Le programme de la « grande société » du premier
ministre britannique David Cameron fournit un justificatif idéologique pour la
réalisation par la coalition conservatrice-libérale de 85 à 100 milliards de
Livres sterling de coupes budgétaires dans les quatre années à venir.
Le discours qu'il a prononcé à Liverpool à ce
sujet était un nouvelle affirmation de l'intégrisme pro-marché thatchérien dont
l'objectif est la destruction des prestations sociales permettant à des
millions de gens de vivre et à la privatisation complète du secteur public.
En 1987, Margaret Thatcher avait fait cette
déclaration restée fameuse : « Je pense que nous sommes passés par une période
où on a laissé entendre à trop de gens que s'il y avait un problème, c'était au
gouvernement de s'en occuper… Ils projettent leurs problèmes sur la
société. Et puis vous savez, la société ça n'existe pas. Il y a
des individus hommes et femmes, et il y a des familles. Et aucun gouvernement
ne peut faire quoi que ce soit, si ce n'est à travers les gens, et les gens
doivent s'occuper d'abord d'eux-mêmes.»
Cameron est l'héritier de Thatcher, mais il ne
peut pas montrer la même innocence ou la même malignité, étant donné
l'expérience amère faite par des millions de gens avec les résultats de la
stratégie de la terre brûlée de Thatcher. Au lieu de cela, il présente de façon
cynique les coupes envisagées comme la création d'« opportunités » pour les
organisations caritatives et les communautés locales, et la privatisation comme
le moyen de faciliter l'avènement d'une « plus grande démocratie locale ».
La pauvreté du véritable programme annoncé par
Cameron était inversement proportionnelle à la grandiloquence de sa rhétorique.
Décrivant sa « grande société » comme un « énorme changement culturel » et
utilisant des mots comme « liberté » et « acquisition de pouvoir » il offrit
quatre plans d'« avant garde » pour Liverpool, Eden Valley (Cumbria), Windsor,
Maidenhead et pour le district londonien de Sutton. Ces plans comportent des
initiatives comme la réouverture d'un bistrot local fermé et un programme de
travail non rémunéré dans les musées locaux qui ferait travailler des jeunes au
chômage.
Ces projets et d'autres du même acabit sont
sensés être financés en utilisant de l'argent laissé dans des comptes en
banques inactifs. Cameron dit qu'ils fourniraient des centaines de millions de
livres, mais le Financial Times estime l'argent de ces comptes à tout
juste 60 millions de livres. D'autres ont fait remarquer que le financement
d'une « Banque de la grande société » de cette manière, pourrait bien être
illégale.
Bien plus important
que ces modestes propositions est le message douloureux que celles-ci ont
seulement pour fonction d'adoucir.
Ce qui est
prévu n'est pas seulement un retour aux années 1980. Les conservateurs
envisagent des mesures d'austérité qui vont bien au-delà de tout ce que
Thatcher avait fait. Le discours de Cameron était une diatribe contre la
prestation par le gouvernement de services et de mesures sociales qu'il a
rendus responsables du « plus grand déficit budgétaire au sein du G20 ».
Désormais le
gouvernement n'allait plus « jeter de l'argent à pleine mains dans des projets
gouvernementaux gaspilleurs réalisés de haut en bas » dont Cameron affirma
qu'ils faisaient des travailleurs des services publics des « marionnettes
désillusionnées et fatiguées » et faisait d'individus capables des « bénéficiaires
passifs de l'aide de l'Etat ». Le gouvernement allait maintenant « aider et
soutenir une nouvelle culture du volontarisme, de la philanthropie et de
l'action sociale ». Il allait « se débarrasser de la bureaucratie centralisée
qui gaspille l'argent » et au lieu de cela « ouvrir les services publics à de
nouveaux acteurs comme les organisation caritatives, les entreprises sociales
et les sociétés privées ». Tout cela allait créer des « communautés avec du
punch ».
L'inclusion des organisations caritatives dans
le secteur public est une fraude. Celles-ci dépendent pour un tiers de leurs
fonds du gouvernement et cet argent subira inévitablement des réductions. Les
principaux bénéficiaires des largesses gouvernementales – prélevées sur
les impôts payés par la population laborieuse – seront les sociétés
privées et les "entreprises sociales " (qui ne sont que des
compagnies privées légèrement déguisées). Ceux qui auront à payer seront les
millions de gens qui dépendent des services sociaux élémentaires tant pour
leurs besoins essentiels que pour leur surie même.
Derrière les projets bidons annoncés par Cameron
le programme de coupes budgétaires fera monter le chômage à un niveau situé
entre 3 et 4 millions, détruira l'éducation publique à travers l'introduction d'"académies"
(écoles semi-privées, ndt.) et d'"écoles libres" à gestion privée et
réduira partout les dépenses drastiquement y compris dans le NHS (National
Health Service), le système de la Santé publique.
L'objectif poursuivi par le volontariat est d'imposer
une baisse général des salaires, une des principales composantes d'une vaste
campagne de privatisation. Dans la seconde semaine de juillet, le journal
quotidien Guardian informait de ce que, sous camouflage d'une campagne
destinée à augmenter l'efficacité et, en apparence, à augmenter la productivité
dans le NHS et ailleurs, des milliards de livres sont ainsi mises à la
disposition de sociétés privées.
« Des firmes fournissant des services
externalisés se préparent à une manne de contrats de la part des municipalités
pour la fourniture de toutes sortes de choses depuis les éboueurs jusqu'aux
petits bureaucrates et parlent d'un doublement du nombre de contrats
disponibles cette année », écrivait ce journal. « Les entreprises de santé
privées elles aussi s'attendent à gagner des milliards de livres grâce à la
remise à neuf prévue du NHS dans le cadre de laquelle des médecins traitants
prendront la responsabilité de dépenser 70 milliards de livres.»
Les libéraux-démocrates soutiennent entièrement
cette initiative. Une réunion commune avec des organisations caritatives et de
volontariat à Downing Street, le dirigeant du Parti libéral- démocrate, le
vice-premier ministre Nick Clegg, déclara que la construction de la « grande
société » exigeait un « changement radical » et de « mettre fin aux intérêts
particuliers ».
Le terme « intérêts particuliers » est
devenu la formule standard utilisée dans les milieux dirigeants pour désigner
les travailleurs du secteur public.
Le fait que la grande-Bretagne a le plus
important déficit des pays du G20 est dû à la somme de presque un billion de
Livres sterling déjà donné aux banques du pays, en plus de mesures de relance
qui ont presque exclusivement profité aux principaux instituts financiers et
aux grands groupes industriels.
Faisant référence à la « crise de la dette
souveraine » résultant de ce pillage des ressources publiques accumulées par
des millions de travailleurs, le gouvernement déclare à présent que des
sacrifices supplémentaires sont nécessaires pour éviter une faillite de l'Etat
et une ruée sur la Livre. Il ne mentionne pas le fait que ces sacrifices
supplémentaires seront utilisés pour soutenir les mêmes institutions déjà
renflouées et dont les pratiques spéculatives ont déclenché la crise
économique.
La « grande société » est une recette pour un
désastre social dont la responsabilité repose sur les épaules du Parti
travailliste et des syndicats. Comme avec chaque annonce de coupes budgétaires
de la part du gouvernement depuis que celui-ci a pris ses fonctions, le
discours de Cameron sur la « grande société » n'a produit que de mièvres
banalités de la part des dirigeants syndicaux britanniques.
En fait de réponse officielle de la part du
Parti travailliste, la ministre du « cabinet de l'ombre » Tessa Jowell
tenta de revendiquer pour son parti la paternité des initiatives conservatrices
– appelant le discours de Cameron « une nouvelle et culottée redéfinition
de programmes déjà mis en oeuvre par le gouvernement travailliste ».
Le favori dans la course à la direction du Parti
travailliste ayant lieu en ce moment, David Milliband, s'est donné du mal à
souligner que la critique des propositions de Cameron devait se concentrer sur
la façon dont ces plans allaient être réalisés plutôt que sur leur contenu ou leur
intention. De toute évidence, les travaillistes estiment que ces mesures sont
très populaires auprès du grand patronat et qu'elles fourniront une manne
financière à nombre de leurs partisans impliqués dans les sociétés et les
entreprises du secteur social signant des contrats.
S'appuyant sur les syndicats pour paralyser et
décapiter l'opposition de la classe ouvrière, la bourgeoisie se sert de la
crise de son système pour mettre en place un système massif de démolition
sociale. Son but est d'éliminer les mécanismes sociaux mis en place à la fin de
la deuxième Guerre mondiale et d'imposer une redistribution sans précédent dans
l'histoire de la richesse de la population travailleuse vers les super riches.
C'est pourquoi la langue de Cameron, avec sa
concentration sur le caritatif, la philanthropie et l'altruisme sent à plein
nez l'ère victorienne. C'est le seul point de référence a partir duquel
l'impact de ces mesures puisse être correctement jugé.