wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Les dix années de pouvoir de Poutine

Par Vladimir Volkov
1er septembre 2009

Imprimez cet article | Ecrivez à l'auteur

Le dixième anniversaire de l'accession de Vladimir Poutine au sommet du pouvoir politique russe – d'abord en tant que premier ministre, puis comme président, et encore une fois comme premier ministre – est l'occasion d'une évaluation globale de la décennie passée et de sa place dans l'histoire moderne de la Russie.

Avant même d'être nommé premier ministre au début du mois d'août 1999 par le président Boris Eltsine, Poutine jouait déjà un rôle important dans la hiérarchie, mais il était quasiment inconnu du grand public. Ayant accepté le rôle risqué de successeur désigné d'Eltsine et accédant au pouvoir au moment du renouveau de la guerre en Tchétchénie, Poutine arrivait avec un plan d'action bien défini. Pour l'essentiel, il consistait à renforcer le « pouvoir vertical » de l'Etat et d'en faire le principal moyen pour stabiliser la situation socio-économique et politique dans le pays et d'accroître son poids géopolitique.

 Ce changement de direction était envisagé comme une évolution nécessaire par les principaux éléments de l'élite dirigeante. Il était entièrement soutenu par les forces politiques dominantes – les libéraux, les nationalistes, et le Parti communiste de Gennady Zyuganov, descendant en droite ligne du Parti communiste d'Union soviétique (PCUS), stalinien.

La réalisation du « Programme de Poutine » entraîna des changements substantiels du régime politique et de la structure de l'élite dirigeante : la réduction des libertés civiles, la promotion sociale d'une couche de « Siloviki » (les personnes liées aux forces de sécurité), le renforcement de la bureaucratie, et des restrictions imposées aux pouvoirs de l'oligarchie financière. Ce programme ne remettait pas le moins du monde en question la nature fondamentale du régime post-soviétique. Il cherchait en fait à créer les conditions nécessaires à la survie du régime dans le contexte d'une inégalité sociale grandissante à l'intérieur du pays et d'une lutte plus intense entre les puissances mondiales pour le contrôle des sphères d'influence et des sources de matières premières.

Le nouveau gouvernement russe bénéficiait d'un boum macroéconomique, exclusivement dû à une augmentation fortuite des cours mondiaux des matières premières. Les conséquences du défaut de paiement déclaré en 1998 l'aidèrent aussi : le cours du rouble ayant été divisé par quatre, les exportations de la Russie étaient moins chères et il y eut une croissance de la production industrielle.

Jusqu'à l'éclatement de la crise financière globale, l'année dernière, le Produit national brut de la Russie avait doublé sous Poutine et la capitalisation boursière avait été décuplée. La Russie avait bénéficié d'un afflux de 1000 milliards de dollars par ses exportations de gaz et de pétrole, le nombre de milliardaires à Moscou commença à rivaliser avec celui de New York.

Mais c'est précisément ce boum économique qui, tout en renforçant la position de la Russie sur la scène internationale, mit au grand jour dans toute son ampleur le caractère de classe du gouvernement russe. Le régime se montra ouvertement être un instrument du profit privé.

Lorsque les revenus des grandes entreprises et de la bureaucratie augmentaient à un rythme effréné, les programmes d'aides sociales étaient la cible d'attaques systématiques. Une légère augmentation des salaires et des retraites au cours de ces années ne parvenait pas à compenser l'aggravation objective de la situation économique de la classe ouvrière et de la majorité de la population. Ce déclin est devenu encore plus évident avec la crise économique actuelle.

Ce qui suit est un passage en revue rapide des principaux événements de la politique intérieure et extérieure au cours des dix dernières années.

L'économie

La principale caractéristique de la politique économique du Kremlin sous Poutine a été de garantir la liberté absolue des grandes entreprises. Un impôt invariable de 13 pour cent a été introduit, ainsi un oligarque millionnaire était imposé au même niveau qu'une femme de ménage ou les habitants d'un village misérable (bien entendu, en pratique, l'élite financière ne paye qu'une faible part des impôts qu'elle doit). La banque centrale réalisa des interventions régulières et importantes sur le marché des monnaies pour que la valeur du rouble reste sous-évaluée. En conséquence, le taux de change du rouble n'augmenta que faiblement durant les années du boum.

Toutes les sections importantes de l'oligarchie ont pu fonctionner en étant déclarées légalement comme des compagnies étrangères, ce qui leur permettait de transférer librement des fonds hors du pays et d'« optimiser » leur taxation. C'est ainsi que des entreprises comme Base Element d'Oleg Deripaska, le groupe Evraz de Roman Abramovitch, Metalloinvest d'Alisher Usmanov, Severstal d'Alexei Mordashov, Mechel d'Igor Zyuzin, et l'Entreprise métallurgique de Magnitogorsk appartenant à Viktor Rashnikov, ont été construites.

Après 2003, un grand nombre de prétendues « entreprises d'État » ont été créées, réunissant des parties importantes de grandes entreprises de divers secteurs économiques. Même si elles sont officiellement dirigées par des directeurs nommés par le gouvernement, ces entreprises d'Etat fonctionnent comme des organisations purement commerciales, mais tout en étant protégées par des lois spéciales qui les placent en dehors du contrôle du fisc ou des autorités de régulation.

Le fonctionnement de l'Etat

Après les élections présidentielles du printemps 2000, Poutine a lancé une lutte contre le Conseil fédéral, la chambre haute du Parlement [c.-à-d., l'équivalent du Sénat américain, ndt] qui était devenu dans les années 1990 une source d'influence pour les gouverneurs et les élites régionales. La prise d'otages dans une école à Beslan en 2004 a permis au Kremlin de supprimer l'élection au suffrage direct des gouverneurs, privant les électeurs de tout moyen d'influer sur les activités des autorités régionales.

Les sièges de députés élus au scrutin uninominal ont également été éliminés [ne laissant que ceux qui sont élus à la proportionnelle, ndt], et le droit de procéder à un référendum a été fortement réduit. L'adoption d'une nouvelle loi sur « l'extrémisme » et le durcissement de la législation sur les réunions publiques et les rassemblements sur la voie publique ont rendu possible la criminalisation des activités politiques d'opposition.

L'augmentation du seuil à atteindre pour être représenté à la Douma (la chambre des députés) à 7 pour cent et une série d'autres mesures ont créé les mécanismes politiques, à l'échelon fédéral comme à l'échelon régional, pour garantir une majorité absolue dans les institutions au parti « Russie unie », le « parti de gouvernement » bureaucratique créé en 1999.

La dégénérescence du parlementarisme russe s'est manifestée dans les paroles du président de la Douma, Boris Gryslov, qui a déclaré que « le Parlement n'est pas un lieu de discussion»

 En fait, les électeurs russes se voient refuser tout moyen d'exprimer leur volonté, et le résultat des élections est déterminé par la volonté de ceux qui contrôlent les « ressources administratives ».

Les relations sociales

Sous Poutine, il y a eu un assaut permanent et systématique contre les droits et le niveau de vie des citoyens. Un nouveau code du travail a été introduit, qui rend pratiquement impossible l'organisation d'une grève légale. Des contre-réformes des retraites ont été lancées, et le principe de la garantie par l'Etat de la sécurité sociale des personnes âgées a été liquidé. La monétarisation des aides sociales, introduite au début de l'année 2005, a fortement réduit les obligations financières de l'Etat envers les couches les plus vulnérables de la population, entraînant des manifestations massives à travers tout le pays.

Les restes du système de santé et d'éducation soviétique sont à l'agonie. De nouveaux mécanismes, construits purement à partir du marché, ne servent qu'à une mince strate de riches. Le coût des services d'éducation et de santé imposé aux gens ordinaires se rapproche de celui des pays développés d'Europe et des États-Unis, alors que les salaires, les retraites et les aides sociales sont plus bas en Russie que dans les pays les plus pauvres d'Europe.

L'idéologie

La propagande officielle du Kremlin a ouvertement réhabilité les pires traits du stalinisme et du tsarisme, avec le culte de l'Etat tout puissant, le nationalisme, la répression et les autres traditions antidémocratiques. Il est particulièrement notable et symbolique que Staline, ce despote sanguinaire, soit officiellement reconnu comme un « homme politique exceptionnel ».

L'Église orthodoxe russe jouit d'un soutien sans limites de la part de l'Etat, agissant au grand jour comme une annexe de l'appareil d'Etat. Les deux membres du « Duumvirat », le président Dimitri Medvedev et le premier ministre Poutine, étalent en public leur foi orthodoxe. De plus, le Kremlin soutient entièrement les muftis musulmans et les représentants d'autres groupes religieux qui font preuve de loyauté envers les autorités russes. Poutine et Medvedev partent du principe que chaque nation doit avoir sa propre « foi ».

La Géopolitique

Sur les principales questions de relations internationales, Poutine a, dans l'ensemble, continué la politique de concessions et de coopération avec l'impérialisme occidental, une politique qui avait été établie par Michaël Gorbatchev et qui s'était poursuivie avec Eltsine. Durant son premier mandat présidentiel, Poutine avait publiquement annoncé le désir de la Russie de rejoindre l'OTAN.

Parmi les concessions militaires et politiques faites à l'occident au cours des dix dernières années, on pourrait citer la fermeture des anciennes bases soviétiques à Cuba et au Vietnam, le soutien actif accordé par le Kremlin à la « Guerre globale contre le terrorisme » et l'accord tacite de la Russie à l'expansion de l'OTAN et de l'Union européenne vers l'Est.

La Russie avait initialement reconnu les résultats de la « Révolution rose » géorgienne en 2003, qui avait donné le pouvoir à Michaël Saaskashvili à Tbilissi. À l'automne 2004, le Kremlin s'était incliné devant les pressions de Washington au sujet du résultat de l'élection présidentielle en Ukraine, au cours de laquelle Viktor Yushenko était devenu le dirigeant de l'Etat ukrainien à la place du candidat de Moscou, Viktor Yannukovitch.

Selon les mots du principal éditorialiste du journal Russia in Global Politics, Fyodor Lukyanov, rapportés dans le numéro du 7 août de Vedomosti, « … durant la plus grande partie de la décennie, Poutine a suivi la ligne de l'intégration, transformant la Russie en un membre à part entière d'un système centré sur l'occident. De nombreuses déclarations et décisions emblématiques faites entre 2000 et 2006 en témoignent»

La raison du tournant du Kremlin vers une opposition plus active aux ambitions agressives des États-Unis et des grands pays d'Europe occidentale tient aux prétentions croissantes de ceux-ci sur les ressources naturelles d'Eurasie. À un certain point, elles sont devenues incompatibles avec les intérêts fondamentaux de l'élite dirigeante russe, devenue plus sûre d'elle-même grâce aux énormes bénéfices des exportations et aux oppositions croissantes entre les principaux centres de l'impérialisme mondial.

Ce renversement en direction d'une résistance aux visées expansionnistes de l'occident en Europe orientale et dans les ex-républiques soviétiques ainsi que dans les sphères d'influence au Caucase et en Asie centrale – y compris la guerre de cinq jours l'année dernière contre la Géorgie au sujet de l'Ossétie du Sud – coexiste avec les aspirations de Moscou à coopérer partout où cela est possible. Par exemple, le Kremlin soutient l'occupation de l'Afghanistan par les troupes américaines et l'OTAN.

L'accroissement de l'activité géopolitique de la Russie a renforcé la crainte et l'insatisfaction des élites dirigeantes des ex-républiques soviétiques. Même ceux qui penchent du côté de la Russie, comme l'Arménie, le Kirghizistan et la Biélorussie, considèrent avec crainte les efforts de la Russie pour les maintenir dans sa sphère d'influence. En dépit de multiples tentatives de réguler la coopération dans les affaires économiques et d'établir des partenariats militaires entre les pays de l'ex-Union soviétique, les relations entre ces ex-républiques soviétiques sont dans l'ensemble considérablement plus faibles, plus forcées, et dans certains cas franchement hostiles, comparées à ce qu'elles étaient il y a dix ans.

Les relations avec la Géorgie sont toujours hostiles, comme elles le sont avec l'Ukraine, ce qui pourrait entraîner une confrontation militaire aux conséquences imprévisibles.

L'impasse de la restauration capitaliste

La Russie sous Poutine, dans tous ses aspects et ses tendances fondamentaux, s'est développée dans la droite ligne de ce qui se faisait à l'époque d'Eltsine. En fait, cela est maintenant reconnu par de nombreux chercheurs en sciences politiques de premier plan. Ainsi, Mikhaïl Remizov, dans son article « Poutine ajuste la Russie d'Eltsine », publié le 14 août sur le site de L'Agence d'informations politiques (APN), écrit :         « Poutine n'a jamais porté atteinte aux fondations du système économico-politique de la Russie posées durant l'ère Eltsine. Mais le problème de la gestion de cet Etat l'a occupé dès le début, le problème de la gestion du système dont on lui avait confié la direction… Poutine a ajusté et optimisé le système politique, administratif et économique qui avait été développé par Eltsine»

Remizov ajoute que « l'ajustage » n'a pas fondamentalement stabilisé la Russie post-soviétique : « …Nous ne pouvons généralement pas être certains que la République russe a été établie. C'est comme si la République existait déjà depuis dix-huit ans – l'âge de la majorité légale – mais que l'ombre d'un échec, un troublant point d'interrogation, planait toujours sur elle»

C'est une remarque importante. La Russie capitaliste post-soviétique, même après être passée par une période économique extrêmement favorable, après avoir concentré le pouvoir de l'appareil répressif de l'Etat et démantelé les faibles mécanismes démocratiques issus de l'effondrement du stalinisme, n'a pas été en mesure de créer quoi que ce soit qui ressemble à une fondation durable pour son existence future.

La Russie actuelle est traversée de toutes parts par les éléments caractéristiques d'une réaction sociale effrénée, qui valide le vol des ressources naturelles, humaines et culturelles du pays et accorde sa bénédiction à un système d'inégalités sociales et à l'anarchie politique.

Cette situation est l'aboutissement d'un processus historique de longue durée, que l'on peut faire remonter aux événements politiques des années 1920 et 1930, lorsque l'isolement de la révolution russe et le retard économique du pays ont entraîné la dégénérescence du régime issu de la révolution de 1917. La politique stalinienne de construire le « socialisme dans un seul pays » exprimait les intérêts matériels d'une nouvelle couche de bureaucrates privilégiés, elle représentait une répudiation nationaliste de la perspective de la révolution socialiste internationale qui avait inspiré les bolcheviques à la tête desquels se trouvaient Lénine et Trotsky.

La  consolidation du régime de la dictature bureaucratique stalinienne, bien qu'elle n'ait pas immédiatement entraîné la restauration des formes de propriété bourgeoise, priva la classe ouvrière d'une politique indépendante. Elle en vint rapidement à exiger la destruction physique de pratiquement toute la couche de vieux bolcheviques d'URSS liés à la révolution et ses expériences.

Cela créa une situation instable, dont la résolution ne pouvait se faire que dans une de ces deux directions : soit par une nouvelle révolution politique contre la bureaucratie, une renaissance de la souveraineté de la classe ouvrière soviétique et un retour à la stratégie révolutionnaire internationale ; soit une « privatisation » et la restauration capitaliste.

L'Opposition de gauche et la Quatrième internationale, qui émergèrent des luttes des années 1920, ont mis l'accent dès le début sur l'impasse historique et le caractère destructeur de la restauration de l'ordre capitaliste en URSS.

Léon Trotsky écrivait, « La contre-révolution bourgeoise ne pourrait […] atteindre son but sans une guerre civile prolongée et la destruction à nouveau du pays que le pouvoir soviétique avait relevé de la ruine. Le capitalisme russe dans sa deuxième version ne pourrait en aucun cas être la simple continuation et un développement du capitalisme prérévolutionnaire, ou plus exactement du capitalisme d'avant-guerre : non seulement en raison du laps de temps prolongé entre eux, rempli de guerres et de révolutions, mais parce que le capitalisme global, le maître du capitalisme russe, a subi au cours de cette période l'effondrement et les convulsions les plus profondes.

« Le capital financier est devenu incomparablement plus puissant, alors que le monde est devenu infiniment plus interdépendant […] La restauration de la Russie bourgeoise ne signifie rien d'autre pour les "vrais" restaurateurs "sérieux" que la possibilité de l'exploitation coloniale de la Russie depuis l'étranger […] La restauration du capitalisme en Russie créerait une culture compradoriste russe chimiquement pure […] Tout cela serait, bien sûr, accompagné par Dieu et en lettres cyrilliques enluminées, c'est-à-dire toutes ces choses dont les assassins de masse ont besoin pour leurs "âmes"» (bulletin de l'opposition n°11, mai 1930).

Cette analyse a été complètement confirmée par l'expérience historique, dans sa variante négative. Ce qui avait commencé en disant : « il ne faut pas tout donner pour la révolution mondiale, nous devons en garder pour nous », s'est terminé dans les années 1990 en : « je veux faire des affaires à tout prix»

Malgré la destruction presque complète des conquêtes sociales de la période soviétique, l'amère expérience de près de vingt années de « réformes » capitalistes doit servir aux travailleurs de Russie et des autres ex-républiques d'Union soviétique à se rendre compte qu'il n'y a pas d'autre voie pour sortir de cette situation qu'un retour à la perspective historique incarnée par la Révolution russe d'octobre 1917.

(Article original paru le 28 août 2009)


Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés