Le Nouveau
Parti démocrate (NPD), soutenu par les syndicats, et le Bloc québécois (BQ) ont
voté vendredi dernier en soutien au gouvernement fédéral minoritaire formé du
Parti conservateur dirigé par Stephen Harper. Les conservateurs forment le
gouvernement canadien le plus à droite de mémoire d’homme.
Et le NPD,
le parti social-démocrate du Canada, a averti qu’il était prêt à
continuer à soutenir les conservateurs de Harper pendant des semaines et même
des mois. Pour cela, le NPD prend comme prétexte qu’il est nécessaire
d’assurer l’adoption d’un projet de loi sur
l’assurance-chômage que les conservateurs ont pondu en toute hâte. Ce
projet de loi offre une maigre amélioration de la couverture offerte par
l’assurance-chômage pour un petit pourcentage des 1,6 million de chômeurs
que compte le Canada.
« Nos
partisans préfèrent que nous travaillions pour eux plutôt que d’avoir une
autre élection dont personne ne veut », a dit le chef du NPD Jack Layton
devant les journalistes peu après que les 37 députés de son parti aient voté
pour la motion de voies et moyens pour octroyer les crédits pour le
budget conservateur de janvier dernier, budget contre lequel avaient voté le
NPD et le BQ.
Dans une entrevue publiée dans le journal La Presse de
samedi dernier, Layton ne s’est pas borné à défendre l’appui que
son parti a donné au gouvernement Harper en affirmant que le NPD veut obtenir
des « résultats concrets pour les gens », pas des
« apparences ». Il a indiqué que le NPD explorera si sa toute
nouvelle alliance avec le gouvernement Harper pourra se prolonger au-delà de
l’adoption de la loi des conservateurs sur l’assurance-chômage.
Quand La Presse lui demanda pour combien de temps il offrirait une
« stabilité à Ottawa », Layton a répondu : « Cela va
dépendre du premier ministre Harper… va-t-il essayer de répondre aux
propositions réalistes et importantes qui sont sur la table en ce qui concerne
les pensions, les frais des cartes de crédit, les changements
climatiques ? […] S'il répond à nos propositions, cela indiquera une
volonté d'avoir un Parlement qui fonctionne au lieu d'avoir un Parlement
toujours en chicane. »
Un parti indépendantiste basé au Québec seulement, le BQ a
une longue histoire de collaboration avec les conservateurs. Le BQ a donné à
maintes reprises les voix qu’il manquait aux conservateurs pour que ces
derniers puissent continuer à gouverner, principalement lors de son premier
mandat (de février 2006 à octobre 2008).
Le NPD, jusqu’à ce mois, se vantait de son refus de
soutenir les conservateurs lors des votes de confiance. Le chef du parti Jack
Layton était toujours prêt à comparer l’histoire d’opposition de
« principe » de son parti envers Harper à celle du BQ et plus
particulièrement à celle du Parti libéral, qui a voté 79 fois en faveur du
soutien du Parti conservateur au cours des trois dernières années et demie.
Les sociaux-démocrates mettaient encore plus l’accent
sur leur historique de votes anti-conservateurs depuis deux ans, alors
qu’ils allaient encore plus à droite. Premièrement, Layton et ses
néo-démocrates ont abandonné
leur opposition au rôle de premier plan que joue le Canada dans la guerre
contre l’Afghanistan. Ensuite, à la fin de l’automne passé, le NPD
a accepté d’être le partenaire junior d’une coalition dirigée par
les libéraux qui voulait mettre en œuvre la politique des conservateurs de
diminuer les impôts des compagnies de 50 milliards de dollars.
Lors du congrès national du
NPD le mois dernier, le leadership a mis sur la table une série de nouvelles
mesures de droite. Celles-ci incluaient l’élimination de toutes les taxes
sur les petites entreprises et le changement de nom du NPD pour le Parti
démocrate, afin d’insister sur son affinité avec le Parti démocrate
américain de Barack Obama et Hillary Clinton et sur son renoncement à toute
association, même ténue, avec les politiques indépendantes de la classe
ouvrière. « Nous voulons bâtir un parti où les libéraux et les centristes
peuvent se sentir les bienvenus », a expliqué le directeur national du
NPD, Brad Lavigne.
Les sociaux-démocrates,
avec le plein appui de leurs proches alliés dans la bureaucratie syndicale, ont
lancé une bouée de sauvetage aux conservateurs de Harper, fournissant
d’autres preuves, même si elles n’étaient pas nécessaires, que le
NPD est partie intégrante de l’establishment politique canadien et dédié
entièrement à la grande entreprise.
Après le vote de vendredi,
le leader du BQ, Gilles Duceppe, a affirmé que le soutien de son parti pour les
conservateurs était un évènement isolé, motivé par son empressement de voir le
parlement approuver un programme temporaire d’allègements fiscaux pour la
rénovation domiciliaire. Duceppe a écarté la proposition des conservateurs
d’« améliorer » l’assurance-emploi, disant que le projet
de loi C-50 ne fera rien pour les travailleurs de l’industrie forestière
en crise du Québec. Il a presque donné l’assurance que le BQ allait
appuyer la motion de non-confiance que les libéraux ont promis de présenter au
parlement lorsqu’ils auront une « journée de
l’opposition » tôt le mois prochain. « S’ils nous
demandent si nous avons confiance dans ce gouvernement [conservateur], la
réponse, a dit Duceppe, est claire : N-O-N, non. »
Le NPD a quant à lui
présenté les changements des conservateurs sur l’AE comme un « pas
dans la bonne direction », donnant de la légitimité à un projet de loi
cynique, dérisoire et, somme toute, réactionnaire. Selon les propres
estimations du gouvernement, seulement 190 000 travailleurs sans emploi
vont obtenir quelque chose de la législation. Ils recevront des allocations
additionnelles sur 5 à 20 semaines dépendamment du nombre d’années
qu’ils ont cotisé à l’AE.
Durant des mois, les
conservateurs se sont catégoriquement opposés à tout appel visant à améliorer
les prestations d’assurance-emploi. Harper est même allé jusqu’à
qualifier d’« augmentation de taxes » tout relâchement des
conditions d’admissibilité ou extension de la période
d’admissibilité. La semaine dernière, devant la menace imminente
d’une défaite au parlement et d’une nouvelle élection, les
conservateurs ont soudainement dévoilé un projet de loi pour améliorer
temporairement le régime d’assurance-emploi. L’objectif évident
était de fournir à Layton et au NPD (qui, depuis deux semaines, clamaient
qu’ils étaient prêts à « faire fonctionner le Parlement »,
c’est-à-dire conclure une entente pour garder les conservateurs au
pouvoir) un prétexte pour venir en aide au gouvernement. Et si ce pari
échouait, les conservateurs avaient anticipé que le projet de loi C-50 les
aiderait à se présenter devant l’électorat comme des « conservateurs
compatissants », modérés.
En concevant le projet de
loi C-50, les conservateurs ont non seulement ignoré toutes les propositions
des groupes de défense des chômeurs pour améliorer la couverture du régime
d’assurance-emploi, mais aussi toutes les suggestions faites par le NPD
et les deux autres partis de l’opposition. Notamment, il était question
de réduire et d’uniformiser la période d’admissibilité à 360
heures, d’étendre la couverture aux travailleurs à temps partiel et de
prolonger la durée au cours de laquelle les travailleurs pourraient recevoir
des prestations.
La loi C-50
est fondée sur la notion de l’époque victorienne du pauvre méritant ou
non-méritant. Toute personne qui a été prestataire de l’assurance-chômage
plus de 35 semaines au cours des cinq dernières années — par exemple, les
travailleurs saisonniers et un bon nombre des travailleurs mis à pied de
l’industrie de l’auto, de la foresterie ou d’un autre secteur
manufacturier — et toute personne qui n’aurait pas donné suffisamment
en cotisations d’assurance-chômage — les jeunes, les bas salariés
et les travailleurs à temps partiel — ne pourra pas avoir de prolongation
à son éligibilité à l’assurance-chômage.
Même les
bureaucrates syndicaux comme le président des Travailleurs canadiens de
l’automobile (TCA) Ken Lewenza ont décrit la loi C-50 comme ne donnant
que des « miettes ». Mais cela n’a pas empêché les TCA ou les
syndicats dans leur ensemble d’appuyer la décision du NPD de soutenir le
gouvernement Harper.
Quant à
Layton, il a dénoncé les critiques que ses alliés syndicaux et même
quelques-uns de ses députés ont faites de la loi C-50, disant que le NPD
continuera à faire pression pour des améliorations à la couverture de
l’assurance-chômage au moyen de lois privées (c’est-à-dire de lois
qui ne sont pas déposées par un membre du cabinet ministériel). « Il est
vrai », a dit le chef du NPD, « qu’il y a beaucoup de personnes
qui ont besoin d’aide qui n’auront rien avec cette loi, mais nous
avons déposé douze lois à la Chambre des communes pour tenter de remédier aux
problèmes de l’assurance-chômage, avec l’objectif d’aider les
travailleurs saisonniers par exemple ». Ces affirmations ne sont
qu’un leurre. Layton sait très bien que puisque c’est le
gouvernement qui contrôle les débats sur les lois au Parlement, les lois
privées ne sont jamais présentées devant le Parlement pour un vote.
Des proches
du NPD ont concédé que la véritable raison pour la soudaine volte-face du NPD
sur la question du soutien au gouvernement Harper est la crainte de pertes
électorales. Les plus récents sondages indiquent que l’appui au NPD est
moindre, et certains disent beaucoup moindre, que les 18 pour cent du vote
exprimé qu’il avait obtenu dans les élections d’octobre 2008.
Que le NPD
n’ait pas réussi à accroître sa base populaire dans le contexte de la
plus grande crise du capitalisme mondial et alors que l’on voit de plus
en plus de signes de la résistance de la classe ouvrière (comme dans les grèves
contre les concessions d’Inco et des cols bleus de la ville de Toronto)
en dit long sur les rapports des sociaux-démocrates avec la classe ouvrière.
Parmi de larges couches de la population, le NPD est identifié, et avec raison,
à l’impotence, aux manœuvres parlementaires, à l’imposition de
mesures d’austérité de droite (comme en Ontario, en Colombie-Britannique
et en Saskatchewan où le NPD a eu le pouvoir dans les années 1990) et aux
trahisons des bureaucraties syndicales.
Mais le
ralliement du NPD aux conservateurs n’a pas simplement
l’opportunisme électoral pour cause. Les sociaux-démocrates répondent, et
cherchent à satisfaire, aux opinions faisant consensus au sein de l’élite
dirigeante canadienne. La grande entreprise n’est pas en général en
faveur d’une élection fédérale actuellement parce qu’elle considère
que cela résulterait en un autre gouvernement minoritaire et qu’elle
cherche un gouvernement majoritaire pouvant prendre des décisions impopulaires.
C’est
ce qui était exprimé franchement dans une récente chronique de Jeffrey
Simpson, le principal chroniqueur sur les affaires nationales du Globe and
Mail, intitulée « S’il doit y avoir une autre élection, pas de
gouvernement minoritaire s’il-vous-plait ». On pouvait lire
« Alors que le Canada rampe hors de la récession et qu’il confronte
la question de la dette qui s’est approfondie, il faudra prendre des
décisions difficiles… Seul un gouvernement majoritaire, ou peut-être une
« grande coalition » des conservateurs et des libéraux comme celle
que l’on trouve en Allemagne aura le courage de prendre ces décisions
difficiles. Un autre gouvernement minoritaire, qu’il soit libéral ou
conservateur, choisirait la voie de moindre résistance en évitant les décisions
difficiles. »
La
direction du NPD est aussi très sensible à l’ampleur et à la force de
l’opposition qu’avait provoquée au sein de la classe dirigeante sa
tentative de former un gouvernement de coalition avec les libéraux en automne
dernier. Elle cherche activement à montrer qu’en dépit des dénonciations
emphatiques de Harper du NPD pour être « socialiste », on peut et on
doit lui donner une partie du pouvoir. En reniant ses « différences
idéologiques et partisanes » pour soutenir le gouvernement des
conservateurs de Harper, les sociaux-démocrates veulent montrer à la
bourgeoisie qu’elle peut leur faire confiance quant à la défense de ses
intérêts et que son opposition à la participation future du NPD à un
gouvernement de coalition n’est pas appropriée.
Les
événements depuis un an — tout d’abord l’alliance avec les
libéraux et aujourd’hui celle avec les conservateurs — soulignent
l’urgence pour la classe ouvrière d’amorcer la lutte pour
construire un nouveau parti politique, qui ne serait pas un parti électoral,
mais un parti de lutte de classe et socialiste et qui serait opposé aux
sociaux-démocrates et aux bureaucrates syndicaux.
(Article original anglais paru le 21 septembre 2009)