Deux semaines
et demie après la publication de 92.000 documents par le site WikiLeaks, une
chape de plomb a été placée par la presse européenne sur les détails des
documents révélant l’occupation brutale de l’Afghanistan par
l’OTAN.
L’hebdomadaire allemand Der Spiegel (bénéficiaire avec le Guardian
et le New York Times d’un accès privilégié aux documents de WikiLeaks)
avait fait figurer au premier plan les dossiers classifiés en exposant en particulier
la collaboration des troupes d’élite allemandes avec les escadrons
militaires visant des insurgés présumés pour des assassinats ciblés.
Dans sa dernière édition cependant, Der Spiegel avait en grande
partie laissé tomber cette question en ne se référant qu’une seule fois à
WikiLeaks dans un article de deux paragraphes et traitant des efforts des
Etats-Unis pour améliorer leurs relations avec le Pakistan.
Le silence absolu ou presque de Der
Spiegel est sans aucun doute lié à une
offensive lancée par le gouvernement allemand pour mettre en question le
matériel de WikiLeaks. La semaine passée, le ministre allemand des Affaires
étrangères, Guido Westerwelle, avait pris la parole en public pour approuver la
collaboration de l’armée allemande dans les assassinats ciblés et pour
affirmer que de tels assassinats étaient juridiquement validés.
Nombre d’autres organes de presse en Allemagne et partout en Europe
ont choisi de minimiser la portée des documents de WikiLeaks. La suppression
d’articles traitant de ces documents fait suite à une série
d’articles tant dans les journaux de droite que dans les journaux
libéraux qui se faisaient l’écho de la presse américaine. Dans ces
articles, l’importance des documents étaient minimisées par
l’affirmation qu’ils ne contenaient pas grand-chose de nouveau en
fait d’information. Dans le même temps, certains articles s’en
prenaient à la crédibilité de l’éditeur et fondateur de WikiLeaks, Julian
Assange.
A présent, des politiciens de tous bords se réfèrent aux critiques des
médias contre WikiLeaks. Ils profitent de la suppression totale de ses
divulgations sur les atrocités commises par les forces OTAN-USA pour renforcer
leur engagement à la guerre en Afghanistan et au Pakistan. La condition qu’ils
mettent à cet engagement est toutefois que les gouvernements européens aient
leur mot à dire dans la conduite des opérations militaires.
Un document récemment divulgué par WikiLeaks et qui n’a littéralement
pas été couvert dans la presse européenne est le rapport de la CIA intitulé
« Pourquoi compter sur l’apathie pourrait ne pas être
suffisant. » Ce rapport avait été rédigé dans le but défini de
« renforcer le soutien en Europe de l’Ouest à la guerre en
Afghanistan. »
Ce document, daté du 11 mars de cette année, reconnaît qu’une vaste majorité
de gens en France et en Allemagne (80 pour cent dans les deux pays) est opposée
à toute intensification de la guerre. Il met en garde que « si certaines des
prévisions d’un été sanglant en Afghanistan se confirmaient,
l’hostilité passive en France et en Allemagne contre la présence de leurs
troupes en Afghanistan pourrait se transformer en une hostilité active et
politiquement efficace. »
Remarquant que le facteur principal dans la chute du gouvernement néerlandais
au début de l’année avait été la répudiation de sa promesse de retrait des
troupes néerlandaises d’Afghanistan, le rapport de la CIA suggère que les
autres gouvernements européens, notamment la France et l’Allemagne,
pourraient subir le même sort en « ne voulant pas payer le prix politique
d’une augmentation du contingent ou d’une extension des
déploiements. »
Comme antidote, le rapport recommande une « communication offensive. »
Dans le cas de la France, la CIA conseille de mettre l’accent sur le fait
que « les Talibans renversent les progrès durement acquis en matière
d’éducation des jeunes filles. » Pour contrecarrer « le
pessimisme allemand » à l’égard de la mission de l’OTAN, le
rapport suggère que « des messages dépeignant comment une défaite en
Afghanistan pourrait exposer plus fortement l’Allemagne au terrorisme, au
trafic de l’opium et aux réfugiés pourraient rendre la guerre plus
acceptable aux sceptiques. »
Après la divulgation par WikiLeaks, des sections de la presse européenne ont
justement initié une telle « communication offensive. » En écrivant
dans Die Welt le 29 juillet, le correspondant politique en chef de ce
journal, Ansgar Graw, a reconnu la « note pessimiste » des documents
de WikiLeaks. Mais, a-t-il commenté en mettant en avant l’argument que
tout retrait des forces militaires ne servirait qu’à « accroître la
détermination à lutter des extrémistes et des terroristes. »
Un retrait des troupes serait « un coup porté non seulement contre le
président et les Etats-Unis mais contre l’Occident en général, » a
écrit Graw. Au lieu de cela, ce qui est nécessaire a-t-il poursuivi,
« c’est une dernière manifestation de force de la part de tous les
Etats membres de l’OTAN participant à la FIAS [Force internationale
d’assistance à la sécurité, ISAF] » et basée sur « un renforcement
militaire et financier de l’engagement allant jusqu’en 2015 et
au-delà. »
Graw a de plus plaidé en faveur d’une nouvelle stratégie destinée à
établir de nouveaux centres de pouvoir dans les provinces, basés sur des
concessions faites aux dirigeants talibans. Cette stratégie qui est de plus en
plus favorisée par les gouvernements de Paris et de Berlin affaiblirait
l’autorité exercée par le commandement militaire américain sur les forces
européennes.
Après un bain de sang de presque neuf années et des dizaines de milliers de
morts afghans, il est clair que la « dernière manifestation de force»
préconisée par Graw, en plus des « assassinats ciblés » acceptés par
le ministre allemand des Affaires étrangères, signifient une considérable
intensification de la mort et de la destruction en Afghanistan.
En France, le « journal de référence » Le Monde a publié
mardi un article soulignant les critiques formulées contre les documents de
WikiLeaks par un nombre d’organisations des droits de l’Homme dont
Amnesty International. En répétant la ligne du Pentagone, ces organisations
affirment que le matériel de WikiLeaks met en danger les informateurs et les
collaborateurs des forces d’occupation.
La seule voix significative contre le déploiement français est celle de
l’ancien ministre de la Défense Paul Quilès qui a déclaré au Monde
que l’opinion publique sait à présent que l’opération de
l’OTAN en Afghanistan n’est pas « une guerre contre le
terrorisme. » En citant l’ancien président Charles de Gaulle, Quilès
a souligné le besoin d’une politique étrangère française indépendante.
Dans ses propres éditoriaux, Le Monde explique qu’il n’y
a pas d’alternative à l’opération de l’OTAN en Afghanistan
tout en pressant les députés de mieux justifier la guerre.
Ceux qui sont derrière le site WikiLeaks avaient sans aucun doute espéré que
la divulgation des crimes de guerre OTAN-USA en Afghanistan déclencherait un
débat public honnête et ouvert à tous en renforçant entre autres les forces plaidant
en faveur d’une fin de la guerre et de l’occupation OTAN-USA.
Finalement, le manque de toute opposition véritablement démocratique aux crimes
de guerre impérialistes dans la presse traditionnelle des deux côtés de
l’Atlantique a créé des conditions où les défenseurs les plus virulents
de la guerre Afpak sont en mesure de monter leur propre offensive pour une
nouvelle escalade tout en menant une campagne pour la fermeture du site
WikiLeaks.
Le refus de l’ensemble de la presse de l’establishment de
défendre WikiLeaks est reflété par une multitude d’organisations ex-radicales
qui ont minimisé la révélation des atrocités OTAN-USA en refusant
d’organiser une opposition à la guerre en Afghanistan.
Au cours de ces deux dernières semaines, les sites internet tant du Nouveau
Parti anticapitaliste en France que du parti La Gauche en Allemagne n’ont
publié ni articles sur les divulgations de WikiLeaks ni déclarations pour la
défense du site contre la répression d’Etat.
Il existe un sentiment anti-guerre grandissant et général aux Etats-Unis et
en Europe mais il ne peut trouver une expression que sur la base d’une
mobilisation indépendante de la classe ouvrière contre le militarisme et la
guerre. Cette mobilisation doit s’appuyer sur un programme socialiste et
internationaliste pour le renversement du système capitaliste de profit, source
de la guerre impérialiste.