L'éviction
soudaine du premier ministre australien Kevin Rudd lors d'un coup
de main politique, le mois dernier, a mis fin au mythe, promu dans
le monde entier et en Australie même, qu'il s'agit là d'un
pays où règne la stabilité sociale et la paix sur le plan
politique. L'installation antidémocratique de Julia Gillard est
symptomatique de l'agitation économique et politique croissante
au niveau mondial et constitue un avertissement pour la classe
ouvrière quant au tournant vers des mécanismes nouveaux et
répressifs que prend l'élite dirigeante pour gouverner.
La
façon dont Gillard a été placée à la
tête du gouvernement est sans précédent dans la politique
australienne. Auparavant, des changements à la tête du parti
travailliste consistaient en défis ouverts lancés au leader en
exercice, en un lobbying prolongé tant en public que dans les
coulisses de la part des divers prétendants, en discussions et en
élections au sein du « caucus » (constitué par tous
les députés du parti) et en général il y avait de longues
périodes de transition d'un premier ministre à l'autre.
L'exécution politique de Rudd, au contraire, a été menée sans
avertissement et sans qu'aucune critique préalable ne soit
soulevéepubliquement
par un député sur aucun sujet. Au lieu de cela, une poignée de
dirigeants sans visage, agissant à la requête directe des grandes
sociétés minières et d'autres parties du capital industriel et
financier, ont tout simplement et en l'espace d'une journée,
placé Gillard à la tête du gouvernement.
Le
« caucus » travailliste ne
joua aucun rôle dans ce processus et les adhérents du parti encore
moins. Même le ministre des Finances, Lindsay Tanner - qui avec
Rudd, Gillard et le ministre du Trésor, Wayne Swan, faisait partie
de la prétendument toute puissante « Bande des quatre »
- a suivi l'attaque lancée contre Rudd à la télévision sans
avoir eu préalablement connaissance de ce qui se passait. Le
lendemain matin personne, et cela inclut Rudd, ne protesta lorsque
Gillard fut intronisée comme leader. Le « caucus » ne
vota même pas.
Un des
facteurs clé dans ces événements
extraordinaires fut l'hostilité de la part des sociétés
minières multinationales à la « Taxe sur les super profits
miniers » proposée par Rudd. L'appareil du Parti
travailliste est lié aux géants de l'énergie par d'innombrables
liens comprenant des dons lors de campagnes électorales, des
relations privées et des échanges de personnel. En l'espace
d'une semaine, suite à l'éviction de Rudd, Gillard avait
abandonné la nouvelle taxe à la date limite requise par les
magnats de l'industrie minière leur accordant, à travers
diverses concessions, une manne représentant de nombreux milliards
de dollars.
Ces
manoeuvres sordides montrent où réside réellement le pouvoir
politique au sein de la soi-disant démocratie capitaliste. Les
décisions économiques et politiques sont déterminées non par le
peuple qui exprimerait sa volonté grâce à des représentants élus
démocratiquement et responsables devant lui, mais par de puissants
intérêts industriels et financiers qui agissent de façon brutale,
dans les coulisses, afin d'imposer leurs exigences. Derrière la
façade de la démocratie parlementaire bourgeoise il y a la
dictature du capital soutenue, comme l'expliquait déjà Friedrich
Engels, par l'Etat - « des détachements spéciaux
d'hommes armés et.leurs annexes matérielles, prisons et
institutions pénitentiaires de toutes sorte... »
En
dernière analyse, ce coup de main
politique en Australie a été motivé par une crise du capitalisme
mondial qui s'intensifie rapidement.
La
taxe minière était destinée à profiter à d'autres parties de
l'élite industrielle et financière grâce à une taxe réduite
sur les bénéfices et un élan donné aux fonds de retraites géants
mais Rudd s'est avéré incapable de les réunir tous derrière
son gouvernement contre la campagne lancée par les compagnies
minières. De puissantes sections de l'élite dirigeante, parmi
lesquelles l'empire médiatique de Murdoch, en ont tiré la
conclusion qu'il n'était plus en mesure de leur apporter ce
qu'ils voulaient - un assaut d'envergure à l'encontre de la
position sociale de la classe ouvrière. La mise en place de Gillard
signale la constitution d'un nouveau gouvernement travailliste
répondant mieux aux demandes du capital financier. Sa tâche est de
réaliser une nouvelle vague de « dérégulation » en
faveur des marchés, de privatisations et de « réforme
économique » afin de pousser la productivité vers le haut.
Cela comprendra l'élimination du déficit budgétaire qui est
massif et l'imposition de toute une suite de mesures d'austérité,
de coupes dans les dépenses publiques dont l'aide sociale,
l'assurance maladie, les emplois du secteur public, l'éducation
et l'infrastructure sociale.
Un tel
programme ne peut être réalisé de façon
démocratique. En Australie comme dans le monde entier, les besoins
de l'élite dirigeante se heurtent directement aux intérêts et
aux sentiments de la vaste majorité de la population. De plus,
durant les trois dernières décennies, l'inégalité sociale
s'est élevée à des niveaux jamais atteints et finalement
incompatibles avec des formes démocratiques de gouvernement. C'est
ce qui sous-tend, au niveau mondial, la tendance à établir des
formes autoritaires et dictatoriales de gouvernement. Des
contradictions fondamentales au sein de l'économie capitaliste
mondiale elle-même, qui se sont développées durant une période
prolongée, éclatent à présent à la surface de la vie politique,
créant une série de convulsions à travers l'Europe, l'Asie et
l'Amérique du Nord. En même temps, dans les conditions du déclin
historique de la position des Etats-Unis dans le monde, les
relations entre les principales puissances deviennent de plus en
plus difficiles.
Léon
Trotsky expliquait en 1929 que la montée de tendances dictatoriales
et fascistes en Europe reflétait le fait que les formes
démocratiques bourgeoises de gouvernement ne pouvaient pas résister
à la pression de tensions de classes allant se renforçant à
l'intérieur et aux conflits entre Etats nations rivaux à
l'extérieur. Si l'on faisait « une analogie entre la
démocratie et l'électrotechnique », écrivait il, on
pouvait « définir la démocratie comme un système
d'interrupteurs de sûreté et de circuits ayant pour objectif la
protection contre les tensions excessives de la lutte nationale ou
sociale. Aucune période de l'histoire humaine n'a été, même
de loin, aussi surchargée d'antagonismes comme la nôtre. La
surtension des lignes se produit de plus en plus fréquemment à
divers endroits du réseau électrique européen. Sous l'impact de
contradictions de classes et de contradictions internationales trop
chargées les interrupteurs de sécurité de la démocratie brûlent
ou explosent. C'est ce que représente le court-circuit de la
dictature. »
La vie
politique et économique australienne a toujours
été extrêmement sensible aux changements se produisant dans
l'équilibre du pouvoir géostratégique.
En
1975, durant une période d'extrême
agitation internationale, le gouvernement travailliste de Whitlam
fut renvoyé par le gouverneur général après que la bourgeoisie
eût perdu confiance en sa capacité de réprimer le mouvement de la
classe ouvrière. Dans ce « Coup d'Etat de Canberra »
furent impliqués les plus hauts échelons de l'appareil d'Etat
y compris ceux de services secrets comme la CIA et MI5. Il n'est
pas avéré jusqu'à présent que des forces semblables aient été
impliquées dans le coup de main contre Rudd. Ce qui est hors de
doute cependant c'est que Gillard n'aurait pas été faite
premier ministre sans un contrôle en profondeur de Washington et
une approbation de ses positions en faveur d'Israël et de
l'alliance dirigée par les Etats-Unis au plus haut niveau.
La
décision de Whitlam et du Parti
travailliste d'accepter leur renvoi eut de vastes répercussions.
Cela envoya un signal aux classes dirigeantes du monde entier leur
disant qu'elles pouvaient attaquer la classe ouvrière en toute
impunité. En l'espace de quelques années, une suite de
gouvernements de droite étaient arrivés au pouvoir et avaient
lancé, au nom du monétarisme anti keynésien, une offensive
soutenue contre la classe ouvrière.
Au
cours des trente-cinq années passées
depuis le Coup d'Etat de Canberra, le Parti travailliste est,
comme ses homologues des autres pays, passé par une transformation
qualitative. Ne disposant plus d'aucun soutien véritable dans la
classe ouvrière, il ne peut plus être considéré comme un parti
politique au sens populaire du terme. Le Parti travailliste, tout
comme les syndicats, fonctionne comme un réseau corrompu et
bureaucratique constitué de cliques rivales représentant diverses
sections de l'élite industrielle et financière. L'éviction de
Rudd confirme qu'il n'y a rien que cet appareil en putréfaction
ne soit prêt à faire en faveur de ses maîtres politiques et
économiques.
La
classe ouvrière doit tirer au niveau
international des conclusions bien claires. Il n'y a aucun soutien
dans la bourgeoisie d'aucun pays pour un maintien de droits
civiques fondamentaux. Ceux-ci ne peuvent être défendus que sur la
base d'une lutte indépendante et unifiée pour le socialisme de
la part de la classe ouvrière internationale. Une vraie démocratie
ne peut exister que sur la base d'une véritable égalité
sociale. Et cela requiert le développement d'une économie
globale planifiée de façon rationnelle et ayant pour objectif la
satisfaction des besoins sociaux de la majorité et non pas
l'accumulation privée de profit par une infime minorité.