Les soubresauts qui se sont manifestés sur les marchés financiers au
cours de cette dernière semaine indiquent un nouveau stade de la crise
financière mondiale fondé sur la crainte des cercles dirigeants que
commencent de vastes luttes sociales au moment où les gouvernements tentent
de payer le coût des renflouements de banques massifs par des coupes sans
précédent dans l’emploi, les salaires et les services sociaux.
Dans son ouvrage Les luttes de classe en France, Karl Marx avait
noté que « le crédit public repose sur la croyance que l’Etat se laisse
exploiter par les loups-cerviers de la finance. » Au cours de ces 18
derniers mois, les loups-cerviers se sont gavés au fur et à mesure que des
plans de sauvetage, octroyés par les gouvernements des principaux Etats
capitalistes et s’élevant à quelque 30 pour cent de leur produit intérieur
brut combiné, ont sauvé les banques, augmentant leurs profits et stimulant
les marchés financiers.
Comme l’admettait dans un discours l’année dernière le gouverneur de la
Banque d’Angleterre, Mervyn King, « jamais dans le domaine de l’activité
financière autant d’argent n’a été dû à autant de gens par si peu. »
Si les différents modèles de sauvetage et d’interventions impliquaient
des opérations apparemment complexes ils étaient à la base très simples :
des billions de dollars de dette ont simplement été rayés du bilan des
banques et des institutions financières pour être transférés à l’Etat.
Arrive maintenant la phase suivante – le remboursement de cette dette au
moyen de coupes sombres dans les dépenses sociales et de réductions
drastiques du niveau de vie de la classe ouvrière. Ce processus a débuté en
Grèce avec l’annonce du gouvernement grec qu’il s’efforcerait de réduire le
déficit budgétaire en faisant passer son niveau actuel de 13 pour cent du
PIB à 3 pour cent au cours des deux prochaines années.
Après l’acceptation de cette décision par l’Union européenne, les marchés
n'ont d'abord pas connu de changement. Mais cela devait ne devait pas durer.
Aux dires d’un commentateur financier, « la sensation de chaleur ressentie
du fait de la décision prise par Bruxelles avait disparu » sitôt l’annonce
de l’organisation en Grèce d’une grève générale le mois prochain pour
protester contre les coupes.
Les ondes de choc qui se sont alors propagées sur les marchés financiers
mondiaux reflètent deux préoccupations liées entre elles au sein des milieux
gouvernementaux et financiers. La première préoccupation est que les
événements ayant lieu en Grèce ne sont que la première manifestation d'une
crise de l’endettement s’étendant à toute l'Europe et au-delà. La seconde
est que la situation qui a prévalu ces 18 derniers mois, où les
gouvernements de par le monde ont rempli les exigences des banques et des
marchés financiers sans intervention sérieuse de la classe ouvrière est sur
le point de prendre fin.
Avec l’apparition de la crise grecque, l’attention s’était immédiatement
tournée vers les autres membres de l’UE, l'Irlande, le Portugal, l'Italie et
l'Espagne. La semaine passée les « couvertures de défaillance » sur la dette
portugaise, évaluant le risque de défaut, ont connu une forte augmentation
due à la crainte que le pays était en train de devenir ingouvernable et que
« ce qui est en jeu est la crédibilité de l’Etat portugais. »
Les frais d’assurance contre le risque de défaillance de la dette
espagnole ont également fait un bond après que le commentateur économique du
New York Times, Paul Krugman, ait mis en garde que « le plus gros
point névralgique n’[était] pas la Grèce mais l’Espagne. » Selon la société
Barclays Capital, le passif extérieur net correspond à 87 pour cent du PIB
pour la Grèce, 91 pour cent pour l’Espagne et 108 pour cent pour le
Portugal.
Si la crise était limitée à la Grèce ou même aux soi-disant pays
méditerranéens elle pourrait être contenue. Mais l’augmentation des déficits
budgétaires est un phénomène universel. Le Fonds monétaire international
(FMI) a prévu que le ratio de la dette publique au PIB des économies les
plus avancées devrait passer à 115 pour cent d’ici 2014 contre 75 pour cent
en 2007, un bond sans précédent en temps de paix, les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne étant les deux pays les plus durement touchés.
Jusque-là l’UE a décidé de ne pas venir en aide à la Grèce, de crainte de
créer un précédent pour le sauvetage de l’Irlande, du Portugal et même de
l’Italie. Dans le même temps, l’UE a refusé une intervention du FMI parce
que des sauvetages internationaux de pays individuels au sein de l’UE
remettraient en question le système financier européen et la stabilité de
l’euro. Reflétant la pression qui règne au sein de l’UE, une réunion ce
week-end des ministres des Finances des pays du G7 a montré clairement que
les autorités européennes « géreraient » la crise grecque.
Mais l’attitude adoptée par l’UE a suscité des critiques comme quoi elle
est en train de créer des problèmes encore plus grands. Dans un commentaire
intitulé « L’Europe risque une autre dépression mondiale, » l’ancien
économiste en chef du FMI, Simon Johnson, a écrit : « Que font les économies
européennes plus fortes, notamment l’Allemagne et la France, pour contenir
la crainte qui s’auto alimente que les pays les plus faibles de la zone euro
pourraient ne pas être en mesure de rembourser leur dette -- cette panique
qui a fait grimper les taux d’intérêt et a vraiment rendu plus difficile le
remboursement pour les gouvernements en difficulté ? Les Européens aux
poches profondes ne font rien, sauf insister pour que tous les pays qui
subissent des pressions réduisent rapidement leurs budgets et ce, d'une
façon qui est probablement irréalisable politiquement. Ce genre d’austérité
fiscale précipitée avait directement contribué au démarrage de la Grande
Dépression dans les années 1930. »
Le début de ce nouveau stade de la crise financière mondiale soulève pour
la population laborieuse des questions politiques décisives. Pour les élites
dirigeantes tout dépendra de la mesure dans laquelle elles sont capables
d’isoler, de briser et de réprimer les luttes de la classe ouvrière. Pour
cela, elles comptent directement sur les directions social-démocrates et
syndicales pour désamorcer l’opposition populaire aux coupes en la
canalisant dans des directions nationalistes et avant tout en faisant
obstacle au développement d’une perspective socialiste.
Le caractère même de la crise pose cependant la nécessité objective de
l’unification de la classe ouvrière internationale sur la base d’un
programme socialiste. Les interrelations complexes de la finance mondiale
signifient qu’une crise dans une région est presque immédiatement transmise
à l'ensemble du système. La crise des subprimes aux Etats-Unis avait
déclenché la crise financière mondiale, à présent les défauts de
remboursement en Europe menacent de l’approfondir.
C’est pourquoi, dans chaque pays, une lutte politique doit être lancée
pour résoudre cette crise dans l’intérêt de la population laborieuse et de
la société en général en exigeant l’expropriation de l’ensemble du système
bancaire et financier et le placement de ses ressources sous contrôle
démocratique public et international. Alors seulement, la mainmise de
l’oligarchie financière sera brisée et la société reconstruite dans le but
de satisfaire les besoins de l’humanité et non les profits des banques.