Les cercles politiques français ont rallié avec férocité
la chasse aux sorcières planétaire contre le fondateur emprisonné du site
lanceur d'alerteWikiLeaks, Julian Assange, qui est d'origine
australienne. Certaines des déclarations les plus venimeuses sont venues du
parti de la « gauche » bourgeoise, le Parti socialiste (PS) et de ses
satellites ex-radicaux de la classe moyenne tel le Nouveau parti
anticapitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot et Lutte ouvrière (LO.)
WikiLeaks
a publié des télégrammes diplomatiques révélant les desseins prédateurs de
l'impérialisme américain, dont des documents sur la torture et le meurtre de
civils perpétrés en secret en Irak et en Afghanistan et des discussions
concernant une possible guerre contre la Chine. Le site révèle aussi la
collaboration extensive avec Washington de régimes en Europe et de par le
monde. Assange a reçu des menaces de mort et certaines personnalités aux
Etats-Unis et au Canada ont suggéré qu'il faudrait l'assassiner.
Les
Etats-Unis et leurs alliés ont à ce jour été incapables de trouver ou de
concocter des motifs pour des chefs d'accusation contre Assange, concernant son
journalisme d'investigation et le service public qu'il a rendu en tirant la
sonnette d'alarme contre les secrets de la diplomatie. Néanmoins il a été
arrêté en Angleterre le 7 décembre sur des accusations forgées de toute pièce
d'un juge suédois, d'allégation de « viol » commis en Suède. La cour
de Westminster a demandé qu'il reste en garde à vue jusqu'au 14 décembre et a
refusé de le relâcher malgré des propositions de versement de caution par
diverses personnalités tels le cinéaste Ken Loach et le célèbre journaliste
John Pilger.
Comme on
pouvait s'y attendre, le président Nicolas Sarkozy de l'UMP (Union pour un mouvement
populaire) au pouvoir, allié à l'impérialisme américain et à ses aventures
militaires néo-coloniales, a condamné WikiLeaks. Le ministre de l'Economie
numérique et ancien membre en vue du PS, Eric Besson, qui s'était rallié à
Sarkozy durant la campagne présidentielle de 2007, cherche à empêcher le
serveur français de Wikileaks de l'héberger.
Besson a dit à la presse: « Lorsqu'un site est considéré comme criminel par un pays
démocratique et ami, est-ce qu'on trouve naturel qu'il puisse être hébergé en
France comme il l'a été depuis quelques jours ? … Ce n'est pas acceptable. » Quand on lui a demandé s'il allait aussi prendre
des mesures contre Le Monde, journal de référence en France, pour sa
publication des télégrammes affichés sur WikiLeaks, il a répondu avec ambigüité:
« Ce n'est pas à moi de juger. »
En
qualité de ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale du gouvernement
de Sarkozy jusqu'au remaniement du mois dernier, Besson avait mené la campagne
pour interdire la burqa et organisé le débat islamophobe sur l'identité
nationale. Les mises en garde du WSWS que ces attaques contre les droits
démocratiques des minorités vulnérables étaient le prélude à une attaque
générale contre les droits démocratiques se confirment pleinement aujourd'hui.
Mais c'est de la « gauche » que sont venues
certaines des attaques les plus insidieuses contre Assange et WikiLeaks.
L'éditorial du 25 novembre du quotidien pro-PS Libération mettent
outrageusement sur un pied d'égalité les « dégâts » causés par
WikiLeaks et la dévastation semée par l'impérialisme américain sur les
populations afghane et irakienne: «On peut
reprocher à Julian Assange, qui publie ces notes avec souvent les noms des
informateurs ou collaborateurs locaux - comme dans le cas
de l’Afghanistan -, d’avoir le même dédain pour
les dommages collatéraux qu’un stratège de l’US Air
Force. »
Prétendre qu'il y a une équivalence morale ou politique
entre des représentants d'Etat perpétrant des crimes de guerre et de la
diplomatie secrète et des journalistes mettant au grand jour ce comportement
est un mensonge répugnant. La référence du journal à des « dommages
collatéraux » des frappes aériennes américaines est totalement cynique,
car Libération se dit opposé à ces crimes alors même qu'il calomnie ceux
qui essaient de révéler au grand jour ces crimes. Ceci révèle la position
politiquement compromise de la « gauche » française qui aligne sa
politique étrangère sur celle de Washington tout en lançant des appels cyniques
à l'antiaméricanisme.
Libération nie
aussi de façon absurde tout lien entre les accusations forgées de toute pièce
contre Assange et la campagne d'Assange pour révéler des crimes
gouvernementaux: «Il ne nous appartient pas de juger des sérieuses accusations
«d’agressions sexuelles» qui pèsent sur Julian Assange. Rien dans
l’état du dossier ne permet de lier ces charges, comme le fait
l’inventeur de WikiLeaks, aux attaques dont son organisation fait
l'objet. »
L'une des attaques les plus virulentes contre WikiLeaks
est venue d'Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères du
gouvernement de Gauche plurielle(PS, Parti communiste (PC) et Verts) de Lionel
Jospin (1997-2002.) Le gouvernement de Gauche plurielle avait soutenu et
participé militairement à l'invasion de l'Afghanistan par les Etats-Unis et ses
alliés en 2001. Védrine a aussi été accusé par l'association « Génocide
made in France » de responsabilité pour la complicité de la France dans la
préparation et la perpétration du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, sous
la présidence de François Mitterrand du PS.
Védrine a dit sur radio France Inter que WikiLeaks
« c’est
même la démonstration que la transparence, cet espèce de pseudo veau d’or
n’apporte rien. Contrairement au président Wilson, qui combattait la
diplomatie secrète, j’ai tendance à penser que dans la diplomatie
entièrement publique, il y a toujours un risque de fanatisme.» Védrine a dénoncé le «mythe de la transparence
absolue » comme étant du « totalitarisme masqué. »
La
tentative de Védrine de salir les partisans de WikiLeaks en les traitant de
défenseurs du fanatisme et du totalitarisme simplement parce qu'ils veulent que
des décisions politiques et économiques majeures qui touchent la vie de
milliards de gens, dont des projets de guerre de grande envergure, soient rendues
publiques, est cynique et absurde. Qu'une personnalité publique majeure puisse
insister pour dire que de telles décisions devraient se prendre sans que la
population le sache témoigne de la profondeur de la déliquescence de la
démocratie française et du bilan criminel de ses dirigeants. Il semble en effet
très probable que Védrine s'inquiète de savoir combien de ces télégrammes
WikiLeaks mentionnent son nom et ce qu'ils révèlent de ses actions.
Les
réactions les plus méprisables devant la persécution d'Assange sont les
déclarations des ex-radicaux soi-disant de gauche. Ils n'ont absolument pas
cherché à utiliser les précieuses révélations de WikiLeaks pour montrer
publiquement la brutalité de l'impérialisme américain, français ou mondial. Au
contraire, ils se sont fait l'écho des médias bourgeois, en minimisant la
signification des documents WikiLeaks.
Lutte ouvrière qui se prétend encore parfois trotskyste
mais est souvent en alliance électorale avec le Parti socialiste, n'a consacré
que dix lignes au sujet. Ils ont exprimé un certain amusement devant l'embarras
de diplomates dont « les petits secrets » ont été révélés. Ils font
remarquer que WikiLeaks a révélé qu'en 2006 Sarkozy avait proposé d'envoyer des
soldats français en Irak et signalent qu'ils sont en fait en Afghanistan
« Et là-bas
[l'armée] tue et opprime des civils. »
Mais LO
ne dit rien de l'arrestation d'Assange et ne lance aucun appel à sa libération
ou pour sa défense.
Le site
du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) n'a affiché que deux brèves références à
WikiLeaks.. Son article daté du 10 décembre, trois jours après l'arrestation
d'Assange, ne fait pas mention de son emprisonnement et n'appelle pas à prendre
sa défense. Il se contente de faire remarquer que les activités de WikiLeaks « ont suscité de violentes polémiques et
des intimidations au plus haut niveau, entraînant d’importants problèmes
techniques et financiers pour son fondateur Julian Assange et ses
collaborateurs. »
L'autre article sur la question, daté du 2 décembre,
cherche à minimiser la signification du travail de WikiLeaks: « Pour l’instant peu des
informations révélées par les documents publiés par Wikileaks sont des
surprises sur le fond. » L'article
poursuit en questionnant les motivations d'Assange: «les personnalités, le fonctionnement et
surtout les motivations des fondateurs de Wikileaks restent obscurs et le seul
amour de la vérité basé sur le piratage ne peut suffire à faire un programme
politique progressiste. »
Cette
position est fausse et réactionnaire. WikiLeaks n'a pas « volé » les
documents qu'il a révélés au grand jour, il n'a fait que les afficher en tant
que service public. Quant aux motivations d'Assange, il a réussi à donner au
public une vision détaillée des projets corrompus et crimes de guerre des gouvernements
capitalistes de par le monde. Des partis comme le NPA ou LO, qui malgré leur
rhétorique fallacieuse prétendument de gauche ne cherchent pas à mobiliser la
classe ouvrière en lutte contre ces gouvernements, réagissent avec un mélange
d'indifférence et de calomnie.
Ceci
reflète non seulement leur vision généralement droitière mais aussi les
implications de leur orientation politique vers le Parti socialiste. En tant
que partis qui pourraient devenir des partenaires de coalition au sein d'un
gouvernement PS après les élections de 2012, ils n'ont aucun intérêt à faire de
la diplomatie une affaire publique. En effet ils ont tout intérêt à empêcher
que ne deviennent publics de futurs télégrammes écrits sur les crimes d'un
gouvernement conduit par le PS.
Le fait
que la « gauche » française se soit alignée dans le camp anti-Assange
démontre à quel point ils sont à la droite de la société française. Un sondage
effectué entre le 9 et 10 décembre a révélé que 54 pour cent des Français
soutenaient WikiLeaks.. Pour les 18-24 ans le soutien s'élève à 73 pour cent et
pour les moins de 35 ans il est de 67 pour cent. 66 pour cent des travailleurs
défendent WikiLeaks. Le NPA et LO sont significativement à contre courant de
leur propre base électorale, dont 78 pour cent se déclarent en faveur de
WikiLeaks.