La
cérémonie religieuse et officielle des funérailles des victimes
de la Love Parade, le festival de musique
techno qui s'était déroulé samedi dernier à Duisbourg
(Rhénanie du Nord/Westphalie, NRW), fut dominée par les
représentants de l'Etat et du monde politique en ne suscitant
qu'un faible intérêt de la part de la population en général.
Des personnes venues dans le tunnel pour exprimer leur deuil
Partout
dans la ville, sur le lieu de la catastrophe où
21 personnes sont mortes piétinées et où plus de 500 autres ont
été blessées, des milliers de personnes s'étaient rassemblées
pour témoigner leur sympathie aux familles des victimes.
Parmi
les personnes qui ont assisté à la
cérémonie religieuse officielle qui a eu lieu à l'église
Salvator, figuraient la chancelière allemande, Angela Merkel, le
président fédéral, Christian Wulff, le président du Bundestag
(la chambre basse du parlement), Norbert Lammert (tous des membres
de l'Union chrétienne démocrate, CDU) et le ministre des
Affaires étrangères, Guido Westerwelle (Parti libéral démocrate).
Hannelore Kraft (Parti social-démocrate, SPD), la nouvelle
ministre-président du Land de NRW, a prononcé l'oraison funèbre.
L'église
Salvator et la mairie toute proche avaient
été interdites d'accès à la population en général par
l'érection de barrières métalliques et la présence d'un fort
contingent de policiers. Un niveau de vigilance maximum avait été
mis en place. Des projets initiaux prévoyant la retransmission des
funérailles sur de grands écrans installés devant l'église
ainsi que dans le centre-ville furent annulés à court terme. Au
lieu de cela, une retransmission fut assurée sur grand écran dans
le stade de football MSV-Arena (Wedaustadion) situé à plusieurs
kilomètres en dehors de la ville.
Mais,
au lieu des dizaines de milliers de personnes que les milieux
officiels avaient attendues, en fait seules
quelques milliers étaient venus. L'accès à l'église Salvator
était limité aux représentants politiques, aux membres de la
police, aux représentants des médias, aux secouristes urgentistes
et aux membres des familles des victimes. Dans le stade de football
MSV-Arena, qui peut contenir 30.000 spectateurs, seules 1.500 à
2.000 personnes étaient venues pour suivre la cérémonie sur grand
écran. Des milliers de policiers étaient mobilisés dans le stade
et à la gare centrale de Duisbourg.
Quiconque
se trouvant aux alentours des barrières
dressées devant la mairie et l'église pouvait facilement avoir
l'impression que les politiciens présents n'avaient pas
l'intention de partager la douleur des familles et de la
population, mais qu'ils semblaient plutôt craindre toute
participation des masses. Les deux principales figures impliquées
dans la Love Parade, le maire de Duisbourg, Adolf Sauerland (CDU),
et son organisateur, Rainer Schaller, n'ont pas assisté à la
cérémonie funèbre en disant qu'ils « ne voulaient pas
provoquer les familles des victimes par leur présence ».
Samedi,
les participants de la Love Parade et les amis des victimes ont
organisé leur propre cortège funèbre
partant de la gare centrale de Duisbourg pour finir dans un parc
tout proche après être passé devant le tunnel où la catastrophe
a eu lieu. Depuis le jour de la catastrophe, l'entrée du tunnel
est devenue un lieu de recueillement pour tous ceux qui veulent
rendre hommage aux victimes. Des milliers de personnes étaient
venues la semaine passée devant le tunnel pour commémorer les
morts et se faire une idée de ce qui s'est passé.
L'emplacement
devant le tunnel est recouvert de milliers
de bougies, de fleurs, de photos et de messages critiquant
sévèrement les responsables de ce désastre et exiger qu'ils
soient obligés de rendre des comptes.
La
révélation de nouveaux détails renforcent l'idée
que la catastrophe de la Love Parade à Duisbourg n'était pas un
malheur tragique, mais au contraire qu'elle était tout à fait
évitable. Il est de plus en plus évident que la chasse au profit
et des raisons de prestige ont été la force motrice principale des
organisateurs et des promoteurs du festival plutôt que la sécurité
et le bien-être des centaines de milliers de jeunes gens qui ne
voulaient que faire la fête ensemble en écoutant de la musique.
Ce qui
s'est passé à Duisbourg doit être considéré
en lien avec un certain nombre d'autres désastres évitables et
qui ont eu lieu en raison de la chasse au profit, du manque
d'investissement public et de l'indifférence des politiciens à
l'égard de la population en général. Parmi les accidents
semblables survenus en Allemagne, il y a l'écroulement début
2009 du bâtiment abritant les archives de la ville de Cologne dont
la cause est due à la construction du métro, et qui a coûté la
vie à deux personnes en détruisant des documents historiques
irremplaçables ainsi que l'effondrement en 2006 du toit du
gymnase de patinage couvert de Bad Reichenhall en Bavière qui a tué
15 enfants, des adolescents et des adultes, pour ne citer que deux
exemples.
Vendredi,
le journal régional WAZ
(Westdeutsche Allgemeine Zeitung) a publié des extraits d'un plan
d'intervention des sapeurs pompiers qui impute la faute de la
catastrophe de Duisbourg à la police. La police en service au
festival avait fermé l'entrée principale à la Love Parade qui
se trouve entre les deux tunnels et le terrain du festival et ce en
dépit des doutes émis par les pompiers. Cette fermeture de
l'entrée contribua à occasionner l'embouteillage et la panique
de masse qui s'ensuivit.
En
raison de problèmes de communication et
autres pannes, les gens continuèrent à
affluer vers le tunnel alors que la sortie était bouchée. Les
participants furent pris dans un piège d'où aucune échappatoire
n'était possible. Les pompiers avaient anticipé une telle
éventualité et avaient critiqué la
fermeture de cette entrée comme étant « très problématique
du point de vue de l'intervention ».
Jusque-là,
le rôle de la police n'a pas vraiment
fait l'objet d'un examen. Au lieu de cela, d'influents
représentants du syndicat de la police sont passés à l'offensive
en donnant des interviews aux médias et en agissant pratiquement
comme les porte-parole de la police. Aux côtés du ministre de
l'Intérieur de NRW, Ralf Jäger (SPD), ils ont cherché à
protéger la police.
Des
reporters du World Socialist Web Site
ont discuté avec les personnes qui étaient venues pour assister
aux funérailles et qui s'étaient rassemblées devant les
barrières érigées par la police. Les partisans du WSWS ont
distribué un tract intitulé « La catastrophe de la Love
Parade n'est pas un malheur,
mais un crime » qui suscita un grand intérêt parmi les
personnes présentes en ville, dans le stade MSV-Arena
et celles qui suivirent le cortège funèbre l'après-midi.
Mike Danielzik, à gauche, portant la bannière
Mike
Danielzik était venu de Lüdenscheid (NRW)
pour prendre part à la Love Parade. Il avait pu rejoindre à temps
le terrain du festival et éviter ainsi la bousculade mortelle des
gens se trouvant dans le tunnel. Il était en colère contre le fait
que les responsables aient ignoré des semaines durant tous les
avertissements.
« Des
semaines durant des avertissements avaient
afflué de toutes part », a dit Mike, « des pompiers de
Dortmund, de la police de Berlin qui était venue sur place. Des
avertissements supplémentaires étaient venus de la police et des
secouristes urgentistes de Essen, la ville voisine. C'est terrible
de voir que tous ces avertissements ont
été ignorés et que la décision fut prise d'organiser malgré
tout la Love Parade à Duisbourg. »
« Chaque
personne morte, chaque personne blessée, en est une de trop »,
a-t-il dit. « Vous ne pouvez pas enfermer 800.000 personnes
comme du bétail. Il y avait aussi des clôtures autour du terrain
principal du festival. On n'aurait pas dû le permettre. Et puis,
qu'il n'y ait juste eu que ce seul passage pour servir à la
fois d'arrivée et de sortie est incompréhensible. Le tout
n'aurait pas dû être permis. La catastrophe devait arriver. »
Marinella
qui s'était trouvée là par hasard
avec sa fille, son mari et son amie Marlène venue de France, a
aussi critiqué la fermeture par la police, à un moment critique,
de l'accès au terrain du festival. « Il aurait été
possible d'éviter le désastre si la police n'avait pas
installé des barrières », a-t-elle déclaré.
« Nous
avons eu la chance d'avoir notre fille avec nous », a-t-elle
remarqué. « Elle a sept ans. Je n'avais pas l'intention
de participer à la Parade, mais le mouvement de foule nous y a
poussé, que nous le voulions ou non. Nous ne pouvions plus nous
déplacer ni vers la gauche ni vers la droite. Des personnes à côté
de nous m'ont dit, « Vous devez partir avec votre enfant ».
J'étais très préoccupée à cause de la petite. J'ai dit à
une femme policière, « Je dois sortir avec mon enfant »,
et finalement elle nous a laissé sortir,
mais a refermé aussitôt la barrière derrière nous. Ce blocage a
été indubitablement l'un des facteurs qui a contribué à
provoquer la tragédie. Ils n'auraient pas dû le faire de cette
façon. »
Fabiano Pereira da Silva
Fabiano
Pereira da Silva est âgé de 25 ans et
vient de Dortmund. Il avait lui aussi réussi à rejoindre le
terrain principal de la Love Parade. Il a ensuite vu comment la
catastrophe est arrivée dans le tunnel.
« Je
ne pouvais pas descendre pour aider sans risquer ma vie »,
a-t-il dit. « Je ne pouvais qu'assister à ce qui se
passait. C'était tout simplement horrible de voir les gens se
faire piétiner. Je ne peux pas le
décrire. C'était une catastrophe. »
A la
question de savoir quelles en étaient les
causes, Fabiano a dit, « C'est très simple :
l'argent ! Je ne suis pas le seul à le dire. Quand quelqu'un
organise un tel rassemblement, ça
doit être fait correctement. A mon avis, les gens sont morts à
cause de l'irresponsabilité de ceux qui ont organisé le
festival. Ils sont morts à cause de l'argent et rien d'autre.
S'ils avaient eu assez d'argent, ils auraient utilisé l'autre
entrée qui était réservée aux VIPs [« Very Important
Person » personne très importante]. En fait, il y a
suffisamment de place à Duisbourg. Pourquoi fallait-il obliger tous
ceux qui voulaient se rendre au festival de passer par ce tunnel ? »
Les
victimes étaient des jeunes gens qui
voulaient faire la fête et soulager leur frustration, a dit
Fabiano. « C'aurait tout aussi
bien pu m'arriver. Je pourrais être
mort à l'heure qu'il est. Les jeunes qui sont morts avaient
appris un métier; ils ne sont pas idiots. Ils avaient toute leur
vie devant eux. »
Markus devant la gare centrale de Duisbourg. Sur sa pancarte on peut lire :
« Nous accusons les organisateurs et la municipalité de
Duisbourg »
Markus
a fait le voyage de Kaiserslautern (dans
le Land de Rhénanie-Palatinat) pour suivre le cortège funèbre
organisé officieusement. « Ce qui s'est passé ici ne peut
rester impuni », a-t-dit. « La municipalité et les
organisateurs doivent être tenus pour responsables. Les
organisateurs avaient sous-estimé toute l'affaire. Si j'ai un
restaurant pour 15 personnes, alors je ne peux pas en inviter 50
pour un déjeuner de fête. Ça ne va pas
du tout. »
« Ce
qui s'est passé ici, c'est un crime.
On emprisonne des personnes pour des délits moindres. La question
qui me vient à l'esprit, c'est pourquoi les organisateurs ne
sont-ils pas placés en détention préventive. Beaucoup de
personnes sont mortes ici ou ont été grièvement blessées, mais
rien ne se passe. Maintenant, chaque
personne qui ne veut pas que l'affaire soit étouffée compte.
C'est pourquoi je suis là, et aussi par solidarité. »