L'écoeurement populaire
s'accroît concernant des révélations selon lesquelles, tandis qu'ils exigent
d'énormes coupes sociales de la classe ouvrière, des représentants français
haut placés ont reçu de l'argent de la milliardaire Liliane Bettencourt et
l'ont aidée à frauder le fisc. La fortune de Bettencourt, 87 ans, s'élevant à
17 milliards d'euros, principalement en avoirs du géant des cosmétiques
l'Oréal, fait d'elle la femme la plus riche de France.
Il y a quelques jours, le site
Internet d'information Mediapart publiait des entretiens impliquant le
président Nicolas Sarkozy dans l'affaire Bettencourt. Mediapart avait
interviewé Claire T., ancienne comptable de Bettencourt, et actuellement
entendue par la Justice, après qu'elle eut témoigné auprès de la police la nuit
précédente.
Le témoignage de la comptable
suggère que Bettencourt a illégalement financé la campagne électorale de Sarkozy.
Ceci risque de miner la position politique de Sarkozy dans la classe dirigeante
et rende difficile pour lui d'effectuer les coupes exigées par les marchés
financiers et l'establishment politique. La cote de popularité de
Sarkozy est au plus bas dans les sondages à 26 pour cent.
Claire T. a expliqué qu'elle
retirait 50.000 euros par semaine des comptes de Bettencourt: « Une partie
servait à payer des médecins, des coiffeurs, du petit personnel,etc. Et une
autre, c'était pour les politiques... Dédé, [le mari décédé de Liliane, André
Bettencourt] arrosait large. Chacun venait toucher son enveloppe. Certaines
atteignaient même parfois 100.000, voire 200.000 euros. »
Un jour, a-t-elle expliqué, le
conseiller financier de Bettencourt Patrice de Maistre lui avait demandé de
retirer une somme inhabituellement importante de 150.000 €. A la question
de savoir pourquoi cette somme était nécessaire, de Maistre avait répondu:
« Mais enfin, c'est pour financer la campagne présidentielle de Sarkozy !
Je dois donner de l'argent à celui qui s'occupe du financement de la campagne,
Eric Woerth. Et 50.000 euros, ce n'est pas suffisant. »
Le retrait avait finalement
été fait le 26 mars 2007, peu avant l'élection de Sarkozy en mai de cette
année-là. Bettencourt a obtenu ce pour quoi elle avait payé: selon des
informations révélées d'abord par Mediapart, un abattement d'impôt pour les
riches (le bouclier fiscal), mis en place par Sarkozy peu après son élection, a
conduit à un abattement d'impôt de 30 millions d'euros pour Liliane Bettencourt
en mars 2008.
Claire T. a dit que Sarkozy
venait souvent dîner : «Nicolas Sarkozy recevait aussi son enveloppe, ça se
passait dans l'un des petits salons situés au rez-de-chaussée, près de la salle
à manger. Ça se passait généralement après le repas, tout le monde le savait
dans la maison. Comme M. et Mme Bettencourt souffraient tous les deux de
surdité, ils parlaient très fort et de l'autre côté de la porte, on entendait
souvent des choses que l'on n'aurait pas dû entendre. Encore une fois, tout le
monde savait dans la maison que Sarkozy aussi allait voir les Bettencourt pour
récupérer de l'argent. C'était un habitué.»
Elle a confirmé que
Bettencourt « n'a jamais eu à subir le moindre contrôle fiscal depuis au moins
1995. Je n'ai jamais vu le moindre inspecteur des impôts, je peux le certifier.
Ça, on peut dire que nous étions tranquille par rapport au fisc ! »
L'affaire Bettencourt a
commencé quand la fille de Liliane, Françoise Bettencourt-Meyers a porté
plainte contre sa mère et l'ami de celle-ci, François-Marie Banier, au sujet
d'environ un milliard d'euros de dons divers faits par sa mère à ce dernier.
Bettencourt-Meyers accusait Banier, photographe de stars, âgé de 53 ans, d'
« abus de faiblesse » dans le but d'escroquer sa famille. Après une
bataille légale de 18 mois, le procès a commencé en juillet dernier.
Le 16 juin, Mediapart publiait
de courts extraits d'enregistrements faits secrètement par le maître d'hôtel de
Bettencourt pour se défendre contre une possible action en justice de Banier et
Bettencourt. Ces enregistrements suggèrent que Bettencourt maintenait des
comptes en banque à l'étranger, en Suisse, à Singapour et sur l'île D'Arros aux
Seychelles, sans les déclarer aux autorités fiscales françaises.
Ceci a conduit à des allégations
de conflit d'intérêt contre Woerth. Il est actuellement en négociation avec les
syndicats concernant le projet phare de la politique sociale de Sarkozy, à
savoir une réduction très impopulaire des droits de retraite dont
l'augmentation de deux ans de l'âge légal de départ en retraite. Sa femme
Florence a été embauchée en novembre 2007 par l'entreprise Clymène qui gère les
avoirs financiers de Bettencourt. Là elle gagnait environ 13.000 € par
mois et 50.000 €de bonus annuel.
Dans un des enregistrements du
maître d'hôtel, de Maistre dit à Bettencourt: « Je me suis trompé quand je
l'ai engagée. En fait avoir la femme d'un ministre comme ça, ce n'est pas un
plus, c'est un moins... Comme vous êtes la femme la plus riche de France, le
fait que vous ayez une femme de ministre chez nous, tous les journaux, tous les
trucs disent oui, tout est mélangé, etc. J'avoue que quand je l'ai fait, son
mari était ministre des Finances, il m'a demandé de le faire. Je l'ai fait pour
lui faire plaisir. »
La révélation de liens si
proches entre le gouvernement et les ultra-riches sont une démonstration
puissante du caractère de classe de l'Etat et de la politique qu'il mène. Les
coupes sociales exigées par Sarkozy cherchent à protéger les prérogatives et le
style de vie somptueux de l'élite capitaliste, une aristocratie financière qui
n'a que mépris pour les besoins des travailleurs.
Internationalement, au sein de
la bourgeoisie les coupes entreprises par Woerth sont considérées comme
essentielles pour réduire de façon draconienne les déficits de l'Etat et
maintenir la stabilité de l'euro. Pour réduire le déficit budgétaire aux normes
dictées par Maastricht, à savoir 3 pour cent du PIB, tout en conservant
l'impunité fiscale de Bettencourt et autres milliardaires, l'Etat français est
contraint de perpétrer des coupes sociales de 100 milliards d'euros dirigées
contre la classe ouvrière.
Les grandes banques
internationales et les agences de notation menacent d'augmenter les intérêts
sur les emprunts de la France en lui retirant sa notation de triple A au cas où
ces coupes massives ne seraient pas mises en oeuvre.
Actuellement, le gouvernement
est derrière Woerth. Sarkozy a balayé d'un revers de mains ces allégations
comme étant « sans aucune espèce de réalité » et le reflet de
« l'abaissement » de « notre époque. » Il a promis de
poursuivre les coupes.
Il a déclaré, «Nous ne pouvons
plus nous contenter de dire 'oh mon dieu, il va y avoir une élection, il ne
faut pas faire les réformes.' J'ai été élu pour cinq ans, jusqu'à la dernière seconde
je continuerai ce travail. »
Woerth a dit, « Nicolas Sarkozy a raison de me faire
confiance. Pas question de démissionner pour donner raison à ceux qui
m’attaquent. »
Il y a néanmoins des signes de
pressions grandissantes pour la démission de membres du gouvernement. Deux
secrétaires d'Etat ont démissionné il y a trois jours, Alain Joyandet chargé de
la coopération outremer et Christian Blanc, chargé du développement de la
région capitale, au milieu de rumeurs de méfaits financiers de relativement moindre
envergure. Joyandet est accusé d'avoir dépensé 116 500 € de l'argent des
contribuables pour louer un jet privé et se rendre à une conférence sur Haïti
en Martinique et Blanc a pris 12 000 € sur les finances de son ministère
pour l'achat de cigares.
Alain Joannès a ainsi réagi
dans le Télégramme: « La démission forcée des deux ministres
accrédite surtout l'idée que le pouvoir cherche un exutoire pour essayer de
protéger Éric Woerth. Or, sacrifier
deux personnes pour essayer
d'en sauver une troisième, plus gravement menacée, témoigne d'une grande
panique au sommet. »
Le Parti socialiste (PS)
principal parti bourgeois d'opposition appelle à un remaniement ministériel de
façon à ce que le gouvernement puisse poursuivre ses attaques avec une équipe
politiquement moins compromise. Ceci reflète le large accord au sein de la
classe dirigeante quant à la nécessité de réduire les dépenses publiques au
dépens des travailleurs.
L'ex-premier secrétaire du PS
François Hollande a dit, « Un remaniement est nécessaire. Ce n'est pas à
moi de le faire, c'est la tâche du président de la République, mais ma tâche à
moi c'est de dire que l'équipe actuelle est discréditée. »
Le porte-parole du PS Benoît
Hamon a dit, «Je dis et je répète en plus
que M. Woerth est en charge d'une réforme qui relève de l'intérêt général -la
réforme des retraites- et qu'aujourd'hui, il n'est plus capable, ni en
situation, ni légitime pour pouvoir continuer à mener cette mission. »
Quelle que soit la position
actuelle des représentants du PS, il ne fait aucun doute que des sections
puissantes de la classe dirigeante sont en train d'envisager une action plus
draconienne à l'encontre de Sarkozy s'il se révélait incapable d'appliquer les
coupes sociales. Les spéculations vont bon train
quant à la possibilité que
Sarkozy n'obtienne pas un second mandat présidentiel. Les révélations
concernant Bettencourt proviennent de représentants judiciaires de haut rang
qui enquêtent sur elle. Ils laissent fuir régulièrement des détails à Mediapart
qui est membre à part entière de l'establishment français.
Mediapart a été crée par une
équipe de journalistes conduite par Edwy Plénel, ancien rédacteur en chef du
quotidien de référence Le Monde et ex-membre de la Ligue communiste
révolutionnaire. Le site avait été publiquement soutenu par la candidate PS à
l'élection présidentielle en 2007, peu après son lancement.
Tout soutien à l'enquête sur
Bettencourt venant de quelque faction que ce soit de la classe dirigeante
française est de nature totalement hypocrite. Non seulement il y a un large
consensus sur la nécessité des attaques de Sarkozy et Woerth contre les
retraites, mais aussi sur la nécessité d'éviter de révéler au grand jour la
biographie politique de Liliane Bettencourt, les origines de sa fortune, et ses
liens avec l'ensemble de l'establishment politique. Bien que ces
éléments soient bien connus, ils ont été soigneusement ignorés par les médias
au cours du scandale d'aujourd'hui.
Le père de Liliane, Eugène
Schueller, avait fondé l'Oréal et financé le groupe fasciste La Cagoule durant
la seconde moitié des années 1930. La Cagoule semait la terreur et était
détestée pour ses violentes attaques contre des cibles juives et communistes en
France, dont des attaques à la bombe contre des synagogues et l'assassinat de
représentants soviétiques et d'Italiens fuyant la dictature fasciste de Benito
Mussolini. La Cagoule fournissait aussi des armes aux rebelles fascistes du
général Francisco Franco durant la Guerre civile espagnole.
Durant la Deuxième guerre
mondiale, une section importante de La Cagoule soutenait l'occupation nazie de
la France, bien que certains de ses membres changèrent de camp lorsqu'il
apparut clairement que l'Allemagne nazie allait perdre. La Cagoule contribua à
fonder la Légion des Volontaires français, une force composée de volontaires
combattant aux côtés des nazis contre l'URSS et le front de l'Est.
De nombreux jeunes hommes qui
avaient rencontré Schueller tandis qu'ils militaient à La Cagoule dans les
années 1930, ont ensuite occupé des postes importants en politique. Parmi eux
on compte son futur gendre, André Bettencourt qui est mort en 2007, et surtout
François Mitterrand, le futur dirigeant du PS et président de la France de 1981
à 1995.
Sous l'occupation nazie, André
Bettencourt écrivait pour le journal financé par les nazis, La Terre
française. Dans le numéro de Pâques 1941, il qualifiait les juifs de
« pharisiens hypocrites » dont « la race est entachée du sang de
Jésus pour toute l'éternité ». Lorsque ces écrits ont été mis au grand
jour en 1994 par Jean Frydman, membre du conseil d'administration de l'Oréal
qui avait été licencié, Bettencourt avait reconnu les avoir écrits et les a
attribué à des « erreurs de jeunesse ».
Il prétendit avoir rejoint la
Résistance en 1943, notamment la cellule dirigée par Mitterrand, à l'époque un
haut fonctionnaire de Vichy. Bettencourt a prétendu avoir aidé Mitterrand à
s'échapper à Londres en avion en novembre 1943.
Bettencourt travailla sous les
ordres de De Gaulle à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et poursuivit une
carrière politique de premier plan. Il a tenu des postes haut placés de 1950 à
1970 sous une succession de gouvernements conservateurs et sociaux-démocrates,
et occupé le poste de sénateur de Normandie jusqu'en 1995.
Après la libération de
l'occupation nazie, son témoignage, ainsi que ceux de Mitterrand et de Jacques
Sadoul du Parti communiste français, aidèrent Schueller à éviter une
condamnation pour collaboration avec les nazis, verdict qui aurait conduit à la
confiscation de sa participation à l'Oréal. Jusqu'à ce jour, cet argent
soutient toujours la politique anti-ouvrière de l'élite dirigeante française.