A première vue, deux récentes déclarations faites par les gouvernements
chinois et américain sembleraient indiquer que les relations économiques
entre les deux pays se sont améliorées. La semaine dernière,
l'Administration d'Etat pour les échanges internationaux (SAFE) de la Chine
a affirmé qu'elle ne se débarrasserait pas de ses avoirs dans la dette des
Etats-Unis, disant que cette option serait l'équivalent économique de
l'« arme atomique ». Le jour suivant, l'administration Obama n'a pas accusé
la Chine de « manipulation de monnaie » dans un rapport très délicat du
Trésor américain.
En réalité, ces événements marquent le développement des tensions
économiques entre les deux Etats. Dans les deux cas, l'annonce que des
mesures punitives n'allaient pas être prises n'a fait que souligner que de
telles mesures drastiques sont actuellement discutées.
Accuser la Chine de manipulation de monnaie permettrait à Washington
d'imposer des sanctions tarifaires sur ses produits. Cette menace, en plus
des pressions pour l'appréciation du yuan, a dominé les relations
sino-américaines depuis les profonds désaccords exprimés au sommet de
Copenhague sur les changements climatiques en novembre dernier. Durant toute
cette période, l'administration Obama a pris une position agressive,
autorisant d'importantes ventes d'armes à Taïwan, rencontrant le Dalaï-lama
et imposant des taxes à de nombreux produits faits en Chine.
Le rapport du Trésor américain avait été repoussé en avril, apparemment
en échange du vote de Pékin au Conseil de sécurité de l'ONU pour
l'imposition de sanctions plus sévères contre l'Iran. Aussitôt que
Washington a été assuré du vote à l'ONU, il est revenu sur la question de la
monnaie chinoise. En anticipation des pressions que les Etats-Unis allaient
appliquer, Pékin a annoncé tout juste avant le sommet du G20 au Canada le
mois dernier qu'il cesserait de fixer le cours de sa monnaie par rapport au
dollar.
Depuis le milieu des années 1990, la banque centrale chinoise est
intervenue massivement sur les marchés des devises pour acheter des dollars
afin de maintenir le yuan bas et les exportations de la Chine
concurrentielles. Sous la pression des Etats-Unis, la Chine a dû mettre un
terme à la fixation au dollar en 2005 pour faire grimper la valeur du yuan
de 21 pour cent jusqu'en 2008, lorsque la crise financière mondiale a
éclaté. Le fait que Pékin a de nouveau fixé le cours de sa monnaie au dollar
pour stimuler ses exportations a suscité la réaction de Washington, surtout
parmi les démocrates du Congrès, qui a soutenu que le yuan (ou le renminbi)
était « sous-évalué » de 25 à 40 pour cent.
Pour justifier la décision de ne pas accuser Pékin de « manipulation de
monnaie », le rapport du Trésor a qualifié de « développement significatif »
le fait que la Chine assouplisse la fixation de sa monnaie avec le dollar.
Mais pour calmer le Congrès, le secrétaire du Trésor Tim Geithner a déclaré:
« Ce qui compte c'est jusqu'où la valeur du renminbi va s'apprécier et avec
quelle rapidité », ajoutant, « Nous allons surveiller de près et
régulièrement l'appréciation du renminbi... en consultation étroite avec le
Congrès. »
La déclaration de l'administration SAFE chinoise qu'elle n'allait pas
exercer l'option « nucléaire » consistant à se débarrasser de 900 milliards$
en obligations du gouvernement des Etats-Unis a servi à rappeler à
Washington que la Chine pourrait potentiellement provoquer une déroute des
investisseurs devant l'immense dette du gouvernement américain. Tandis que
croissent les instabilités et s'intensifie la crise de la dette souveraine
en Europe et à travers le monde, le problème criant que l'on se refuse à
traiter est les Etats-Unis, la nation la plus endettée de toutes. La dette
fédérale américaine s'élève à plus de 13 trillions de dollars, ou 90 pour
cent du PIB, comparativement à seulement 40 pour cent en 2008 : le résultat
direct des gigantesques plans de sauvetage des banques et des institutions
financières américaines.
L'administration SAFE, qui gère les réserves chinoises de 2,45 trillions
de dollars de devises, a publié une série de questions et réponses ce
mois-ci. Le 7 juillet, elle a demandé : « Est-ce que la Chine utilise les
réserves de devises comme "tueur" ou comme "arme atomique"? » La réponse
donnée était qu’une telle préoccupation était « complètement inutile », car
l’investissement chinois est un « processus mutuellement bénéfique » et ne
cherche pas « à contrôler le sujet de son investissement ». Une autre
question demandait si la Chine réduirait ses avoirs en termes de dette
américaine. L'administration a déclaré que les obligations américaines
constituaient « un marché très important pour la Chine » et que « toute
augmentation ou diminution de nos possessions de bons du trésor américain
est une opération d’investissement normale ».
Ces réponses ne sont guère rassurantes. À propos de la question demandant
si une importante dévaluation du dollar nuirait aux actifs en dollars de la
Chine, la SAFE a fait une autre référence à la guerre. « À moins qu’il y ait
une guerre ou une crise, la banque centrale ne convertira pas massivement
ses réserves de devises en yuan, donc il n’y aura pas de perte réelle de
réserves suite à une dépréciation du dollar face au yuan ».
Cette déclaration est aussi un avertissement que, s’il y a une crise
majeure du crédit intérieur, la Chine devra vendre des actifs en dollar afin
de soutenir son propre système financier. Le taux élevé de croissance de la
Chine durant la crise financière mondiale a été soutenu par d’immenses plans
de relance fondés sur d’importants prêts de la banque centrale. La plupart
des prêts sont allés dans une bulle immobilière, tout en générant d’immenses
dettes gouvernementales. Victor Shih de l’Université Northwestern en
Illinois a estimé que, d’ici 2011, la dette du gouvernement en Chine
atteindra les 7 trillions de dollars ou 96 pour cent du PIB, et 4,6 fois le
revenu gouvernemental. Un effondrement de la bulle immobilière pourrait
forcer Pékin à puiser dans ses réserves de monnaies étrangères.
La SAFE a demandé à Washington d’être « responsable » dans ses
remboursements d’intérêts. Cela reflète la peur de Pékin par rapport au
risque de la dette souveraine américaine, laquelle est assez importante pour
créer un krach chinois. La Chine a lancé une nouvelle agence de notation
(Dragon Global Credit Rating) cette semaine et n’a donné à la dette
gouvernementale américaine qu’une cote de « AA moins », avec une
« perspective négative » - bien pire que la cote « AAA » donnée à Washington
par les firmes occidentales.
Les préoccupations de la Chine par rapport à l’instabilité de la dette
américaine se sont intensifiées lorsque deux géants de l’immobilier soutenus
par le gouvernement, Fannie Mae et Freddie Mac, se sont retirés du marché
boursier le mois dernier. Le prix de leurs actions faisait du surplace
autour d’un dollar, bien qu’ils aient été sauvés par Washington pour une
somme de 148 milliards depuis 2008. Standards & Poor’s a récemment estimé
que la Chine détenait au moins 340 milliards$ d’obligations de Fannie Mae et
Freddie Mac, alors que d’autres ont évalué ce montant à 500 milliards$. En
raison de la récession en cours aux Etats-Unis, ces sociétés ont enregistré
une perte combinée de 93,6 milliards$ en 2009 et de 18,2 milliards$ au
premier trimestre de cette année.
Même si la SAFE a indiqué aux investisseurs que le gouvernement
américain, qui possède 80 pour cent de Fannie Mae et Freddie Mac, garantira
les paiements d’intérêts à la Chine, on craint que personne ne veuille
acheter les bons que possède la Chine. Le Bureau du budget du Congrès
américain a estimé que le gouvernement américain devra injecter au moins 389
milliards de dollars dans les deux compagnies dans la période 2009-2019.
Mais selon un analyste financier chinois, Song Hongbing, qui a travaillé au
sein des deux compagnies, le montant du sauvetage pourrait se chiffrer entre
1,5 et 2 trillions de dollars si le marché américain de l’habitation
continue à tomber.
Les démocrates et les supposés libéraux au sein de l’establishment
politique américain demandent des mesures commerciales plus agressives
contre la Chine pour offrir une voie de diversion aux tensions sociales
toujours grandissantes à cause du chômage de masse et des coupes dans les
dépenses sociales.
Commentant la politique chinoise sur l’échange de sa monnaie dans le New
York Times du 24 juin, l’économiste Paul Krugman a écrit : « Cette politique
est très dommageable alors qu’une bonne partie de l’économie mondiale est
toujours très déprimée. En temps normal, on pourrait arguer que les Chinois
achètent des bons des États-Unis ce qui, même si les échanges commerciaux
s’en trouvaient biaisés, était pour nous une source de crédit à bon marché.
De plus, on aurait pu ajouter que ce n’était pas la faute de la Chine si
nous utilisions le crédit pour alimenter une immense et très destructrice
bulle immobilière. Mais actuellement, nous nageons dans le crédit à bon
marché; il manque une demande pour les biens et services assez grande pour
générer les emplois dont nous avons besoin. Et la Chine, en favorisant un
surplus commercial artificiel, aggrave ce problème. » Krugman a demandé à la
Chine de rapidement augmenter la valeur du yuan. « Et si elle refuse, alors
il faudra discuter de sanctions commerciales. »
Les multinationales américaines qui traditionnellement ont joué un rôle
d’apaisement à cause de leurs investissements en Chine commencent à
abandonner cette position, parce que Pékin impose de plus en plus de mesures
protectionnistes qui favorisent les compagnies chinoises. L’administrateur
général de General Electric, Jeff Immelt, a déclaré le mois dernier : « Je
ne suis pas certain qu’en fin de compte ils [le gouvernement chinois]
veulent qu’un seul d’entre nous puisse gagner ou avoir du succès. »
C’est l’effondrement de la relation symbiotique entre la Chine et les
États-Unis qui s’exprime dans ces tensions. Les bulles de l'immobilier et de
la consommation aux États-Unis offraient un marché en expansion aux
marchandises chinoises, alors que Pékin recyclait les dollars qu’il avait
gagnés avec ses exportations en les injectant dans le système financier
américain. L’implosion financière de 2008 a transformé le processus
« mutuellement bénéfique » en son opposé. Les États-Unis cherchent à
augmenter leurs exportations, à réduire leurs déficits commerciaux et à
diminuer la dette du gouvernement, avec l’aide d’une dévaluation du dollar à
un niveau concurrentiel. Pour les travailleurs américains, cette politique
prendra la forme de diminution de salaires et de la consommation pour
permettre aux compagnies américaines de concurrencer la Chine et ses autres
rivaux économiques sur le marché mondial.