Les dirigeants politiques et les chefs des banques centrales réunis
pour le sommet du G20 des principales économies ce week-end à Pittsburgh ont
devant eux la tâche de masquer des conflits de plus en plus patents et acerbes
sur une politique de redémarrage de l’économie mondiale et celle de prévenir un
nouveau désastre financier.
Une année après avoir évité de justesse un effondrement du
système financier, les engagements pris pour une coordination mutuelle et un
rejet de politiques protectionnistes au dernier sommet du G20 en novembre à
Washington et à celui de Londres en avril sont éclipsés par les divisions
existant à propos de la politique économique. Les divergences correspondent aux
intérêts nationaux des élites dirigeantes des Etats-Unis, d’Europe et des
puissances montantes d’Asie et d’Amérique latine, en premier lieu la Chine.
Mardi, un responsable allemand répondit au « Cadre
d’action pour une croissance durable et équilibrée » soumis par
l’administration Obama en avertissant que « les différences
s’élargissaient ».
Moins de deux semaines avant le sommet, l’administration Obama
annonçait une taxe de 35 pour cent sur les exportations de pneumatiques en
provenance de Chine vers les Etats-Unis, provoquant des menaces de représailles
contre les exportations américaines d’équipement automobile et de volaille et
faisant ressurgir le spectre d’une guerre économique entre la première et la
troisième économie du monde.
Le « cadre d’action » proposé par les Etats-Unis est
dans l’essentiel une tentative de faire porter le fardeau de la crise déclenchée
par l’effondrement du système bancaire américain sur les principaux rivaux de
Washington au niveau mondial. Cette orientation nationaliste est couchée dans
le langage altruiste de la coopération et de la « maîtrise des
déséquilibres mondiaux ».
Les Etats-Unis agissent cependant à partir d’une position
considérablement plus faible que dans les crises précédentes. Le Wall
Street Journal de mercredi relevait « un déplacement de pouvoir dans
le monde depuis la crise financière asiatique d’il y a une décennie ». Ce
journal ajoute : « le trésor américain […] déterminait alors en
grande partie la stratégie mondiale, mobilisant le FMI pour qu’il l’aide et
pour qu’il finance généreusement les plans américains. »
« Cette fois-ci, le système financier américain étant au
cœur du problème, et les grandes nations en développement jouant un rôle de
plus en plus important du point de vue économique, le [secrétaire au Trésor
Thimothy] Geithner a dû adopter une approche beaucoup plus subtile. La
reconnaissance de la culpabilité des Etats-Unis fait partie de cette approche. “Il
construit un consensus plutôt qu’il n’a recours à la coercition” dit Eswar
Prasad, économiste de la Brookings Institution ».
Une partie de cette approche plus « subtile » est de
tirer la Chine, l’Inde, le Brésil et d’autres économies émergentes du côté
américain en approuvant, comme partie essentielle de son « cadre
d’action », une augmentation de leur droit de vote au FMI (Fonds monétaire
international), ce qui est désapprouvé par les puissances européennes, dont le
poids au sein du FMI serait ainsi diminué.
L’agence Associated Press résuma l’altération, visible au
sommet de Pittsburgh, dans la position des Etats-Unis en ces mots :
« Avec des déficits se montant à des billions de dollars et un dollar
affaibli, les Etats-Unis n’ont pas le poids qu’ils avaient il y a un temps dans
les sommets économiques. A présent l’Allemagne, la France et tous les autres
joueurs nouveaux, des pays comme la Chine et le Brésil, mettent en avant leurs
propres problèmes. »
L’endroit lui-même où s’est tenu le sommet est un symbole. Le
déclin de l’industrie sidérurgique dans ce qui fut autrefois son centre
mondial, exprime, sous forme concentrée, le déclin de l’industrie des
Etats-Unis et la décadence du capitalisme américain.
Cela dit, les Etats-Unis ont toujours un pouvoir énorme,
partiellement et précisément à cause de leurs déficits budgétaire, commercial
et de la balance des paiements massifs. Des pays comme la Chine et le Japon qui
détiennent des milliards de dollars en bons du Trésor considèrent un
effondrement du dollar comme une catastrophe pour leurs propres économies et
ceux dont les économies dépendent fortement des exportations – la Chine, le
Japon, l’Allemagne – ont un intérêt particulier immense à pouvoir accéder à un
marché américain qui a redémarré et qui croît.
Le « cadre d’action » de l’administration Obama
cherche, suivant les intérêts de l’élite financière et d’affaires américaine, à
tirer avantage de ce pouvoir. Il y a trois principales composantes de la
proposition américaine.
Tout d’abord, les Etats-Unis cherchent à obtenir un engagement
de la part des nations du G20 à s’occuper des déséquilibres économiques
mondiaux entre les nations débitrices, Etats-Unis en tête, et les nations qui
ont une balance des paiements excédentaire comme la Chine, le Japon et
l’Allemagne. Les Etats-Unis mettraient en œuvre une politique destinée à
réduire son déficit budgétaire — que l’administration Obama estime à 9 billions
pour la décennie a venir — et les nations excédentaires seraient obligées de
réduire leur dépendance vis-à-vis des exportations en augmentant, dans le cas
de la Chine, la demande intérieure et en faisant, dans le cas de l’Europe, des
soi-disant « changements structurels » pour augmenter les
investissements d’affaires.
S’il n’y a pas de sanctions prévues contre les nations qui ne
feraient pas les ajustements requis, le FMI superviserait cependant un
processus d’« examen par les pairs » qui pourrait faire pression sur
les pays qui ne joueraient pas le jeu.
La Chine et de façon plus prononcée encore l’Allemagne, ont
critiqué cette proposition qu’ils regardent comme un mécanisme pour attaquer
leurs excédents commerciaux. Ils sont d’autant plus sceptiques que les
Etats-Unis continuent de dominer au FMI.
Pour l’élite américaine, un tel « rééquilibrage » de
l’économie mondiale est lié à une attaque du niveau de vie de la classe
ouvrière américaine. Dans une interview donnée dimanche dernier sur CNN, Obama
lia la proposition américaine au G20 à la politique poursuivie par son administration
pour faire baisser la consommation intérieure.
« Nous ne pouvons retourner à une époque », dit-il
« où les Chinois et les Allemands ou d’autres pays nous vendent tout, où
nous prenons un tas de dette sur carte de crédit ou d’emprunts immobiliers,
mais où nous, on ne leur vend rien. »
Ce qu’Obama n’a pas dit, c’est que cette réduction de la consommation
américaine serait applicable à la masse de la population laborieuse, mais pas à
l’élite financière, et serait obtenue en maintenant un chômage élevé comme arme
de la baisse des salaires, accompagné de coupes sans précédent dans les
services sociaux tels que la Santé et les programmes d’assurance-santé publics
tels que Medicare, Medicaid et l’aide sociale.
L’exigence de « changements structuraux » dans les économies
européennes est un euphémisme qui signifie en fait le démantèlement de ce qui
reste de protection sociale pour les ouvriers et d’autres mesures destinées à
ouvrir ces économies plus encore aux marchandises et aux investissements américains.
La bourgeoisie européenne, qui mène sa propre attaque des conditions de vie de
la classe ouvrière s’inquiète des implications politiques de mesures
ostensibles et précipitées pour éliminer les protections encore existantes
contre les licenciements et pour imposer des standards « à
l’américaine » dans le travail.
Le second volet du « Cadre d’action » américain est
l’exigence d’impératifs de réserves de capital plus contraignants pour les
banques. Geithner demande un accord sur de tels impératifs pour la fin 2010 et
leur mise en œuvre pour la fin de 2012.
Les européens y voient une tentative de mettre leurs secteurs
bancaires en position de désavantage par rapport aux banques américaines. Les
grandes banques américaines ont déjà des réserves de capital plus importantes
que leurs concurrentes européennes en partie à cause de l’énorme ampleur du
plan de sauvetage de Wall Street et elles pourraient plus facilement honorer de
telles exigences.
La ministre française des Finances Christine Lagarde a dit, dans
une interview donnée la semaine dernière, de la proposition américaine,
que toutes les banques du monde devraient être plus fortement capitalisées
qu’elles ne l’étaient avant la crise. Elle ajouta que ce serait le comble de
l’ironie si l’aboutissement d’une série de règlements était de favoriser, au
détriment des autres, un groupe de banques ayant dû être massivement
restructuré à l’aide de fonds publics.
La troisième composante du « cadre d’action » américain
est de donner aux principales puissances économiques montantes plus de pouvoir
dans les décisions du FMI.
L’Angleterre dont l’économie est très largement dépendante du
rôle joué par son secteur bancaire en tant que centre financier mondial, s’est
de façon générale alignée derrière les propositions des Etats-Unis. Elle veut
incorporer des sanctions vis-à-vis de ses rivaux européens au moyen d’un
« mécanisme déclencheur » entraînant des pénalités contre les pays
qui manqueraient à ajuster leurs politiques d’exportation et de réduire leurs
excédents de la balance des paiements.
L’Allemagne et la France ont critiqué le fait que les
Etats-Unis insistent sur les déséquilibres économiques mondiaux comme étant le
prétexte d’imposer un ordre du jour qui leur est favorable et appelèrent, au
contraire, à une réglementation internationale plus stricte des banques. Ils
cherchent par là à prendre avantage du déclin du prestige et de l’influence de
Wall Street afin de renforcer leurs propres secteurs bancaires.
Ils ont essayé de poursuivre leur propre ordre du jour anti-Etats-Unis
sous le mot d’ordre de la limitation des bonus des banquiers. Le président
français Nicolas Sarkozy en particulier, a appelé à imposer des limites aux
revenus des banquiers. Dans la période qui a précédé le sommet lui et la
chancelière allemande Angela Merkel ont cependant fait marche arrière, essayant
de fabriquer une résolution n’imposant pas de contraintes sérieuses et étant
acceptable pour les Américains.
L’économiste de la Brookings Institution, Prasad, dit du
sommet qu’il y avait encore « un chiasme sur les question macroéconomiques ».
Il ajouta : « la Chine continue de considérer le cadre d’action
proposé comme une manœuvre sournoise de la part des Etats-Unis pour détourner
l’attention de son déficit fiscal massif ».
Le Wall Street Journal cita Simon Johnson, un ancien
économiste en chef du FMI qui appelait la proposition américaine « de la
rhétorique creuse » ayant déjà été essayée et ayant échoué dans le passé.
Le résultat probable de ces conflits d’intérêts sera une
résolution du G20 sans aucun pouvoir et qui ne fait rien pour traiter les
problèmes systémiques qui ont conduit à la crise économique la plus grave
depuis les années trente et a ouvert la voie à une nouvelle éruption de
nationalisme économique et à une nouvelle aggravation des tensions
internationales.
Il n’y a aucune base pour une réponse coordonnée et
rationnelle, au niveau international, à la crise économique dans le cadre du
capitalisme. La crise actuelle représente un effondrement du système
capitaliste lui-même, soudé au système des Etats-nations et qui se trouve en
contradiction avec le développement de l’économie mondiale. La crise a
déclenché une nouvelle curée parmi les principales puissances pour le contrôle
des marchés et des sources de main-d'œuvre à bon marché, un conflit qui
conduit, à moins qu’il ne soit résolu par la mobilisation de la classe ouvrière
internationale dans une lutte pour le socialisme, vers une pauvreté croissante
et à la guerre.