Le 26 août, le président Nicolas Sarkozy a mis en place sa commission
chargée d'établir les « priorités stratégiques » concernant l'investissement
de l'argent qui sera collecté par un grand emprunt national au début de
2010. Les reportages des médias et la composition même de la commission
montrent clairement que le gouvernement Sarkozy prépare un transfert
d'argent en direction des grandes entreprises. L'extension de la dette
nationale entraîne une fois de plus une énorme redistribution de richesse
tenant les travailleurs à l'écart.
La commission est dirigée par deux anciens premiers ministres, Alain
Juppé du parti au pouvoir de Sarkozy (Union pour un mouvement populaire) et
qui avait perdu son poste du fait de la grève des cheminots de 1995, et
Michel Rocard du Parti socialiste (PS.) Ils vont diriger la préparation de
l'emprunt et de l'investissement d'Etat de quelque 80 à 100 milliards
d'euros. Il reste encore à décider de la manière de collecter cet argent,
soit par un emprunt sur les marchés internationaux soit par des bons du
Trésor proposés aux Français.
La commission devra rendre son rapport le 1er novembre.
Sarkozy a demandé à la commission qui compte 24 membres de penser « au-delà
de l’horizon de la crise » et sur «les
investissements les plus utiles dans une vision de long terme. » Les
propositions qui ont filtré dans les médias laissent clairement entendre que
les investissements seraient utilisés non pas pour remettre à flots des
industries durement touchées ou aider des travailleurs confrontés au chômage
et à des baisses de salaire, mais plutôt pour remplir les livrets de
commandes des grandes entreprises les plus puissantes de France et pour
renforcer la compétitivité française dans le domaine de l'industrie des
hautes technologies.
Le prêt sera utilisé pour ce que Sarkozy appelle « la
croissance de demain » dans trois « défis
majeurs, » à savoir « l’économie de
connaissance »(financement de l'université et des programmes de formation),
« la compétitivité des entreprises » et « les équipements industriel
innovants. » Ce grand financement qui est proposé au patronat
français pour qu'il s'équipe dans la guerre pour gagner des marchés se
justifie en vue du « renforcement des
entreprises innovantes et exportatrices, et en particulierde leurs fonds
propres, [qui] est plus strategique que jamais au moment où elles émergent
d’une crise exceptionnelle. »
Parmi les propositions possibles, on compte davantage de fonds pour le
programme de l'Airbus 350, l'extension du réseau TGV (Train à grande
vitesse), le financement d'un prototype de réacteur nucléaire de quatrième
génération et la recherche dans les énergies renouvelables et la bio et nano
technologie.
Un autre signe qui témoigne de ce que l'argent sera utilisé sans tenir
compte des intérêts du public, est qu'il n'a nullement été question de
nationaliser les entreprises qui recevront cette manne extraordinaire de la
part des contribuables français.
La composition de la commission pour le grand emprunt national souligne
encore plus le caractère pro-patronal de la commission.
Parmi ses membres les plus en vue on compte Denis Ranque, ancien PDG de
l'entreprise de défense et d'électronique Thalès; le directeur des affaires
publiques du géant de l'énergie nucléaire Areva, Edouard Philippe; le
président de la banque d'investissement Oddo Corporate Finance, Fatine Layt;
la fondatrice de Terra Femina, Véronique Morali qui est aussi une
conseillère clé de Laurence Parisot, présidente du Medef (la fédération des
patrons de France); Christian de Boissieu, président du droitier Conseil
d'analyse économique du premier ministre et Olivier Ferrand, le président
âgé de 38 ans, du groupe de réflexion Terra Nova, proche du PS.
Un autre membre notable de cette commission est Nicole Notat, ancienne
secrétaire générale du syndicat CFDT (Confédération française démocratique
du travail) et à présent une femme d'affaire. Elle avait soutenu le premier
ministre Alain Juppé en 1995 lorsqu'il avait transféré la dette de la
sécurité sociale sur le dos des travailleurs par son impôt CRDS
(Contribution pour le remboursement de la dette sociale.)
En un mot, l'élite politique française mobilise les ressources
financières de l'Etat derrière plusieurs de ses industries les plus
compétitives internationalement, notamment l'énergie nucléaire, les
transports, la haute technologie. Cela va attiser davantage les tensions
internationales avec les partenaires commerciaux tels l'Allemagne et les
Etats-Unis qui rivalisent aussi en ces domaines.
Il existe aussi une dimension militaire et stratégique significative à ce
projet d'emprunt national: L'expertise industrielle française, notamment
dans les centrales nucléaires et les systèmes d'armement, est cruciale pour
les projets d'extension de l'influence de l'impérialisme français à
l'étranger. L'installation récente d'une base militaire à Abou Dhabi était
liée à la vente de deux centrales nucléaires de construction française dans
ce pays. Le gouvernement français espère vendre davantage de ces centrales à
l'Arabie saoudite et à d'autres pays du Golfe.
Cette politique est en continuité directe avec la politique économique de
Sarkozy depuis que la crise financière mondiale a éclaté il y a un an: à
savoir le renflouement des intérêts impérialistes aux dépens des
contribuables, tout en imposant davantage de coupes sociales contre la
classe ouvrière.
Ce grand emprunt national va alourdir davantage encore la dette de l'Etat
qui s'élevait à la fin de 2008 à 1 327 milliards d'euros, soit 68 pour cent
du PIB. En 1978 la dette était de 5 pour cent. Le déficit budgétaire du
gouvernement a plus que doublé pour atteindre 109 milliards d'euros en
l'espace de 12 mois. La deuxième plus importante dépense du budget de l'Etat
est le financement des intérêts de la dette publique, qui s'élèvent à 50
milliards d'euros par an, ce qui représente 20 pour cent du budget.
A l'automne dernier, Sarkozy avait proposé une garantie d'emprunt de 360
milliards d'euros au secteur bancaire français ainsi qu'un « plan de
relance » de 26 milliards pour le secteur des affaires, notamment les
industrie de l'automobile et de la finance. Des mesures supplémentaires ont
accordé à 13 banques 68 milliards de prêts.
Malgré la crise des finances de l'Etat, Sarkozy continue à demander des
réductions d'impôt pour les grandes entreprises et les riches. La taxe
professionnelle ( taxe que les entreprises locales paient aux municipalités)
sera supprimée en 2010 et probablement pour toujours. Les municipalités
dépendent de cette taxe professionnelle pour 16 pour cent de leurs revenus.
Sarkozy a déclaré que « On ne peut plus avoir
tout notre système de fiscalisation basé sur la production si on veut garder
des emplois en France. »
Les ultra-riches de France continuent de profiter massivement de la
réduction du taux d'imposition sur les tranches les plus élevées que Sarkozy
a fait passer tout juste après avoir pris ses fonctions en 2007. En 2008, un
abattement d'impôt a été accordé à 18 893 personnes qui ont chacune reçu, en
moyenne, un chèque de 30 593 euros.
En même temps, il y a de nombreux reportages faisant état de projets
d'augmenter les attaques contre la classe ouvrière, parmi lesquels figure en
bonne place l'attaque de Sarkozy contre les retraites en 2007-2008. Le
Journal du Dimanche (JDD) a publié un mémo confidentiel du gouvernement
montrant qu'il a l'intention d'augmenter de 25 pour cent le forfait
journalier hospitalier non remboursable. Actuellement fixé à 16 euros par
jour, il devrait atteindre 20 euros. Une série de médicaments, dont les
analgésiques, ne seront plus remboursés par la sécurité sociale. Des postes
d'infirmiers et d'enseignants sont en train d'être supprimés, respectivement
20 000 et 13 500.
Le JDD a aussi rapporté que « le
gouvernement est tenté par une thérapie de choc, » c'est à dire par
des attaques massives, en réponse au déficit de 20 milliards d'euros de la
sécurité sociale cette année, déficit deux fois plus élevé que l'an dernier.
Il est tout à fait symptomatique de la décrépitude de l'establishment
politique français qu'aucune opposition ne se soit développée face aux
projets de Sarkozy, et que le PS participe activement à ces projets.
Le quotidien Le Monde a dit que la « composition
[de la commission] placée sous le signe de l’ouverture témoigne du souci du
chef de l'Etat de désamorcer les polémiques. » En fait, l'inquiétude
de Sarkozy témoigne principalement de la conscience qu'une opposition
politique significative à cette mesure pourrait facilement révéler au grand
jour son caractère de classe flagrant. La participation du PS et le silence
de « l'extrême-gauche » sont essentiels à la création d'une aura d'unité
nationale autour de cette proposition.
Le nouveau groupe de réflexion du PS Terra Nova, la force motrice
derrière l'adoption par le PS de primaire pour l'élection présidentielle
afin de consolider un candidat droitier du PS pour l'élection présidentielle
de 2012, est très impliqué. Michel Rocard est à la direction à la fois de la
commission pour le grand emprunt national et du comité scientifique de Terra
Nova.
Olivier Ferrand, président de Terra Nova fait partie des quatre membres
de la commission pour l'emprunt national qui rendront le rapport directement
à Sarkozy. Ferrand a travaillé pour l'ancien président italien Romano Prodi
à la commission européenne et était conseiller de campagne du
social-démocrate Dominique Strauss-Kahn lorsque ce dernier s'était présenté
à la nomination du candidat PS à la présidentielle de 2007. Strauss-Kahn est
à présent directeur général du Fonds monétaire international, après que sa
candidature à ce poste a été soutenue par Sarkozy.
Afin de créer davantage l'apparence d'un consensus national, Sarkozy
s'est une fois de plus tourné vers la bureaucratie syndicale. Après des
entretiens privés avec Bernard Thibault de la CGT (Confédération générale du
travail, proche du Parti communiste) Sarkozy a annoncé son accord avec
l'idée de Thibaut d'états-généraux de l'industrie qui débouchent sur « nouvelle
politique industrielle. »
Le porte-parole de l'Elysée, Raymond Soubie a expliqué que ces
états-généraux travailleraient « en parallèle » avec la commission. Thibault
a dit, «ces états généraux devront déboucher
sur une orientation politique définissant les atouts industriels du pays. »
Venant de la direction de la CGT, qui a supervisé la destruction de
larges sections de l'ancienne base industrielle française, tels le textile
et la sidérurgie, de telles remarques ont des relents profondément
sinistres. Pour un gouvernement aussi anti-ouvrier que celui de Sarkozy,
identifier les industries internationalement compétitive de France n'est que
le prélude à une attaque massive sur les industries considérées comme non
compétitives. Grâce à l'emprunt national de Sarkozy, d'immenses ressources
de l'Etat auront déjà été consacrées à la consolidation des entreprises les
plus fortes.
Tous les travailleurs ayant une conscience de classe doivent s'opposer de
façon implacable à ces tentatives de la bourgeoisie et des syndicats de
piller les finances de l'Etat et l'économie dans son ensemble pour la
défense les intérêts internationaux de l'impérialisme français.