Un nouveau rapport du
bureau européen des statistiques, Eurostats, révèle que peu de
temps après la plus grave crise économique depuis les années
1930, les gouvernements continuent de diminuer les impôts sur les
sociétés tout en augmentant le fardeau fiscal de la population
laborieuse.
Le rapport d'Eurostat
rapporte que les gouvernements européens ont baissé le taux moyen
des impôts sur les sociétés partout sur le continent en le
faisant passer d'un niveau de 23,5 pour cent en 2009 à son niveau
le plus bas de 23,2 pour cent. La réduction poursuit une tendance
qui dure depuis de nombreuses années et qui a résulté en un
changement majeur de la politique fiscale.
Ce n'est que l'une des
expressions de la politique de classe impitoyable pratiquée par les
gouvernements de par l'Europe et internationalement - qu'ils
soient nommément de « gauche » ou conservateurs -
pour faire payer à la classe ouvrière la crise du système
capitaliste. La conséquence en est un creusement des inégalités
sociales de plus en plus important au fur et à mesure que la
richesse est redistribuée du bas vers le haut.
Les grandes entreprises,
les banques et les ultra-riches sont de plus en plus exemptés de
payer des impôts. Les déficits qui s'ensuivent dans les budgets
d'Etat, exacerbés par les centaines de milliards qui ont été
octroyés aux banques par le biais des plans de sauvetage sont à
présent récupérés par une combinaison de hausse des impôts sur
la consommation, qui touche le plus lourdement la classe ouvrière,
et de réductions brutales des programmes sociaux, des emplois et
des salaires dans le secteur public.
Initialement, la
Commission européenne avait fixé un taux d'imposition cible sur
les sociétés de 45 pour cent. Dès 1992, cet objectif était
révisé à la baisse et passait à 30 pour cent.
Au cours de ces dix
dernières années, les taux d'impôts sur les sociétés ont
chuté en Europe de près de 12 pour cent. Le niveau actuel de 23,2
pour cent signifie que le taux moyen en Europe est inférieur de 10
pour cent au taux nominal aux Etats-Unis.
Depuis le milieu des
années 1990, la plus grosse économie de l'Europe, l'Allemagne,
a réduit son taux d'imposition sur les sociétés d'un
pourcentage énorme de 27 points de pourcentage, tandis que son taux
maximum pour les impôts sur le revenu personnel a été réduit de
9,5 points. Durant la même période, l'Espagne et la France ont
baissé leur taux d'imposition sur le revenu le plus élevé
d'environ 13 points de pourcentage. L'Italie a réduit son taux
d'imposition sur les sociétés de 20,8 points et son taux
d'imposition personnel sur le revenu de 6,1 points.
En
commentant la tendance d'imposition en Allemagne, Peter Bofinger,
membre du Conseil économique des sages, a écrit dans le journal
Süddeutsche Zeitung,
« Si nous avions le taux d'imposition en vigueur en 1998,
nous aurions 75 milliards d'euros de recettes de plus par an. »
Mercredi, le conseil des
ministres s'est réuni pour discuter des projets de réduire de
81,6 milliards d'euros le budget du pays sur les quatre années à
venir. Les projets impliquent une réduction majeure des dépenses
dans une série de secteurs sociaux, ce qui aura des conséquences
désastreuses pour des millions de travailleurs et leurs familles.
Le montant que le gouvernement envisage d'économiser ces quatre
prochaines années est presque équivalent aux pertes annuelles de
recettes du gouvernement dues à la baisse du taux d'imposition
des sociétés de ces deux dernières décennies.
Thomas Piketty, professeur
à l'Ecole d'économie de Paris, a écrit : « Nous
avons en Europe une concurrence fiscale et la conséquence en est
très simple : le facteur variable de la production autrement
dit, le capital, est de moins en moins taxé ; en conséquence,
un facteur moins variable telle la main-d'ouvre peu qualifiée
est surtaxée. »
Cette surtaxation de la
main-d'oeuvre prend la forme d'augmentations régulières des
impôts sur le revenu et la consommation. Selon le rapport
d'Eurostat, le taux d'imposition du revenu est passé en moyenne
à 37,5 pour cent partout en Europe contre 37,1 en 2009. La taxe à
la valeur ajoutée a également augmenté en 2009 en moyenne de près
de 0,5 pour cent.
Depuis 2000, 12 des 27
pays de l'UE ont augmenté leurs impôts sur les biens de
consommation, le plus fort taux de TVA (25 pour cent) étant
actuellement prélevé en Hongrie, au Danemark et en Suède.
La part apportée par la
main d'oeuvre aux budgets de l'Etat est en hausse continuelle.
Actuellement, la part provenant de l'impôt sur le revenu constitue
40 pour cent de toutes les recettes de l'Etat. Les impôts sur la
consommation comptent pour 25 pour cent de plus. Les impôts sur les
sociétés représentent à peine 15 pour cent du revenu de l'Etat.
La conséquence certaine de ce développement est l'accroissement
de l'inégalité.
Camille Landais,
économiste français travaillant à l'université de Californie,
a parlé d'une « explosion des hauts revenus » en
France depuis la fin des années 1990 et pour laquelle les
réductions d'impôt accordées au patronat jouent un rôle majeur.
Pour
résumer ce processus, Landais a remarqué qu'en Europe les
inégalités sont encore bien moins prononcées qu'aux Etats-Unis.
« Mais la tendance va de pair avec les tendances en cours aux
Etats-Unis depuis les années 1980. Si les systèmes fiscaux - qui
sont bien plus nivelésque
ne le pensent la plupart des gens - continuent d'être aussi
nivelésqu'ils
le sont, il est clair que dans vingt ans il n'y a pas de raison
que la France et l'Allemagne ne rejoignent pas les Etats-Unis en
matière d'inégalités.
L'auteur
Göran Therborn affirme que de tels niveaux d'inégalité sociale
extrêmes sont incompatibles avec la démocratie. Therborn
souligne : « L'écart de revenu entre ceux du haut de
l'échelle et le travailleur moyen est à présent bien plus grand
qu'il ne l'était avant les temps modernes. En 1688, les
baronnets anglais disposaient d'un revenu annuel d'environ une
centaine de fois plus élevé que celui des travailleurs et des
domestiques et 230 fois celui des ouvriers des industries familiales
et desmiséreux.
En 2007-8, les PDGs des 100 premiers groupes cotés au FTSE de
Londres recevaient un salaire 141 fois supérieur au revenu médian
de tous les employés à plein temps du Royaume Uni et 236 fois
supérieur à celui des gens travaillant «dans le secteur de la
vente et du service à la clientèle.»
Cette orgie de réduction
d'impôts pour le patronat et les ultra-riches a été appliquée
par les gouvernements européens, toutes tendances politiques
confondues, mais dans les deux plus grandes économies du continent,
l'Allemagne et la France, ce sont des gouvernements dits de
« gauche » qui ont initié le processus.
En Allemagne, des
concessions sans précédents accordées au patronat et aux banques
ont été appliquées par la coalition du Parti social-démocrate
(SPD) et des Verts dirigée par le chancelier Gerhard Schröder
(1998-2005).
En France, c'est le
gouvernement socialiste (1997-2002) dirigé par le premier ministre
Lionel Jospin qui a entamé le processus de coupes drastiques des
taux d'imposition applicables aux sociétés et aux hauts revenus,
et qui a ensuite été poursuivi par les gouvernements conservateurs
suivants,y compris le gouvernement dirigé par le président Nicolas
Sarkozy.
Ces partis bourgeois
prétendument de « gauche » ne sont pas moins hostiles
aux intérêts de la classe ouvrière en agissant dans l'intérêt
de l'élite financière que leurs homologues conservateurs.
La seule solution à
l'accroissement des niveaux d'inégalité sociale obscènes et à
la menace qui y est liée de formes dictatoriales de gouvernement
est la mobilisation indépendante de la classe ouvrière en Europe
et internationalement afin de prendre le pouvoir et d'accomplir la
réorganisation de la société dans le but de satisfaire les
besoins sociaux plutôt que les intérêts de profit des banques et
du patronat.