Le 11 octobre, les sections européennes
du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) ont tenu une
réunion conjointe à Londres sur les enseignements à tirer de la Deuxième Guerre
mondiale.
L’événement avait été conjointement organisé par les Partis de l’égalité socialiste
(SEP) de Grande-Bretagne et d’Allemagne ainsi qu’avec la participation de
sympathisants du CIQI de France. Le président de séance, le secrétaire national
du SEP, Chris Marsden, a souligné la signification extraordinaire du
rassemblement de trotskystes européens pour un continent qui, par deux fois au
siècle dernier, a été mis à feu et à sang.
Julie Hyland s’adressant à l’auditoire
S’adressant à l’auditoire, Marsden a dit,
« Vous êtes venus ici non pas par intérêt général, mais en raison d’une inquiétude politique, une reconnaissance du fait
que nous avons à faire ici à des questions qui dépassent la simple curiosité
historique. Nous sommes venus ici pour débattre d'une question fondamentale de
perspective révolutionnaire à l’époque moderne, l’élaboration d’une perspective
révolutionnaire contre la guerre.
« Notre tendancecherche à offrir une voie aux représentants
les plus avancés de la classe ouvrière, notamment à sa jeunesse. Notre tâche en
tant que parti est d’éduquer et d’organiser cette avant-garde, comme la mémoire
historique de la classe, comme son commandement stratégique dans la lutte
contre le capital et ses défenseurs politiques. »
Barbara Slaughter du SEP britannique a pris
la parole en premier. Slaughter est le plus ancien membre du mouvement
trotskyste et un membre du comité central du parti. Jeune adolescente de douze
ans au début de la Deuxième Guerre mondiale, Slaughter a décrit l’impact qu’eut
la guerre sur une adolescente à la fois attirée vers le socialisme, mais privée de perspective révolutionnaire du fait de l’influence
exercée par le stalinisme sur elle-même et la génération de ses parents.
Elle a expliqué, « J’ai rejoint le
Parti communiste en 1945 à l’âge de 18 ans parce que j’identifiais le parti
avec l’héroïsme de la classe ouvrière russe pendant la guerre et parce que
j’étais dominée par la fausse impression que c’était un parti révolutionnaire.
J’étais déterminée, tout comme des millions d’autres, à ce qu'il n'y ait pas un
retour aux souffrances d’avant-guerre de la classe ouvrière et dont j’avais été
témoin…
« Il ne m’aura pas fallu longtemps pour
comprendre que le Parti communiste était loin d’être un parti révolutionnaire.
Mais je ne voyais pas d’alternative. Ce ne fut que lorsque je rejoignis le
mouvement trotskyste en 1958, après la Révolution hongroise de 1956, que je
compris la signification de toutes les expériences que moi-même et les millions
de travailleurs avions vécues avant, pendant et après la Seconde Guerre
mondiale. »
Slaughter dont la mère était originaire
d’Espagne a expliqué la signification de la trahison stalinienne de la
Révolution espagnole et la désorientation engendrée par la présentation par la
bureaucratie soviétique de la Seconde Guerre mondiale comme la « Grande
Guerre patriotique » contre l’Allemagne. Elle a aussi exposé les crimes
commis par l’impérialisme britannique contre la classe ouvrière allemande
pendant la guerre et qui sont de nos jours soit ignorés soit célébrés par
l’élite dirigeante britannique.
Françoise Thull a parlé de l’expérience des
travailleurs français sous l’occupation nazie et la collaboration du régime de
Vichy du Maréchal Pétain. Elle aussi a souligné le rôle du Parti communiste
dans le désarmement de la classe ouvrière par la politique de collaboration de
classes du Front populaire qui avait évité une confrontation révolutionnaire
avec la classe dirigeante lors de la grève générale de 1936.
La famille de Thull vient de la Sarre, une
région frontalière qui fut à tour de rôle dirigée par l’impérialisme français
et allemand. Après l’annexion de la région par Hitler suite au plébiscite de la
Sarre en 1935, ses grands-parents socialistes et leur fils aîné furent expulsés
vers la France. Son père avait servi dans l’armée française et participé aux
combats contre la Wehrmacht jusqu’à la mise en place du régime pétainiste. Son
oncle fut incorporé de force dans l’armée allemande et envoyé sur le front
russe. Il ne devait jamais revenir.
La bourgeoisie française a collaboré dans la
déportation et l’extermination de Juifs français, de personnes de gauche, de Tziganes, d’homosexuels et autres personnes, a
expliqué Thull. Après la guerre et « dans des conditions où la grande
majorité de la bourgeoisie française était profondément discréditée » les
staliniens « réprimèrent tout mouvement indépendant de la classe ouvrière.
Ce qui signifia la répression brutale des forces trotskystes actives en France.
Le Parti communiste lutta pour la restauration de l’Etat bourgeois,
c’est-à-dire le maintien de l’économie de profit aux dépens de la classe
ouvrière. »
Peter Schwarz, secrétaire du CIQI et un
dirigeant du SEP allemand, a expliqué à l’auditoire l’analyse de Trotsky de la
montée au pouvoir d’Hitler.
Le fascisme est issu des aspirations de la
bourgeoisie allemande à devenir une puissance européenne et mondiale. Mais ceci
impliquait à son tour la destruction du puissant mouvement des travailleurs
socialistes. « L’antisémitisme d’Hitler était en étroite relation avec sa
haine du mouvement socialiste, » a expliqué Schwarz. C’est pourquoi le
parti nazi a bénéficié du soutien de la classe dirigeante.
Peter Schwarz
Hitler ne fut en mesure de prendre le pouvoir
qu’en raison de la « faillite totale des grands partis ouvriers »,
les sociaux-démocrates (SPD) et le Parti communiste allemand (KPD).
Le SPD refusa de mener une lutte
révolutionnaire contre le fascisme. Au lieu de cela, il adopta la posture de
défenseur de l’appareil d’Etat allemand qu’il qualifiait de seule sauvegarde
contre Hitler.
La bureaucratie syndicale alla encore plus
loin en se dissociant du SPD trois mois et demi avant la prise de pouvoir
d’Hitler en jurant loyauté au régime nazi et en déclarant qu’elle
« mettrait à la disposition du gouvernement et du parlement l’expérience
et le savoir-faire qu’elle avait
gagnés. »
Le KPD, sous la tutelle de Staline et du Komintern, dénonça le SPD comme « sociaux
fascistes » en rejetant une lutte commune contre le danger fasciste.
« Trotsky lutta inlassablement pour une politique de front uni », a
dit Schwarz. « Ceci aurait permis au KPD d’utiliser la contradiction entre
la social-démocratie et le fascisme pour unir la classe ouvrière, pour gagner
la confiance des travailleurs sociaux-démocrates et pour révéler au grand jour
les dirigeants sociaux-démocrates. »
« Le refus du KPD d’accepter une telle
politique mena à la catastrophe allemande, » dit-il. Ce fut le refus des
partis de l’Internationale communistede même reconnaître cette défaite monumentale qui incita
Trotsky à appeler à la fondation d’une nouvelle Internationale, la Quatrième
Internationale.
Julie Hyland, membre du comité de rédaction
international du WSWS et membre dirigeant du SEP de Grande-Bretagne, a conclu
la réunion en expliquant comment la Deuxième Guerre mondiale était survenue de
la lutte pour l’hégémonie mondiale que s'étaient livrée les puissances
impérialistes rivales, notamment pour la domination du continent eurasien.
Elle a fait remarquer que la première
« stratégie eurasienne » moderne de la domination du monde fut
élaborée en Grande-Bretagne par le stratège impérial Halford Mackinder dans son
article de 1904, « Le pivot géographique de l’histoire. » En décrivant
les continents d’Europe, d’Asie et d’Afrique comme l'« île du
monde », Mackinder insistait sur le fait que « celui qui tient
l’Europe orientale tient la terre centrale[heartland] ; celui qui
tient la terre centrale domine l’île du monde [world-island]; celui qui domine
l’île du monde domine le monde. »
Actuellement il y a un regain d'intérêt
pour l’analyse de Mackinder parce que justement une lutte identique pour le
contrôle de « l’île du monde » et de ses
ressources est en cours, a expliqué Hyland, comme le montrent les guerres en
Afghanistan, en Irak et les menaces grandissantes proférées contre l’Iran.
« Comme le CIQI l’a souligné, une nouvelle bataille est engagée pour un
nouveau partage du monde, » a-t-elle dit. « Et bien qu’une
soixantaine d’années se soient écoulées, c’est comme s’il s’agissait d’une continuation, mais à un stade bien
plus avancé, de ce qui avait caractérisé la première moitié du 20e siècle. »
La nouvelle lutte « pour le contrôle
des matières premières et des ressources a une logique objective, » a dit Hyland.
« Jusque-là, la réaction de la bourgeoisie européenne avait été en grande
partie dictée par l’inquiétude quant à l’unilatéralisme américain. » Mais
ceci est en train de changer avec l’intensification des antagonismes entre
toutes les grandes puissances.
« Au cœur de la bataille pour la
suprématie mondiale se trouve l’assaut contre les conditions de vie et les
droits démocratiques de la classe ouvrière », a-t-elle ajouté, une offensive qui grandira avec l’aggravation de la
crise économique mondiale.
De nos jours, « Pour la première
fois dans l’histoire, plus d’un milliard de personne, soit près d’un habitant de la planète sur six, ont faim… Dans les pays développés, malgré les opérations de renflouement,
le chômage est en hausse partout et est utilisé pour faire baisser les salaires
et dégrader les conditions de travail. La vérité c’est, comme le disait Martin
Wolf de manière concise dans le Financial Times du 8 octobre, que ‘La
crise est une occasion en or pour imposer la discipline et faire des réformes’ », a dit Hyland.
« La guerre économique et la guerre
militaire présupposent un important réalignement social et une militarisation
accrue de la vie quotidienne dans tous les pays, » a expliqué Hyland.
C’est pourquoi l’opposition au danger de guerre et à la dévastation de la
position sociale de la classe ouvrière doit être menée en tant que lutte contre
l’ordre économique capitaliste et le système d’Etat-nation sur lequel il se
base, a-t-elle conclu.
L’auditoire a réagi avec enthousiasme à
la réunion et il y a eu bon nombre d’interventions de la part du public. Une
collecte a rassemblé plus de 2.700 livres Sterling (3.000 euros). Le World
Socialist Web Site publiera certains des discours tenus lors de la réunion.