Les appels belliqueux
du président français, Nicolas Sarkozy, à agir contre les installations
nucléaires iraniennes ont été accueillis avec surprise et satisfaction par les
médias américains. Le soutien de Sarkozy à la ligne dure de Washington contre
l’Iran fait partie des efforts plus généraux déployés par l’impérialisme
français pour élargir sa sphère militaire et géopolitique mondiale. Ceci inclut
les interventions entreprises au Kazakhstan et à Djibouti.
Le Washington Post du 1er
octobre a fait savoir que :
« La semaine dernière, à l’occasion de l’assemblée générale de l’ONU à New
York, [Sarkozy] a durci son discours en disant que la main tendue avait été refusée
dans ce qui semblait être un défi à Obama, et se demandait s’il valait la peine
d’attendre un geste en retour. » Le Post cite Sarkozy disant
sèchement, « Entre-temps, les centrifugeuses continuent de tourner. »
Dans un commentaire intitulé « La pique
atomique française », le Wall Street Journal écrivait le 29
septembre, « Nous n’aurions jamais cru qu’un jour le président de France
ferait preuve de plus de détermination que le commandant en chef des Etats-Unis
en réponse à l’un des plus sérieux défis sécuritaires au monde. Mais c'est le
cas. »
L’Allemagne et la France sont respectivement
le premier et le quatrième investisseur les plus actifs en Iran. Sarkozy, en
rupture avec la tradition nationaliste gaulliste pour une certaine indépendance
par rapport aux Etats-Unis, est parvenu à la conclusion que la meilleure façon
de défendre les intérêts du capitalisme français en Iran et de par le monde
passerait par l'étroite collaboration avec les Etats-Unis. Ceci
signifie une implication active dans les guerres néo-coloniales menées par les
Etats-Unis pour s’assurer le contrôle de l’exploitation des ressources de la
région. La décision prise l’année dernière par la France de réintégrer le
commandement de l’OTAN en révoquant la décision de retrait de 1966 de Gaulle,
s’inscrit pleinement dans le processus de Sarkozy de s’écarter du gaullisme
traditionnel.
La politique étrangère du président français
est motivée par l’intensification de la concurrence géostratégique entre
grandes puissances pour les ressources énergétiques mondiales, tandis que
l’Europe et les Etats-Unis sont de plus en plus défiés par la Chine. La crise
économique mondiale accélère ce processus. La principale raison de cette ruée
sont les énormes dépôts de gaz, de pétrole et autres ressources stratégiques
d’Asie centrale et du bassin de la Mer Caspienne.
En juillet 2008, un livre blanc exposant les
projets militaires de la France pour les quinze prochaines années préconisait
une « concentration sur un axe géographique prioritaire, allant de
l’Atlantique jusqu’à la Méditerranée, au golfe Arabo-Persique et à l’océan Indien. »
Le document poursuit, « Cet axe correspond aux zones où les risques
impliquant les intérêts stratégiques de la France et de l’Europe sont les plus
élevés. »
Sarkozy a justifié sa position dure envers
l’Iran en suggérant que si Israël voyait trop peu de détermination de la part
des Etats-Unis, il pourrait agir tout seul et porter des frappes aériennes
contre les installations nucléaires iraniennes, une action qui aurait des
conséquences incommensurables. Pour le moment, la menace d’un embargo,
notamment sur le pétrole raffiné, est soulevé dans l’espoir d’obliger le
gouvernement du président Mahmoud Ahmadinejad à abandonner le programme
nucléaire.
La question de la possibilité pour l'Iran de
développer l'arme nucléaire est exagérée afin de servir de prétexte à l'effort
de l’impérialisme américain de créer en Iran un régime disposé à laisser les
groupes américains exploiter ses réserves de pétrole et de gaz, comme c’est
présentement le cas dans l’Irak occupé.
La rhétorique anti-Iran de Sarkozy fait
partie de sa campagne islamophobe d’interdire le port de la burqa. Ces deux
éléments visent à influencer l’opinion publique française et à organiser un
soutien pour le militarisme français grandissant. Un sondage publié au
printemps dernier a révélé que 68 pour cent de la population française
désapprouvaient l’envoi de troupes en Afghanistan et seulement 15 pour cent se
sont dit en faveur.
Dans le même temps, l’échec des Etats-Unis à
créer un Irak stable, cela reste un bourbier militaire où quelque 120.000
soldats américains sont déployés, et les difficultés de plus en plus grandes à
réprimer la résistance afghane, ont affaibli le gouvernement Obama et la
crédibilité de l’impérialisme américain. La France, tout comme les autres
rivaux des Etats-Unis, a bien l'intention de tirer parti de cette situation.
La visite de Sarkozy au Kazakhstan
Le 6 octobre, Sarkozy était en visite au
Kazakhstan. Le Monde écrivait ce jour-là, « L’intérêt du Kazakhstan
pour la France est avant tout géostratégique. Il veut en faire son allié
privilégié en Asie centrale, comme le Brésil en Amérique latine, l’Egypte en
Afrique, et l’Inde en Asie. En pleine guerre d’Afghanistan, la France veut
aussi sécuriser l’approvisionnement et le transit des trois mille soldats
français déployés dans ce pays. Elle a signé à cet effet un accord. »
Les intérêts géostratégiques auxquels Le
Monde fait allusion comprennent en grande partie la finance, la défense, le
matériel militaire et la sécurité des approvisionnements en énergie. Sarkozy
était accompagné de représentants d’entreprises françaises. Les deux pays
auraient signé 24 contrats d’un montant total dépassant 6 milliards de dollars.
Comme Le Monde le remarquait :
« Paris veut aussi être en mesure de contourner la Russie pour
s’approvisionner en hydrocarbures. Total et GDF Suez ont ainsi formalisé leur
participation à l’exploitation du champ gazier de Khvalinskoye, pour un
milliard d’euros. »
Ils ont obtenu une participation de 25 pour
cent (1 milliard d’euros) sur un futur champ gazier et pétrolier situé en mer Caspienne qui devrait être développé
conjointement par la firme pétrolière russe Lukoil et la société d’Etat kazakh
KazMunaiGas. La production devrait entrer en service en 2016. Le champ est
censé produire jusqu’à trois mille milliards de mètres cubes de gaz par an.
« Un consortium dirigé par la firme
française Spie-Capag a signé un protocole d’accord s’élevant à 1,2 milliard de dollars pour la construction d’un
oléoduc (Yeskene-Kurik) reliant le champ pétrolier kazakh de Kashagan au port
d’Aktau sur le littoral de la Mer Caspienne. »
Le Financial Times écrivait le 6
octobre : « La région devrait jouer un rôle important pour
contrebalancer la domination de l’OPEC sur les marchés pétroliers dans les deux
décennies à venir. Kashagan, l’un des plus gros champs pétroliers du monde,
serait opérationnel en 2012 pour produire finalement plus de 1,5 million de barils de pétrole. »
Le groupe nucléaire français Areva a signé
un accord avec le Kazakhstan qui dispose de vastes réserves d’uranium et qui
transfère 10 pour cent de sa production vers la France. D’autres accords
commerciaux ont également été signés, y compris des contrats ayant trait à
l’aéronautique, aux transports et au matériel militaire pour les forces armées
kazakhes.
Le Kazakhstan n’a pas de frontière avec
l’Afghanistan mais a une frontière commune avec deux autres pays d’Asie
centrale, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, qui eux sont voisins de
l’Afghanistan. Tous ces pays sont d’importants alliés dans la guerre des
Etats-Unis et de l’OTAN contre l’Afghanistan et fournissent aux Etats-Unis des
passages pour l’acheminement de matériel aux troupes qui y sont stationnées.
« Nous avons besoin du Kazakhstan pour
résoudre la crise en Afghanistan et en Iran et pour établir de nouvelles
relations avec nos amis russes dans la lutte contre les extrémismes, » a
dit Sarkozy après la signature d’un accord de transit avec le Kazakhstan.
Selon une dépêche du 6 octobre de l’Associated
Press, « Ces accords fournissent à l’OTAN une importante alternative
au Pakistan où des convois d’approvisionnement en route vers l’Afghanistan ont
été attaqués par des insurgés. »
La présence de la Chine dans la région
montre que ce pays dispose d’un potentiel pour poursuivre ses propres intérêts
aux dépens de ses rivaux européens et américains. Le Financial Times du
1er octobre signale que « Depuis ces dernières années, la Chine
est en train d'augmenter ses investissements en Asie centrale, notamment au
Kazakhstan avec lequel elle a une frontière en commun. Le Kazakhstan s’efforce
de répartir équitablement ses intérêts géopolitiques entre les puissances
rivales que sont la Russie, la Chine, les Etats-Unis et l’Europe, mais la crise
économique la pousse davantage dans les bras de la Chine. »
Le journal ajoute, « En avril, la Chine
a prêté 10 milliards de dollars au Kazakhstan pour assurer de futurs
approvisionnements de pétrole et pour payer l’acquisition par China National
Petroleum Corp. (CNPC) d’une part équitable de 50 pour cent de
Mangistaumunaigas, un producteur de pétrole kazakh indépendant. Le CNPC allonge
également un oléoduc du Kazakhstan à sa frontière nord-ouest et construit un
nouvel oléoduc pan-Asie centrale pour acheminer du gaz à la Chine. »
Le Financial Times cite un analyste
géopolitique disant : « Compte tenu de l’ampleur de l’investissement
chinois dans ce pays, il semblerait à présent impossible pour le Kazakhstan de
prendre une décision de politique étrangère allant à l’encontre de la volonté de
Beijing. »
La France prend en charge la formation des
troupes somaliennes à Djibouti
Le secrétaire d’Etat aux Affaires
européennes, Pierre Lellouche, a effectué du 9 au 11 octobre une visite de
trois jours à Djibouti. Ce déplacement a mis l’accent sur une plus forte
présence militaire de la France dans la région et la volonté de l’Union
européenne de s’établir comme une puissance militaire mondiale capable de
concurrencer les Etats-Unis. En tant qu’ancienne colonie française
stratégiquement située sur le golfe
d’Aden, emplacement de la plus importante base militaire française d’outre-mer,
Djibouti occupe l’extrémité méridionale de la région du Moyen-Orient riche en pétrole et en gaz.
La France est également fortement impliquée
dans l’«Opération Atalante », l’opération de l’UE pour combattre les actes
de piraterie au large des côtes somaliennes. Un communiqué officiel publié par
la Diplomatie Française et concernant la visite de Lellouche à Djibouti
dit, « Ce déplacement, qui coïncide avec la visite à Djibouti des ambassadeurs
du comité politique et de sécurité (COPS) de l’Union européenne, permettra
également de mobiliser nos partenaires sur la nécessité de prolonger
l’«Opération Atalante » par une contribution de l’Union européenne au
renforcement de la sécurité dans la région. Celle-ci passe en premier lieu par
la consolidation de l’Etat en Somalie. C’est dans ce cadre que s’inscrit
l’initiative française de formation des forces de sécurité somaliennes, qui a
déjà permis de former 150 soldats somaliens à Djibouti. Nous agissons aussi
pour renforcer l’action en mer à travers la formation et l’équipement de
garde-côtes de pays de la région. »
La France assure présentement la formation
d’un bataillon somalien de 500 hommes dans le désert djiboutien pour remplir
les fonctions de gardes présidentiels et renforcer le fragile gouvernement
somalien de transition de Cheikh Charif Cheikh Ahmed qui est impliqué dans une
guerre civile avec les milices islamiques. Les Etats-Unis fournissent des armes
aux soldats par le biais de l’Amisom (la mission de l’Union africaine en
Somalie) et paient leur solde de 150 dollars US par mois. Le but de la France
est de faire passer le nombre de gardes à quelque 3.000 hommes.
Lors d’une conférence des bailleurs de fonds
en avril à Bruxelles, 144,8 millions d’euros ont été promis pour stabiliser le
pays, une grande partie étant réservée pour aller aux forces de sécurité.
Sarkozy a déclaré lors d’une réunion des ambassadeurs le 26 août que « la
France ne laissera pas Al-Qaïda installer un sanctuaire à notre porte en
Afrique. »
Lellouche a
invité les ambassadeurs de l’UE à venir au Camp Mariam, la base française à
Djibouti, et leur a demandé de contribuer à la formation de personnels
militaires et d'interprètes. Il les a également invités à participer à
une force militaire indépendante d’envergure mondiale pour l’impérialisme
européen : « Pour la première fois, les Européens peuvent prendre
eux-mêmes la décision de s’engager dans une zone lointaine qui concerne leurs
intérêts. »
Le manque
d’opposition partout en Europe de la part d’organisations telles le Parti La
Gauche en Allemagne et le Nouveau parti anticapitaliste en France est souligné
par un commentaire du Monde selon lequel l’intervention de la France en
Somalie n’a « pas fait l’objet du moindre débat public. »
Ceux qui proclamaient en 2003 avant
l’invasion de l’Irak que la « vieille Europe », à savoir la France et
l’Allemagne, influencerait à la retenue le militarisme américain, ont eu tort.
En 2003, ils pensaient pouvoir mieux servir leurs propres intérêts
impérialistes en s’opposant à la décision américaine de faire cavalier seul et
en réclamant le soutien officiel de l’ONU pour l’invasion. Mais, comme le dit
le proverbe, les impérialistes n’ont pas d’alliés permanents, ils n’ont que des
intérêts permanents.