démocratie prolétarienne qui prend la relève de la démocratie bourgeoise…La démocratie bourgeoise, tout en constituant un grand progrès historique par rapport au moyen-âge, reste toujours, - elle ne peut pas ne pas rester telle en régime capitaliste, - une démocratie étroite, tronquée, fausse, hypocrite, un paradis pour les riches, un piège et un leurre pour les exploités, pour les pauvres. » (V.I. Lénine, La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky)

La revendication abstraite de la « démocratie » ou plutôt parfois la glorification ouverte de la démocratie bourgeoise de la part des représentants des couches petites bourgeoises au sein du mouvement de protestation contre le régime de Honecker, n’est en réalité qu’une couverture pour l’introduction de la démocratie bourgeoise, à savoir, la dictature du capital sur la classe ouvrière. Elle ne correspond pas aux intérêts de la classe ouvrière mais aux besoins des couches petites bourgeoises qui ambitionnent une réconciliation avec la bureaucratie et une amélioration de leur propre situation aux dépens de la classe ouvrière.

La classe ouvrière en Allemagne de l’Est doit tirer un avertissement sérieux de la propagande pour la « démocratie » et pour « l’ouverture » sous Gorbatchev en Union soviétique, du général Wojciech Jazuzelski en Pologne et d’Imre Pozsgay en Hongrie : elle est une couverture pour la démolition des dernières conquêtes de la Révolution d’Octobre, la nationalisation de l’industrie et de l’économie planifiée, une couverture pour l’instauration de la propriété privée des moyens de production et l’exploitation de la classe ouvrière pour le profit sous la Perestroïka.

En Pologne, les dirigeants radicaux petits bourgeois ont joué un rôle décisif au sein du mouvement de Solidarnosc avec un programme identique à celui du Nouveau Forum. Ils se sont parfois présentés comme une « gauche » alternative à Lech Walesa, mais en rejetant la mobilisation de la classe ouvrière pour le renversement de la bureaucratie. Ce faisant, ils ont désarmé politiquement la classe ouvrière en ouvrant la voie à la loi martiale. Aujourd’hui, ils font partie du gouvernement de Tadeusz Mazowiecki et cherchent à imposer aux travailleurs ce que la bureaucratie stalinienne avait été incapable d’accomplir toute seule : un programme d’austérité massif dicté par le Fonds monétaire international pour l’appauvrissement des masses. Les prix ont augmenté tandis que les salaires sont bloqués ; il y aura des fermetures d’usines et la privatisation de l’industrie nationalisée.

Un programme identique pour la restauration d’une «économie sociale de marché » et une « démocratie pluraliste » c’est-à-dire l’exploitation capitaliste comme la préconise la direction de Solidarnosc et le gouvernement Mazowiecki en Pologne est encouragée par le Parti social-démocrate nouvellement formé en Allemagne de l’Est qui, tout comme le Nouveau Forum, place ses espoirs en Gorbatchev et sa politique de Perestroïka pour la « démocratisation de l’Etat et de la société. »

La véritable nature de ce genre de « démocratie », dirigée contre les travailleurs, est devenue évidente lors de la récente grève des mineurs en Union soviétique et la réaction de la bureaucratie de Moscou sous Gorbatchev à cette grève. Cette grève ne visait pas seulement les conditions de vie et de travail misérables mais avant tout le contenu et les conséquences de la Perestroïka, l’introduction de l’économie privée capitaliste par le biais des coopératives. La revendication de la grève était par contre de placer la production et la répartition des profits sous le contrôle des travailleurs. La réponse de Gorbatchev y fut l’adoption d’une loi anti grève. Cette loi rendra les grèves comme celle des mineurs illégales. Si une grève était permise, elle ne le serait que dans certaines industries et sous le strict contrôle de la bureaucratie, et ne pourrait pas être dirigée contre elle.

Tout comme en Pologne, la presse, la police et l’ensemble de l’appareil d’Etat reste entre les mains de la bureaucratie qui a simplement grossi ses rangs en y incluant des arrivistes et des nouveaux riches issus de la classe moyenne dans le but de faciliter sa mutation en une nouvelle classe capitaliste dirigeante et intervenir contre la classe ouvrière.

Le massacre sanglant de Beijing et le recours à l’armée en Ukraine et en Géorgie contre les manifestants montrent que les soi-disant réformes, cette démocratie bourgeoise, voire la restauration du capitalisme ne peut se faire qu’au moyen de la violence la plus brutale, par la terreur policière et avec l’aide des forces armées à l’encontre de la classe ouvrière. Ils constituent une illustration frappante du caractère mensonger des discours à propos de « dialogue » et de « réforme » de la bureaucratie stalinienne, de ses différentes ailes, qu’elle soit menée en Allemagne de l’Est par Honecker, Krenz ou Modrow, le premier secrétaire de district de la SED à Dresde, ou par Gorbatchev ou Ligachev en URSS. Tous deux, le gouvernement de Moscou et le régime à Berlin Est, ont applaudi la répression militaire des manifestations de Beijing.

Il n’y a pas de différences fondamentales entre Gorbatchev et Modrow d’un côté et Ligachev et Honecker de l’autre. Il n’existe que des différences au niveau tactique quant à la rapidité et aux méthodes requises pour imposer leur politique à l’encontre de la classe ouvrière. La raison pour laquelle la clique Honecker-Krenz ont jusque-là hésité à suivre la voie de Gorbatchev et de Jaruzelski n’est pas le respect des « principes du socialisme, » mais plutôt parce qu’ils sont pleinement conscients que cette voie, tout comme en URSS, en Chine et en Pologne, conduira à des grèves de masse et des soulèvements de la part de la classe ouvrière. Ces développements dépasseront de loin le soulèvement du 17 juin 1953, et la bureaucratie ne se sent pas à la hauteur pour leur faire face.

La démocratie ouvrière authentique, c'est à dire le contrôle exercé par la classe ouvrière, à travers des conseils ouvriers démocratiquement élus et révocables à tout moment, sur la production, le commerce extérieur, la distribution des marchandises, sur toutes les affaires sociales telles la santé et l’éducation, la presse, la milice ouvrière et toutes les institutions d’Etat, une telle démocratie prolétarienne ne peut en conséquence jamais être réalisée en soutenant l’une ou l’autre aile de la bureaucratie mais uniquement par la mobilisation révolutionnaire pour le renversement de la bureaucratie en général !

Réforme, démocratie bourgeoise, c'est à dire dictature du capital d’un côté ; ou révolution, démocratie ouvrière et socialisme de l’autre, il n’y a pas d’autre voie, d’autre alternative pour la classe ouvrière en Allemagne de l’Est et de l’Ouest. Ceci découle inévitablement de la nature de classe du régime dirigeant en Allemagne de l’Est.

Le gouvernement auquel la classe ouvrière a à faire face en Allemagne de l’Est, de par l’Europe de l’Est et en Union soviétique n’est pas un « gouvernement socialiste », un « gouvernement ouvrier » qui fait des erreurs ou fait preuve de faiblesse. Si c’était le cas, une pression exercée d’en bas le rendrait plus démocratique ou plus favorable envers les travailleurs. Cependant, comme le montre l’histoire tout entière de ce régime, il est totalement contre-révolutionnaire en défendant ses privilèges et son despotisme avec les mêmes méthodes d’Etat policier, d’arrogance et d’absolutisme que celles employées par le vieil Etat prussien. L’existence et le pouvoir même de cette bureaucratie sont inconciliables avec les intérêts et les aspirations de la classe ouvrière. En effet, l’existence de la bureaucratie est la principale raison de l’exode massif d’Allemagne de l’Est et de la pénurie croissante de l’approvisionnement. Quelle que soit à présent la volonté du gouvernement SED de vouloir « rechercher les causes » et « mener un dialogue », il ne nommera bien sûr jamais et abolira encore moins, cette cause principale. Hypocritement, il prétend parler au nom du « socialisme », mais en réalité, placé au service de la bureaucratie du Kremlin et de l’impérialisme, son rôle est de barrer à la classe ouvrière la route vers la révolution socialiste.

A suivre

(Article original paru le 5 novembre 2009)

 

 


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