De récentes déclarations du parti de droite, le MoDem
(Mouvement démocrate) selon lesquelles il envisage une alliance avec le Parti
socialiste (PS) signalent les préparatifs pour un virage à droite majeur de la
politique bourgeoise en France.
Devant l'échéance des élections régionales de 2010 et la
présidentielle de 2012, la bourgeoisie se trouve sans alternative évidente face
au président conservateur Nicolas Sarkozy. Avec les appels lancés au PS par le
dirigeant du MoDem François Bayrou, la bourgeoisie est en train de préparer les
bases les plus droitières d'une réorganisation de la gauche bourgeoise
insatisfaite, comprenant non seulement le PS, mais aussi le Parti communiste
(PC) et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), en une candidature viable pour la
gouvernance.
Dans son discours final à l'université d'été du MoDem qui
s'est tenue du 4 au 6 septembre à la Grande-Motte, Bayrou a déclaré vouloir un
dialogue avec l'opposition pour construire une alternative crédible. Il a dit,
« Ma conviction est qu'il faudrait que tous les Français puissent
comprendre, au travers de leurs échanges, ce que pensent les familles
politiques qui veulent une alternance. »
Il a proposé d'organiser un « parlement de
l'alternance » dans lequel le MoDem et le PS exploreraient un accord politique
potentiel. Il est significatif qu'il n'ait pas proposé de faire liste commune,
mesure qui serait au désavantage du MoDem et de Bayrou lui-même par rapport au
PS qui est un parti beaucoup plus grand. Au contraire, il a laissé ouverte
l'option de présenter des candidats indépendamment, après que sa candidature a
été revigorée du fait des négociations publiques avec le PS qui est depuis
longtemps le parti de la gauche gouvernementale de la bourgeoisie française.
Bayrou a souhaité que : « chacun puisse venir
avec ses idées, sujet par sujet exposer et confronter sereinement et
publiquement ses accords et ses désaccords devant les Français. Après, on saura
clairement où sont les convergences et les différences, et même les
divergences. Et quand il y aura divergence, sur un grand sujet, qui tranchera ?
Ce sont les Français, et c'est à cela que sert le premier tour d'une grande élection. »
Un consensus en faveur d'une coopération avec Bayrou est
en train de se développer rapidement au sein du PS, dont d'importantes sections
recherchent depuis longtemps une alliance explicite avec le MoDem. Ségolène
Royal, candidate malheureuse du PS à l'élection présidentielle de 2007 est
depuis longtemps partisane d'une telle démarche. Elle avait fait appel à Bayrou
pour obtenir son soutien pour le second tour de l'élection de 2007 et prône
publiquement depuis une alliance PS-MoDem.
Suite à la proposition de dialogue de Bayrou, Royal a
signifié sa volonté d'y participer. Elle a qualifié la proposition de
« très intéressante » et ajoutée : « L'alternance se fait
forcément avec les centristes, j'ai toujours pensé cela. Cela correspond à un
mouvement de pensée dans la société française. Si on veut une alternance,
c'est-à-dire mettre fin au régime actuel qui fait tant de dégâts, il faut une
convergence des forces progressistes. »
Le 23 août, Vincent Peillon, membre du PS et partisan de
Royal, avait organisé une réunion visant à promouvoir une approche différente
pour rassembler le PS avec le MoDem, les Verts et le PC avant l'élection
présidentielle de 2012. L'ancien secrétaire du PC, Robert Hue y était invité
ainsi que Daniel Cohn-Bendit dirigeant des Verts et un membre dirigeant du
MoDem, Marielle de Sarnez.
Il est significatif que les factions opposées à Royal au
sein du PS signalent de plus en plus leur volonté d'envisager une alliance avec
Bayrou. A l'université d'été du PS, la première secrétaire Martine Aubry a
invité Bayrou à « clarifier sa position, » lui demandant s'il était
prêt à rejoindre le PS pour « un projet économique, social et écologique. »
Elle a dit qu'il pouvait « soutenir des listes de gauche pour les
régionales. »
Emergence d'un consensus de droite
A un niveau plus fondamental, cette proposition d'alliance
est l'admission publique de ce que les travailleurs qui ont une conscience de
classe savent depuis longtemps : la politique du PS est tout à fait
compatible avec celle de personnalités de droite comme Bayrou.
Ce n'est pas la première fois que le PS coopère avec le
MoDem. La dirigeante du PS et maire de Lille Martine Aubry avait fait alliance
avec le MoDem lors des élections municipales à Lille en mars 2008. Le maire PS
de Dijon François Rebsamen avait conclu un accord avec le MoDem et le PC au
premier tour des élections municipales de 2008. Le Monde a fait
remarquer que des alliances PS-MoDem sont en préparation pour les élections
régionales de 2010 dans plusieurs régions : Provence, Rhône-Alpes,
Bourgogne, Bretagne et la Vallée de la Loire.
Une alliance nationale fondée sur un dialogue public entre
le PS et Bayrou serait néanmoins un événement politique marquant, à savoir
l'abandon de l'opposition de façade du PS à la guerre en Afghanistan (Bayrou y
soutient le déploiement de la France) et de toute prétention à un programme de
gauche.
Jusqu'à présent, le PS s'est présenté, de façon typique et
totalement fausse, comme un parti prônant des améliorations limitées de la
condition de la classe ouvrière. François Mitterrand qui fut président de 1981
à 1995, avait remporté l'élection de 1981 sur un programme, vite abandonné, de
nationalisation et de réformes sociales. Le gouvernement du premier ministre
Lionel Jospin était venu au pouvoir en 1997 avec la promesse de limiter la
durée hebdomadaire de travail à 35 heures, bien que ses propositions aient
laissé tellement de zones d'ombre que les entreprises avaient profité de façon
significative de cette mesure avant qu'elle ne soit démantelée par Sarkozy
l'année dernière.
Depuis la défaite de Jospin aux élections de 2002, les
programmes électoraux du PS dérivent toujours plus à droite. La campagne de
Royal en 2007 avait été marquée par des appels à l'individualisme, au
libéralisme, au patriotisme et à la rhétorique du tout sécuritaire en faveur de
l'emprisonnement des jeunes délinquants.
Bien qu'associée, au sein du PS, à l'opposition aux appels
au libéralismede Royal, Aubry essaie aussi de préparer la base
politique à un virage à droite du PS. Dans sa rubrique publiée dans le Monde
le 27 août, elle a tracé les grandes lignes des propositions pour un
malthusianisme pseudo-écologique. Elle écrit : « Le postproductivisme
ne consiste pas à renoncer à produire, mais à définir une croissance sélective
pour produire utile, sobrement et proprement. Désormais, nous savons que
l'abondance n'est pas synonyme de bonheur. Le nouveau modèle exige un profond
changement dans la manière d'équiper nos villes, d'habiter, de consommer et de
se déplacer. »
Avec Bayrou le PS trouverait un allié ayant des références
de droite impeccables. Il a fondé après les élections de 2007 le MoDem,
successeur du parti UDF (Union pour la démocratie française) de l'ancien
président Valéry Giscard d'Estaing qui fut au pouvoir de 1974 à 1981. L'UDF
avait toujours participé aux gouvernements conservateurs gaullistes. Un certain
nombre de membres de l'UDF refusèrent de rejoindre le MoDem et créèrent le
Nouveau Centre qui est un partenaire majeur dans l'actuel gouvernement Sarkozy.
Son poste gouvernemental le plus important fut celui de
ministre de l'Education de 1993 à 1997 dans les gouvernements conservateurs
gaullistes des premiers ministres Edouard Balladur et Alain Juppé. Il avait à
cette époque proposé de supprimer le plafond des fonds publics alloués aux
écoles privées. Comme il s'agit en grande partie d'établissements catholiques,
les propositions de Bayrou avaient provoqué d'énormes manifestations laïques au
niveau national.
D'éventuelles autres formes politiquesd'une
alliance PS-Bayrou sont aussi en préparation. Il y a eu des appels répétés de
personnalités proches de Royal, dont Manuel Valls membre du PS et l'écrivain
Bernard-Henri Lévy, pour que le PS cesse de s'appeler « socialiste »
et se présente sous un nouveau jour politiquepour le parti de la gauche
gouvernementale de la bourgeoisie française.
En même temps, le groupe de réflexion associé au PS Terra
Nova, qui se qualifie de « progressiste » et non de socialiste, se
fait remarquer sur la scène politique. Il a organisé le consensus du PS autour
du projet de primaire présidentielle pour 2012, suivant le modèle italien de
primaire qui a mis au pouvoir le gouvernement droitier de Romano Prodi en 2006.
Terra Nova est aussi au premier plan de la collaboration du PS avec les projets
de Sarkozy de « souscription nationale » qui verrait le transfert de
fonds publics énormes vers les grandes entreprises.
Il est significatif que Bayrou lui-même ait fait un signe
en direction de Terra Nova dans son discours de la Grande-Motte en louant les
« les démocrates progressistes ». Citant les exemples de l'Inde, du
Japon et des Etats-Unis, Bayrou a déclaré : « Les démocrates
progressistes sont ceux qui font bouger le monde. »
On ne peut trouver plus claire démonstration du caractère
de classe de ce que préparent le PS et Bayrou que cette invocation de ces
gouvernements. Dans tous les cas, des politiciens faussement présentés au
public comme étant de « gauche » ont été introduits pour continuer et
étendre la politique de leurs prédécesseurs de droite. Le PS et Bayrou seraient
introduits pour remplacer Sarkozy et produire les mêmes effets.
En Italie, la coalition de centre-gauche conduite par
Romano Prodi est arrivée au pouvoir avec le soutien de l'ensemble de la gauche
officielle, notamment Rifondazione Communista (Refondation communiste.) Elle a
mis en place une politique d'austérité sociale avec notamment des attaques
massives contre les retraites et a soutenu le déploiement supplémentaire de
soldats en Afghanistan. Elle a perdu les élections en 2008.
Le récent effondrement électoral du Parti libéral
démocrate (PLD) qui a dirigé le Japon pendant des décennies a conduit à la
victoire du Parti démocrate japonais (PDJ.) Les personnalités à la direction du
PDJ sont d'anciens membres du PLD, y compris le dirigeant Yukio Hatoyama.
Depuis que le PDJ a remporté les élections, le représentant officiel du PDJ
Hirohisa Fujii a déjà annoncé des projets de coupes budgétaires
« substantielles » dans les dépenses publiques.
Aux Etats-Unis, l'élection d'Obama représente une
répudiation populaire du gouvernement de Bush qui l'a précédé. Mais depuis son
arrivée au pouvoir, Obama poursuit impitoyablement la politique pro-patronale
et militariste de son prédécesseur : des milliers de millions de dollars
sont accordés à Wall Street, les guerres en Afghanistan et en Irak sont
poursuivies, les salaires et les prestations sociales de l'industrie automobile
sont détruits et il y a des préparatifs de réduction draconienne du système de
santé sous couvert de « réforme. »
Des signes de soutien de la part de
« l'extrême-gauche »
La réaction de « l'extrême-gauche » française,
notamment du NPA d'Olivier Besancenot, est une adaptation cynique aux
manoeuvres électorales du PS. Ayant justifié son orientation en direction du PS
et de ses partis satellites tel le PC avec le slogan de luttes
« unitaires » de toute la gauche pour « battre la droite »,
elle laisse entendre à présent qu'elle pourrait aussi travailler avec des
sections de la droite. Ses réserves mineures quant à soutenir ouvertement le PS
et le MoDem sont totalement liées à son désir d'éviter de se discréditer
complètement aux yeux de l'opinion publique.
Dans sa déclaration du 8 septembre, le NPA avait
initialement pris un ton critique. Il avait fait remarquer qu'une alliance
PS-Bayrou serait « exactement le même scénario qui a conduit à la
catastrophe en Italie. Alliée au centriste Prodi, la gauche a d'abord battu
Berlusconi puis déçu les attentes populaires, ouvrant la voie à Berlusconi II.
Aujourd'hui, il ne reste plus un seul député de gauche au parlement italien. »
Il avait conclu sa déclaration en appelant un certain
nombre de partis, dont le PC (partenaire de coalition gouvernementale du PS
depuis les années 1980) et le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon (issu d'une
scission d'avec le PS) à « se rassembler. »
La pose d'hostilité adoptée par le NPA devant une
répétition de l'expérience italienne est à la fois hypocrite et fausse. Son
orientation organique vers les partis d'Etat de la gauche bourgeoise française,
et plus précisément le PC, le conduit inévitablement dans la voie empruntée par
ses co-penseurs italiens depuis 2007 dans l'organisation pabliste Sinistra
Critica. Les pablistes italiens avaient participé au stalinien Rifondazione
Comunista, qui fut une composante essentielle de la coalition de Prodi.
Aujourd'hui le NPA approfondit ses relations avec le PC, tandis que le PC et le
PS se rapprochent ensemble de Bayrou.
S'accrochant toujours plus étroitement au PS afin de
sauvegarder ses positions dans les conseils régionaux, le PC prépare des
alliances avec le PS au premier tour des élections régionales de mars 2010. La
dirigeante du PC Marie-George Buffet a invité le NPA à assister aux
« ateliers thématiques » conjoints du PC-PS disant que cela allait
« sortir la gauche de l'enlisement dans lequel elle s'enfonce face à
Sarkozy. »
Le PC est aussi étroitement impliqué dans les relations
qui se développent entre le PS et Bayrou. D'après le quotidien Libération du
11 septembre : « A Marseille, le député européen et vice-président du
MoDem Jean-Luc Bennahmias a déjà entamé les discussions avec les socialistes et
les communistes. »
C'est à Besancenot qu'il est revenu de donner un signal
codé laissant entendre que le NPA trouverait un moyen de travailler avec toute
coalition finalement mise au point par le PS.
Résumant une interview télévisée avec un certain nombre de
politiciens dont Besancenot, le magazine Marianne a écrit le 8 septembre :
« La proposition la plus concrète d’entente entre partis
d’opposition est venue d’où on ne l’attendait pas :
d’Olivier Besancenot ! Le leader du NPA l’a admis en préalable :
il y a des sujets sur lesquels son parti ne peut s’accorder avec les
autres formations politiques, mais il y a des combats, a-t-il ajouté, autour
desquels tous devraient pouvoir se retrouver, comme à l’occasion du
CPE. »
Cette référence aux protestations de masse de 2006 contre
le CPE (Contrat de première embauche) proposée par le premier ministre d'alors
Dominique de Villepin, est le signal indubitable que le NPA est prêt à travailler
avec des personnalités de droite afin de préserver son alliance avec le PC et
le PS.
En 2006, l'organisation qui a précédé le NPA, la Ligue
communiste révolutionnaire, avait travaillé avec les syndicats, le PC et le
ministre de l'Intérieur de l'époque Nicolas Sarkozy pour faire capoter le
projet de loi du CPE et mettre fin aux protestations de masse. Pour avoir
rassemblé au sein de l'UMP des partisans désireux de jeter aux oubliettes le
CPE, Sarkozy avait gagné une certaine crédibilité populiste qui l'avait ensuite
aidé à remporter les élections de 2007.
Les commentaires plus récents de Besancenot indiquent que
le NPA serait prêt à « lutter » à nouveau conjointement avec les
partis bourgeois, cette fois avec Bayrou comme partenaire de droite.
(Article original anglais paru le 17 septembre 2009)