Les demandes de mesures relevant de la guerre commerciale
contre la Chine se font de plus en plus fortes à Washington avec l'approche de
la date fatidique du 15 avril où le ministère du Trésor américain présentera
son rapport semestriel au Congrès sur les questions monétaires. La question
clef est de savoir qu'il faut déclarer que la Chine est un « manipulateur
de monnaie », ce qui ouvrirait la voie à des pénalités de compensation
appliquées par les États-Unis.
Lors d'une séance du comité sur les crédits de la Chambre
des représentants, la semaine dernière, l'économiste Fred Bergsten a affirmé
que le yuan chinois était dévalué de 40 pour cent face au dollar américain, ce
qui entraînait d'importantes pertes d'emplois aux États-Unis et l'émergence
d'un déficit commercial. Il a demandé au gouvernement Obama de déclarer la
Chine comme manipulateur de monnaie, une première étape pour obtenir le soutien
d'autres puissances afin de forcer Pékin, par l'intermédiaire du Fonds monétaire
international et de l'Organisation mondiale du commerce, à réévaluer sa
monnaie.
Le langage agressif de Bergsten est lui-même un symptôme des
tensions commerciales montantes. Tout comme les États vont systématiquement en
guerre au nom de la « paix », Bergsten justifie les pénalités
commerciales imposées par les États-Unis à la Chine comme « anti-protectionnistes »
— une réponse à la « forme de protectionnisme éhonté » de la
Chine lorsqu'elle dévalue son yuan. L'approche « multilatérale » de
Bergsten, demandant de l'aide aux Européens notamment, cherche à obtenir un « impact
maximum » et minimiser la capacité de Pékin à répliquer à Washington.
L'Europe, cependant, est plongée dans sa propre crise monétaire.
Les conflits en les gouvernements européens au sujet d'une aide envers la Grèce
lourdement endettée, ont exposé les divergences et remis en question le futur
de la monnaie unique. La chute qui en a résulté dans la valeur de l'euro a aidé
les exportateurs, rendant le soutien européen aux diverses manœuvres américaines
contre la Chine moins probable. Le commissaire au commerce de l'UE Karel DE
Gucht a déclaré au Financial Times ; « En ce moment, c'est une
question moins politique en Europe. »
Une demande des États-Unis pour des mesures contre la Chine
placerait les pays comme le Japon ou l'Australie dans une position délicate. De
nombreux pays de la zone Asie-Pacifique ont des liens stratégiques bien établis
avec les États-Unis, mais dépendent fortement de la Chine pour que leurs économies
gardent la tête hors de l'eau. Se joindre à Washington pour exiger une réévaluation
du yuan risque d'entraîner une vengeance économique de Pékin. Ne pas s'y
joindre, c'est risquer une rupture avec les États-Unis.
Néanmoins, les clameurs protectionnistes à Washington
continuent de plus belle. Face à des niveaux de chômage qui approchent les 10
pour cent, les démocrates et les syndicats sont pressés de trouver un bouc émissaire
pour détourner l'attention de leur propre responsabilité dans des décennies de
destructions systématiques des emplois. La semaine dernière, l'Institut des
politiques économiques, financé par les syndicats, a publié un rapport
affirmant que 2,4 millions d'emplois américains ont été perdus en faveur de la
Chine depuis 2001. Son auteur, Robert Scott, a demandé au Congrès d'imposer un
tarif douanier général d'au moins 25 pour cent sur les produits chinois si Pékin
ne se résolvait pas à changer sa politique monétaire.
La Chine s'était pliée aux exigences américaines en 2005 et
avait permis au yuan de flotter face au dollar, mais elle était revenue à un
taux fixe en 2008 lorsque la crise financière globale avait éclaté. Face à ses
propres problèmes économiques et sociaux, Pékin avait déclaré à plusieurs
reprises qu'il ne dévaluerait pas le yuan. En visite à Washington la semaine
dernière, le vice-ministre du Commerce Zhong Shan a déclaré que les États-Unis
avaient tort de conclure que la Chine était un manipulateur monétaire en raison
de son excédent commercial et a prévenu : « Le gouvernement chinois
ne se pliera pas aux pressions étrangères. »
Les exportations chinoises ont été durement frappées par la
crise mondiale, ce qui a entraîné la perte d'au moins 20 millions d'emplois et
l'exacerbation des tensions sociales. Toute réévaluation du yuan devrait déclencher
une nouvelle vague de faillites et de pertes d'emplois en Chine. Dans un
article du Syndney Morning Herald, le professeur Fan Gang de l'Université
de Pékin s'en est pris à la dernière tournée de « dénigrement de la Chine »
à Washington, faisant remarquer qu'un yuan réévalué ne ferait que remonter les
prix et les taux d'intérêt aux États-Unis. Et cela ne créerait pas plus
d'emplois aux États-Unis ; la production serait simplement transférée dans
des pays où la main-d'œuvre est moins chère comme l'Inde ou le Vietnam.
Les taux de change font partie de tensions plus vastes entre
les États-Unis et la Chine. Depuis le début de l'année, le gouvernement Obama
a pris une position nettement plus agressive, comme le montrent les nouvelles
ventes d'armes à Taiwan ou la rencontre entre Obama et le Dalaï-Lama le mois
dernier. Des tarifs douaniers ont déjà été imposés par les États-Unis sur les
pneus et les tuyaux d'acier chinois. Washington fait pression sur Pékin pour
qu'il soutienne l'application de nouvelles sanctions par l'ONU contre l'Iran
– un important fournisseur d'énergie pour la Chine – et critique la
Chine sur la censure d'Internet, avec le conglomérat Google qui se retire de
ses opérations en Chine.
Certains commentateurs affirment que la Chine devient plus sûre
d'elle-même. Dans le Financial Times, le week-end dernier, l'analyste d'Eurasia
Group Ian Bremmer a averti qu'en conséquence de l'imbrication économique de
la Chine et des États-Unis, « un nouveau conflit est en train de se développer
qui risque d'être plus dangereux même que la Guerre froide. » Il a déclaré
que les « ambitions [chinoises] d'être leur influence en Asie et ses plans
pour faire des affaires dans des lieux très éloignés ont donné un nouvel
entrain à ses plans militaires… Un transfert plus important dans l'équilibre
des puissances pourrait également inciter les faucons chinois à demander une résistance
plus grande aux pressions américaines dans des endroits comme la Corée du Nord,
la Birmanie et le Soudan. »
Cependant, le directeur de Morgan Stanley en Asie, Stephen
Roach, commentant pour le Financial Times lundi, a déclaré que la Chine
n'était pas responsable des problèmes économiques de la Chine. Il a prévenu :
« La tendance de Washington à faire de la Chine un bouc émissaire risque
de mettre le monde au bord d'une pente très glissante. Ce ne serait pas la
première fois que le refus politique de voir la réalité en face s'appuierait
sur une mauvaise compréhension de l'économie. Mais les conséquences d'une telle
erreur – des frictions commerciales et le protectionnisme –
feraient passer la crise de 2008-09 pour des jeux d'enfant. »
La crise économique globale n'a fait que souligner le déclin
de la domination américaine et la montée de l'économie chinoise. La quête de Pékin
pour les matières premières et les marchés l'emmène en conflit avec les
puissances plus anciennes. Les parallèles avec les années 1930 et la montée
vers la guerre sont évidents.
Témoignant devant le comité sur les crédits de la Chambre
des représentants, la semaine dernière, l'historien Niall Fergusson a soutenu
la déclaration de la Chine comme « manipulateur de monnaie », mais a
mis en garde contre des mesures de représailles unilatérales drastiques. « L'une
des leçons les plus importantes de la grande Dépression fut que les mesures
protectionnistes, y compris les dévaluations compétitives, tendaient à aggraver
la situation de l'économie globale au début des années 1930. Une deuxième leçon
historique, c'est que les conflits sur les monnaies et le commerce sont souvent
des préludes à des conflits d'un autre genre », a-t-il prévenu.
Cette dérive vers les guerres commerciales et monétaires, le
militarisme, les guerres néo-coloniales et des conflagrations mondiales plus
amples est le résultat inévitable de la contradiction fondamentale, insoluble,
d'un système capitaliste dépassé — entre une économie globale et la
division du monde en États-nations. La seule autre option est la réorganisation
du monde par la classe ouvrière internationale afin que ses vastes ressources
puissent être mobilisées pour répondre aux besoins sociaux pressants de
l'humanité, au lieu des profits privés de quelques nantis.