Omar Bongo, président du Gabon, est décédé le 7 juin d'un cancer des
intestins dans un hôpital espagnol, après être resté au pouvoir près de 42
ans. Mis à part ses démêlés avec la France au cours des dernières années, sa
carrière aura été consacrée à la défense des intérêts commerciaux et
stratégiques de l'impérialisme français en Afrique subsaharienne. Elle
témoigne de la faillite des régimes bourgeois-nationalistes auxquels la
France a confié le pouvoir lors de la décolonisation.
Politicien habile, Bongo conserva le pouvoir en plaçant les ressources de
son pays appauvri mais riche en pétrole entre les mains de compagnies
pétrolières et de politiciens étrangers. N'étant pas en mesure d'apporter
une solution aux fortes divisions internes et à la pauvreté du Gabon –
héritages de la domination coloniale française – le régime de Bongo ne s'est
maintenu que grâce à l'armée française. Faisant preuve d'un cynisme bien
représenté par ses conversions religieuses répétées dans des buts
politiques, il a amassé une immense fortune personnelle en prenant sa part
des revenus extorqués à son pays.
Après la mort de Bongo, la lutte pour sa succession a été confinée à
l'intérieur du parti dirigeant, le Parti démocratique gabonais (PDG), entre
sa fille Pascaline et son fils Ali. En fin de compte, Ali a été désigné
candidat du PDG et a remporté les élections du 30 août.
Omar Bongo est né Albert-Bernard Bongo dans une famille de fermiers de 12
enfants au Sud du Gabon. Orphelin à 12 ans, il est élevé par un oncle
travaillant pour l'administration coloniale. À 17 ans, il quitte ce foyer
pour Brazzaville, capitale du Congo français voisin, et y travaille au
bureau des postes.
À son arrivée à Brazzaville, il rejoint la franc-maçonnerie et la SFIO
(Section française de l'Internationale ouvrière) socio-démocrate. La
Franc-maçonnerie, une société secrète bourgeoise athée, avait maintenu une
longue tradition dans l'administration coloniale. Durant la seconde guerre
mondiale, elle aida à mobiliser des parties de l'administration coloniale
derrière de Gaulle, contre le chef du régime de Vichy collaborant avec les
Nazis, Philippe Pétain, qui persécutait les francs-maçons.
Bongo effectua son service militaire pour l'armée française de 1958 à
1960 dans les services de renseignement de l'armée de l'air où il atteignit
le grade de Lieutenant, puis il retourna brièvement travailler pour la Poste
dans la capitale gabonaise, Libreville. La même année, la France accordait
officiellement l'indépendance au Gabon.
Ses relations ouvrirent à Bongo les portes de la politique française ;
plus tard dans sa vie, Bongo plaisantera en disant qu'il avait toujours sa
carte de membre de la SFIO.
Plus important, Bongo faisait cette entrée dans la politique bourgeoise
française à un moment clef. Discrédité par sa capitulation devant
l'Allemagne nazie puis par ses guerres perdues pour conserver ses colonies
en Algérie et en Indochine, l'impérialisme français était occupé à
développer une couche de la petite bourgeoisie indigène pour protéger ses
intérêts dans l'appareil d'Etat local.
La décolonisation : une trahison des masses
À la conférence de Brazzaville en 1944, le chef de la
résistance bourgeoise, le Général Charles de Gaulle, promit d'abolir le Code
indigène discriminatoire qui était en place de longue date. Il présenta pour
le remplacer un vague plan où les Africains, selon ses propres mots,
« pouvaient s'élever peu a peu jusqu'au niveau où ils seront capables de
participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. » Le gouverneur
général de l'Afrique équatoriale française de l'époque, Félix Éboué, était
lui-même un noir, de Guyane, et également franc-maçon et socio-démocrate. Il
défendit à la conférence une politique d'« assimilation », qui fut acceptée.
La répression massive et les guerres coloniales qu'il
fallait mener pour maintenir le contrôle de la France dans les colonies se
révélèrent trop coûteuses pour l'économie française ravagée par la guerre et
trop impopulaires auprès de la classe ouvrière française. Entre 1945 et
1960, la France dépensa 32,5 milliards de Francs-or dans ses colonies, soit
le double de ce qu'elle recevait du plan Marshall américain pour la
reconstruction d'après-guerre. Comme le disait de Gaulle,« C'est un
fait, la décolonisation est notre intérêt, et donc c'est notre politique. »
Mais en même temps, l'impérialisme français n'avait aucune
intention d'abandonner le contrôle de ses colonies, d'où il tirait des
matières premières de grande valeur et une main d'œuvre à bas prix. Le
résultat fut ce que l'on appelle la Franceafrique : en échange du pouvoir
formellement accordé à une couche de la petite bourgeoisie africaine,
l'impérialisme français pourrait continuer à exploiter ses ex-colonies.
Bongo expliquera plus tard cet arrangement comme ceci : « Le Gabon sans
la France, c'est une voiture sans conducteur. La France sans le Gabon, c'est
une voiture sans essence. »
Si l'impérialisme français a été capable de mener à bien
cette politique, c'est d'abord grâce aux trahisons répétées des luttes de la
classe ouvrière par la SFIO et le Parti communiste français (PCF). Dans les
luttes insurrectionnelles lors de la libération du joug nazi en 1945, et
dans les multiples vagues de grèves d'après-guerre, ces partis ont mis leur
poids politique au service de De Gaulle qui a construit son régime en
gagnant le soutien des autorités françaises qui avaient dirigé le pays sous
les Nazis.
Les socio-démocrates et les staliniens l'ont aidé à mener
les luttes coloniales de la France, notamment par les politiques de guerre
appliquées par le Premier ministre Guy Mollet, de la SFIO, en Algérie.
La perspective nationale du PCF a également aidé
l'impérialisme français à recruter les cadres africains avec lesquels il
allait continuer à diriger l'Afrique. Les Groupes d'études communistes (GEC)
affiliés au PCF se sont liquidés dans une suite de partis
bourgeois-nationalistes africains regroupés dans le Rassemblement
démocratique africain (RDA) – dont le dirigeant le plus connu était le futur
président de la Côte d'Ivoire, Félix Houphouët-Boigny. Au Gabon, le RDA
était représenté par Léon Mba, futur président du Gabon et parrain de Bongo
en politique.
Le prolétariat étant politiquement étouffé par les
socio-démocrates et les staliniens, la bourgeoisie française allait pouvoir
déployer toutes ses ressources financières et militaires au Gabon – non pour
réparer les ravages de la colonisation mais pour piller ses ressources
naturelles et s'en servir comme d'une base pour ses intrigues en Afrique.
Les gaullistes ont créé un complexe système de réseaux et de
groupes de pression en Afrique, permettant à la bourgeoisie française non
seulement de réaliser des profits colossaux, mais aussi de planifier une
longue liste d'assassinats, de coups d'états et d'interventions militaires.
Le principal organisateur de ces réseaux était Jacques
Foccart. Ancien combattant de la résistance, Foccart était connu comme le «
Monsieur Afrique » de De Gaulle, puis des présidents Georges Pompidou et
Jacques Chirac. Foccart contribua également à la création du SAC (Service
d'action civique) – le service d'ordre du mouvement gaulliste qui participa
à de nombreux actes de violence contre des étudiants de gauche et des
grévistes en France.
Le régime qui se développa sous Bongo – une dictature à
parti unique tributaire du soutien militaire français pour réprimer les
masses à chaque crise interne majeure – correspondait parfaitement aux
besoins de l'impérialisme français.
La Franceafrique : comment Bongo arriva au pouvoir
Bongo fit rapidement ses premiers pas en politique, se servant de ses
relations dans la Franc-maçonnerie pour participer à la première campagne
électorale du Gabon indépendant, en 1961. Il parvint à se faire repérer et
courtiser par les deux principaux politiciens qui se disputaient le pouvoir
: Léon Mba et Jean-Hilaire Aubame.
Aubame était favorable à un régime parlementaire, alors que Mba préférait
une présidence forte. Bongo s'engagea finalement aux côtés de Mba, qui était
également le candidat favorisé par De Gaulle. Avant l'indépendance du Gabon,
Mba et Bongo avaient tous deux exprimé le souhait que le Gabon devienne un
département français, faisant formellement partie du territoire au même
titre que la Guadeloupe ou la Martinique, avec le drapeau français inséré
dans le drapeau Gabonais.
Ayant perdu les élections, Aubame accepta de devenir le Premier ministre
de Mba. Mais Mba ne lui faisait pas confiance et essaya de le faire
assassiner en 1963. Il échoua, ce qui produisit en retour un coup d'état qui
mit brièvement Aubame au pouvoir en 1964.
La France intervint en envoyant des parachutistes remettre Mba au
pouvoir. Bongo fut emprisonné durant ce coup d'état. On dit que c'est à
partir de cette expérience qu'il conclut qu'il ne pouvait pas faire
confiance à l'armée gabonaise, et qu'il valait mieux s'appuyer sur les
troupes françaises.
Bongo devint ministre de la défense en 1965, remplaçant Mba lorsque la
santé de celui-ci se détériora la même année. Il fut nommé Vice-président et
exerça l'intérim à la mort de Mba en 1967. Il déclara rapidement un système
de parti unique, dirigé par son propre parti, le Parti démocratique gabonais
(PDG).
Bongo transforma le Gabon en un poste avancé des intérêts français en
Afrique. Il aida la France à soutenir la guerre de sécession menée par la
province nigériane du Biafra, riche en pétrole. Foccart organisa l'envoi
d'armes au Biafra, les cachant dans des cargaisons d'aide humanitaire que la
Croix-Rouge envoyait par avions en utilisant l'aéroport de Libreville. Il y
envoya également de nombreux mercenaires, dont le plus connu des aventuriers
français, Bob Denard.
L'association caritative catholique Caritas participa également au
soutien logistique des combattants biafrais. C'est à ce moment-là, en 1968,
que Bongo se convertit au catholicisme et rendit visite au Pape Paul VI.
Bongo allait continuer à soutenir les interventions françaises en
Afrique. En 1977, il couvrit la tentative avortée du Président français
Valéry Giscard d'Estaing de renverser le dirigeant nationaliste du Bénin,
Mathieu Kérékou. Cette décision est remarquable : Bongo aurait pu aider ses
alliés gaullistes comme Jacques Chirac, qui étaient des opposants de
Giscard, en révélant l'affaire. Mais, sur ces questions, Bongo respectait
les intérêts stratégiques supérieurs de l'impérialisme français.
Le pillage du Gabon
Au début des années 1970, le pétrole devint la principale exportation du
Gabon. Le pays rejoignit l'OPEC en 1975. Pour préparer cette entrée, Bongo
s'était converti à l'Islam en 1973, sur les conseils du dictateur libyen
Muhammad Kadhafi, et changea son prénom en Omar.
L'industrie pétrolière gabonaise était dirigée en grande partie par la
compagnie pétrolière française Elf, aujourd'hui absorbée par Total. Mis à
part une petite portion utilisée pour acheter la clique de dirigeants
gabonais autour de Bongo, les revenus du pétrole étaient empochés par une
couche d'hommes d'affaires et de politiciens français corrompus.
Elf était une création politique, complètement intégrée aux réseaux de la
Franceafrique mis en place par De Gaulle et Foccart, conçue pour
l'avancement des intérêts stratégiques de l'impérialisme français dans
l'Afrique nouvellement "indépendante". Profondément corrompue, Elf a financé
diverses initiatives politiques et stratégiques françaises et généré une
série de scandales, notamment ces dernières années au sujet de commissions
lors de la vente par la France en 1991 de six frégates à Taiwan.
L'ex-président d'Elf, Loïc Le Floch-Prigent condamné en 2003
pour avoir détourné des millions d'euros provenant d'Elf, déclara devant les
juges : « En 1962, [Pierre Guillaumat] convainc [le général de Gaulle] de
mettre en place une structure parallèle autour de vrais techniciens du
pétrole. [En créant Elf à côté de Total] les gaullistes voulaient un
véritable bras séculier d'État, en particulier en Afrique, [...] une sorte
de ministère du pétrole inamovible, [...] une sorte d'officine de
renseignement dans les pays pétroliers. »
Lorsqu'on lui demanda d'expliquer les relations d'Elf avec
ses fournisseurs de pétrole africains, Le Floch-Prigeant déclara : «
Appelons un chat un chat. L'argent d'Elf part en Afrique et revient en
France. »
Cet argent permit également aux forces de droite
d'influencer la politique française. Bongo finança Giscard d'Estaing en 1974
contre le candidat de centre droit Chaban-Delmas, puis Jacques Chirac dans
toutes les élections présidentielles suivantes, et Sarkozy en 2007.
En 1989, le président François Mitterrand du Parti
socialiste obtint que cet argent puisse dorénavant profiter à la gauche
comme à la droite. Le Floch-Prigent témoigna : « En
septembre 1989, je m'en suis ouvert au président de la République. Je lui ai
demandé : "Voulez-vous ou non que je ferme le robinet" ? Réponse du
président : "Ah ! non, nous continuons ce qui a été mis en place par le
général de Gaulle." Il m'a simplement demandé de rééquilibrer les choses,
sans toutefois oublier le RPR. »
Bongo était ainsi en charge d'un système où l'économie du
Gabon était pillée dans l'intérêt d'une fine couche de politiciens et
d'hommes d'affaires français corrompus. Reflétant ses riches ressources
minérales, le Gabon a un PIB assez important de 21,4 milliards de dollars
par an, soit 14 400 dollars par habitant. C'est-à-dire quatre fois le PIB
par habitant de la plupart des pays d'Afrique subsaharienne. Pourtant, cet
argent étant largement siphonné par la France et la clique au pouvoir autour
de Bongo, les Gabonais restent empêtrés dans une pauvreté affligeante.
L'espérance de vie à la naissance y est de 53 ans, mettant
le Gabon à la 198e place mondiale, et il n'y a que 29 médecins pour 100 000
habitants. Seulement 3,8 pour cent du PIB gabonais est dépensé pour
l'éducation, le mettant à la 118e place mondiale. Le Service d'informations
des Nations unies, l'IRIN, note que 30 pour cent de la population vit sous
le seuil de pauvreté officiel, et que « Selon le FMI, les indicateurs
sociaux du Gabon sont plus proches de ceux des pays à faible revenus
d'Afrique sub-saharienne. »
Selon l'ex-juge d'instruction française Éva Joly, qui
dirigea une enquête sur les affaires de Bongo, le Gabon ne construit que
cinq kilomètres de routes par an, pour un réseau total qui ne fait que 900
kilomètres.
À l'autre extrémité du spectre social, une très fine couche
de Gabonais se porte très bien. Dans un récent numéro de Jeune Afrique
(l'édition internationale), l'on apprend qu'ils voyagent en jets privés de
Libreville à Paris pour une journée de shopping dans le 8e arrondissement,
ou que l'année dernière, le Gabon était le quatrième importateur africain de
grands crus de Champagne, avec 181 000 bouteilles.
État dont la richesse s'appuyait largement sur les revenus
pétroliers, le Gabon reste toujours vulnérable aux chutes des prix du
pétrole sur les marchés internationaux. De 1986 à 1990, les bas prix du
pétrole ont généré une série de grèves massives dans tous les secteurs
économiques et parmi les étudiants. En 1988, Bongo entama des discussions
avec ses opposants politiques, dont la personnalité la plus marquante était
le père Paul Mba Abessole. Bongo espérait qu'ils pourraient orienter la
colère populaire dans une direction sans dangers pour lui, mais il hésitait
toujours à accorder un système multipartite.
Le 16 janvier 1990, les étudiants de l'Université Omar Bongo à Libreville
firent grève contre le manque de moyens. Cette grève fut appelée la « grève
de la Diarrhée, » parce qu'elle avait débuté à cause d'une intoxication
alimentaire générale des étudiants à la cantine du campus. Le lendemain, la
police évacuait l'Université par la force. À partir du 18, les troubles se
propageaient dan toute la ville, impliquant toutes les catégories de la
population.
Le 24 février, Bongo obtint la capitulation des étudiants en
offrant de payer les dégâts et en les invitant publiquement à un festin dans
son palais. Mais seulement deux jours plus tard, des grèves éclataient dans
le contrôle aérien, les stations services, les chemins de fer et la
compagnie d'électricité. Les émeutes reprenaient de plus belle, et l'armée
prenait position autour du palais de Bongo.
Le 21 mars, les travailleurs des raffineries de pétrole,
représentant 70 pour cent des exportations du Gabon, se mettaient en grève
également. Le 23 mars Bongo essaya de calmer les choses en appelant à une
conférence nationale sur un système multipartite, mais les grèves se
poursuivirent. Le 27, il déclara un couvre-feu dans tout le pays.
Le système multipartite fut finalement proclamé le 19 avril,
mais la vie des Gabonais ne s'améliora pas pour autant. Le 23 mai, suite à
la mort d'un des chefs de l'opposition, Joseph Rendjambe, une émeute éclata
à Port-Gentil durant laquelle le consulat de France fut incendié. Les
troubles se propagèrent à nouveau rapidement au reste du pays. Dès le
lendemain, la France envoya des troupes, officiellement pour évacuer ses
1800 ressortissants qui se trouvaient au Gabon. Les troupes s'assurèrent
également du contrôle des raffineries de pétrole. Le 31 mai, les troupes
françaises reprirent le contrôle de la situation et maintinrent Bongo au
pouvoir.
Lors des premières élections multipartites en novembre 1990,
le parti de Bongo remporta 63 sièges contre 57 aux divers partis
d'opposition. Les premières élections présidentielles avec plus d'un
candidat eurent eu lieu le 5 décembre 1993, Bongo y fut réélu au premier
tour avec 51,1 pour cent des voix, suivi par Abessole. Les troubles qui
suivirent cette élection, largement suspectée d'être une fraude, finirent
par pousser Bongo à signer ce que l'on appelle les Accords de Paris avec
l'opposition.
Après 1990 : une érosion de la Franceafrique
L'influence française au Gabon et plus largement en Afrique
commença à s'affaiblir dans les années 1990. Ce n'était pas une conséquence
d'une quelconque indépendance grandissante des dirigeants comme Bongo face à
l'impérialisme mondial, ni d'une opposition politique efficace contre Bongo
parmi l'élite dirigeante gabonaise – laquelle a toujours été arrosée par
Bongo avec les fonds de l'état.
En fait Bongo, comme d'autres dirigeants africains,
développait des liens plus étroits avec d'autres grandes puissances ;
initialement l'impérialisme américain, et plus récemment la Chine.
Après l'effondrement de l'URSS en 1991 et la suppression de
la concurrence soviétique en tant qu'ennemi commun des impérialismes
américains et français, Washington a pu poursuivre une politique plus
agressive dans l'« arrière-cour » africaine de Paris. Cela peut s'observer
dans les relations commerciales du Gabon. En 1990, la France était le
principal partenaire commercial du Gabon, avec 38 pour cent des exportations
et 60,6 pour cent des importations. L'Amérique du Nord comptait pour
respectivement 22 et 11 pour cent. Aujourd'hui, la France est troisième pour
les exportations à seulement 9,4 pour cent, et sa position dominante pour
les importations s'est dégradée, à 28 pour cent.
Les États-Unis contribuèrent au remplacement des régimes,
soutenu par la France, de Mobutu au Zaïre (ex-Congo Belge) en 1997, et
d'Habyarimana au Rwanda en 1994. Paris protégea le régime Hutu au Rwanda,
dont le génocide contre les Tutsis et les Hutus de l'opposition fit 800 000
morts. La guerre civile qui éclata au Zaïre (Aujourd'hui la république
démocratique du Congo) fit plusieurs millions de victimes.
Bongo était trop lié à la France pour renverser son alliance
du jour au lendemain, mais il cultiva des liens avec les États-Unis aussi.
Durant la guerre civile dans la République du Congo voisine entre 1993 et
1999, il vendit des armes à la fois à la marionnette d'Elf, Denis Sassou
Ngesso, et à Pascal Lissouba, qui voulait transférer les contrats pétroliers
à la compagnie américaine Oxy. Le Gabon étant l'un des rares pays de la
région à ne pas sombrer dans la guerre civile, Bongo essayait en même temps
de se donner les airs d'un négociateur utile pour la paix en Afrique.
Au début de la décennie actuelle, Bongo se rapprocha des
États-Unis. En 2000, une commission du Sénat américain dirigé par le
démocrate Carl Levin estima que Bongo avait déposé 130 millions de dollars
sur ses comptes à la Citybank de New York entre 1985 et 1997. Le 9 novembre
2005, le New York Times, révélait que Bongo avait versé 9 millions de
dollars au lobbyiste américain Jack Abramoff pour arranger une rencontre
avec Bush. Bongo nia ces affirmations.
Les tensions engendrées par les enquêtes en France, par
exemple sur l'affaire Elf, ont entaché les relations entre Paris et Bongo.
Dans sa nécrologie de Bongo, le Figaro a écrit qu'« Il savait tout
sur tous, sa meilleure assurance-vie : "Je ferais couler beaucoup de gens",
disait-il, en guise de menace à peine voilée. »
Bongo lui-même était dans le collimateur de la justice
française dans l'affaire dite des « Biens mal acquis ». Bongo, le président
Ngesso du Congo-Brazaville et le président Teodoro Obiang Nguèma de Guinée
Équatoriale y étaient accusés de détournement de fonds par des organisations
non-gouvernementales en France. En 2008, le quotidien Le Monde révéla
qu'ils possédaient pour 150 millions d'euros en appartements et maisons de
luxe achetés avec de l'argent public, et ce rien qu'en France. L'enquête a
été temporairement interrompue en mai 2009 et Bongo est mort avant qu'elle
puisse reprendre.
Tout au long de cette période, Bongo a conservé le pouvoir
en se servant des revenus du pétrole gabonais pour acheter toute une série
de politiciens de l'opposition. Le cas récent le plus célèbre étant
probablement celui du dirigeant de l'Union du peuple gabonais (UPG), Pierre
Mamboundou, qui termina second derrière Bongo aux élections de 2005, avec
13,5 pour cent des voix. Mamboundou se réfugia brièvement dans l'ambassade
d'Afrique du Sud en 2006, après que l'armée gabonaise eut fait une descente
dans le quartier général de l'UPG. Mais en 2007, Bongo rencontra Mamboundou
et négocia une trêve politique en échange d'un prêt de développement accordé
à la ville de Mamboundou, Ndendé.
Quelles que soient les concessions faites par Bongo à ses opposants, ou
celles accordées par l'impérialisme à ses rivaux gabonais, l'élection d'Ali
Bongo pour succéder à son père Omar symbolise la continuité fondamentale de
l'influence impérialiste au Gabon. Le géant du pétrole Total y est toujours
une entreprise de première importance, un élément de la présence française
dans le pays, laquelle inclut 120 entreprises ainsi que le stationnement du
6e bataillon d'infanterie de Marine française à Libreville.