Les contrôleurs aériens de l'AENA (Aeropuertos Españoles
y Navegación) ont voté à 98 pour cent en faveur d'une action contre
l'attaque féroce lancée contre eux par le gouvernement du premier ministre José
Luis Zapatero du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).
Cependant, avant même le vote, le syndicat des contrôleurs
aériens, l'USCA, cherche déjà à restreindre la lutte à une série de grèves
symboliques et à fournir à l'AENA des préavis de 10 jours pour celles-ci.
En février, le gouvernement a imposé par décret une
réduction de salaires de 40 pour cent aux contrôleurs. D'après la presse, il
impose maintenant une augmentation du temps de travail annuel, passant de 1000
à 1600 heures et, en dépit d'une augmentation du taux d'employés malades, une
réduction des périodes de repos.
Récemment, les représentants du gouvernement ont accusé les
contrôleurs en arrêt maladie d'organiser une grève illégale. Le ministre du
développement José Blanco a menacé de licencier une équipe, en arrêt maladie pour
cause de stress et d'épuisement sévères, qui refusait de retourner au travail
après qu'il ait ordonné de nouveaux examens médicaux impromptus. Blanco a
menacé, «si leurs affirmations sont fausses alors ils enfreignent la loi, ce
qui signifie que nous pouvons prendre des mesures juridiques qui risquent
d'entraîner la perte de leur emploi.» D'après l'USCA, des travailleurs ayant
des problèmes médicaux sérieux sont mis sous pression et ramenés au travail par
l'AENA, certains d'entre eux étant sous tranquillisants.
Sur ordre de l'Union européenne (UE), le PSOE est engagé
dans une série de provocations contre les contrôleurs aériens pour écraser
l'opposition aux restructurations et aux privatisations. Avec une hypocrisie
sans bornes, il utilise les faibles salaires imposés au reste de la population
pour réduire les salaires des contrôleurs. Blanco a affirmé qu'il était «intolérable pour le gouvernement de payer des salaires de millionnaires à des
employés publics tout en imposant l'austérité au reste de la population
espagnole.»
Anticipant une grève, Blanco fait entraîner du personnel
militaire pour remplacer les équipes de contrôleurs civils au cours d'un
exercice d'urgence. Il n'a pas indiqué le moment où ils seraient disponibles,
mais a dit qu’ils seraient « vus ». D'après un article, Mariano Casado,
qui dirige le syndicat représentant les contrôleurs militaires espagnols, a
déjà promis que ceux-ci allaient servir de briseurs de grève, déclarant que
l'armée « a les capacités » de gérer l'aviation civile mais avait besoin de
temps pour s'adapter.
Blanco négocie actuellement avec le ministre de la défense
pour préparer les conditions du déploiement des personnels de l'armée de l'air
dans des tours de contrôle civiles en utilisant la Loi de 2003 sur la sécurité
aérienne créée par le gouvernement de José Maria Aznar, du conservateur Parti
populaire (PP). Blanco a déclaré, « Dans les situations exceptionnelles, nous
allons employer des contrôleurs aériens militaires pour garantir le trafic
aérien dans notre pays. »
Ce n'est pas une menace isolée. Le mois dernier, le
gouvernement du PP de Madrid a menacé de déployer des troupes pour maintenir
les services du métro après une grève des travailleurs contre une réduction de
5 pour cent des salaires et au cours de laquelle ceux-ci avaient voté contre
les accords de service minimum entre le syndicat et la direction du métro. Ignacio
Gonzalez, vice-président du Parti populaire (l’héritier politique du
dictateur militaire Francisco Franco) qui dirige le gouvernement de la région
de Madrid, les a menacés en déclarant qu'il « ne rejetait pas l'option » d'une
prise de contrôle par l'armée du métro madrilène.
Cette menace est sans précédent dans l'Espagne post-fasciste
et n'aurait pas pu être faite sans consulter en premier lieu les ministres
sociaux-démocrates. Cela aurait signifié le déploiement de dizaines de milliers
de soldats dans toute la capitale. Devant la menace d'une intervention
militaire dans le métro les syndicats ont immédiatement appelé à la fin de la
grève, entamés des négociations et imposés la réduction de 5 pour cent de
manière détournée. C'est le second gouvernement social-démocrate en Europe à
s'en remettre à l'armée pour imposer l'austérité. En Grèce, le gouvernement du
PASOK a récemment déployé des troupes et des équipes anti-émeutes contre les
camionneurs.
C’est là le dernier assaut dans une longue bataille
contre les contrôleurs aériens, qu'un ministre a décrits comme ayant « des
privilèges incompréhensibles ». Après que leurs salaires aient été réduits de
40 pour cent, Blanco les a critiqué disant, « Ils ne peuvent pas dire qu'ils
sont mal payés alors que beaucoup gagnent deux fois et demi plus que le docteur
qui a signé leur feuille de maladie. » Il a ajouté avec une haine de classe
évidente, « L'an dernier ils ont reçu un salaire triple pour les heures
supplémentaires, ce qui semblait alléger aussi bien leur stress que leur
anxiété. »
Ceci est dit par un gouvernement qui a transféré des
milliards d'euros vers une petite couche d'aristocrates de la finance tout en
appauvrissant la classe ouvrière. Ce que Blanco n'a pas expliqué c'est qu’on
avait offert aux contrôleurs des heures supplémentaires payées triples pour les
inciter à faire 600 heures de plus par an, afin de garantir le service aérien
durant la saison touristique très chargée. Les contrôleurs commencent
maintenant à en ressentir les conséquences. Les représentants syndicaux ont
indiqué que les contrôleurs avaient, pour beaucoup d'entre eux, travaillé en
continu 28 jours durant.
Le taux de maladie commençant
à causer de petits retards dans les services aériens, Blanco avait lancé une
attaque publique accusant les travailleurs de lancer une grève « illégale »
avec les arrêts maladie, qui aurait fait partie d'une « campagne orchestrée »
pour perturber le trafic aérien. Il a imputé leurs taux de maladie en
augmentation à des faiblesses psychologiques plutôt qu'à l'augmentation de leur
charge de travail. Il a déclaré, « La plupart des cas ont été imputés au stress
et à l'anxiété […] ce qui n'est pas compatible avec ce secteur
d'activité. Pour être un contrôleur aérien il ne suffit pas d'avoir un bon
niveau d'anglais, il faut aussi être psychologiquement fort. »
Le ministère de Blanco est en train de créer une nouvelle
série de tests pour vérifier les capacités psychologiques du personnel, un
mécanisme qui sert de toute évidence à l'intimidation et aux licenciements
massifs. Blanco s'est également penché sur des règlements de santé qui
devraient empêcher les travailleurs d'appeler pour dire qu'ils sont malades
juste avant de commencer leur service, menaçant de les renvoyer s'ils le font à
l'avenir.
Pour l'ANEA et les sociaux-démocrates, la répression est le
seul plan de « secours » pour un événement aussi banal. Blanco a immédiatement
demandé que le gouvernement accélère la privatisation du contrôle aérien et si
nécessaire qu’il l'impose par décret. Le gouvernement a passé un décret
le 23 juillet qui donne aux opérateurs privés le cadre légal pour se porter
candidats à l’obtention des contrats de gestion des aéroports espagnols.
Les menaces d'intervention militaire contre les luttes des
travailleurs représentent les premières tentatives de déploiement de l'armée
depuis la fin de la dictature de franco et la tentative de coup d'état de 1981,
lorsque les ministres PSOE étaient visés par d'ex-officiers fascistes. À
l'époque, Felipe Gonzalez, qui est devenu Premier ministre du PSOE en 1982,
avait été expulsé sous la menace des fusils avec le dirigeant du Parti
communiste Santiago Carrillo.
Pourtant, et c'est crucial, la nouvelle menace de la
réimposition du contrôle militaire contre la classe ouvrière ne vient pas des
ex-fascistes mais du PSOE lui-même.
Les syndicats jouent leur rôle dans un effort concerté pour
conditionner la population à considérer les troupes déployées contre la classe
ouvrière comme un fait normal. Ils le font en détournant l'attention des
travailleurs vers des questions secondaires, comme celle des conséquences pour
la santé et la sécurité de l'usage de contrôleurs militaires; ils font
ainsi diversion vis-à-vis des implications graves contenues dans le fait
qu’un gouvernement social-démocrate se prépare à déployer l’armée
contre la classe ouvrière.
Cela a été résumé dans la réponse de Gustavo Barba,
dirigeant du syndicat des pilotes COPAC, qui a déclaré que l'usage des
contrôleurs militaires n'aurait pas « les mêmes capacités et le même niveau de
sécurité. »
L'USCA, au lieu de se retirer des négociations pour
protester, a intensifié les négociations avec l'AENA. Le président de l'USCA,
Camillo Cesa, a minimisé les implications du déploiement imminent de personnel militaire,
déclarant, « Nous pensons que cette décision est précipitée parce que [l'armée]
n'a pas le même niveau d'entraînement que nous, et qu'il y a des différences
nettes entre leur travail et le nôtre. »
Les remarques de Cesa avaient le sens d’un appel au
PSOE pour que celui-ci donne du temps et de l’espace à la direction
syndicale pour obtenir une défaite de la lutte et l’imposition d’un
accord qui lui convienne. Cesa a déclaré que plus de la moitié d'un nouvel
accord quant au « cadre » établi par le gouvernement et l'UE avait déjà été
validé pat l'AENA.
Les syndicats et le gouvernement sont assistés en cela par Izquierda
Unida(IU, Gauche unie). L'IU a été fondée par le Parti communiste
espagnol en 1986 en tant que partie de ses efforts pour préserver l'emprise
politique du PSOE et de la bureaucratie syndicale sur la classe ouvrière. Tout
en prononçant à l'occasion quelques phrases opposées au PSOE, l’IU reste
hostile à toute lutte politique contre le gouvernement.
Le site Web de l'IU a maintenu un silence presque complet
sur la menace du PSOE de déployer l’armée. Il n'y a eu aucune déclaration
incitant à s'y opposer de la part des syndicalistes importants de l'IU présents
dans le syndicat Comisiones Obreras(CC.OO, Commissions ouvrières) ou dans celui de la Unión
General del Trabajo (UGT, Syndicat général des travailleurs), proche du
PSOE.
Durant un débat au parlement, le député IU Gaspar Llamazares
a eu l'occasion de demander une offensive de la classe ouvrière contre le
gouvernement PSOE et l'élite financière qu'il sert. Au lieu de cela, il a
cherché à instiller la prostration politique et l’approbation, se
contentant de dire, « cela me fait peur parce qu'un jour le pouvoir des décrets
pourra être utilisé conte moi, ou le reste des travailleurs du pays. »