wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

L'élection présidentielle allemande : un tir de sommation pour Merkel

Par Peter Schwarz
7 juillet 2010

Imprimez cet article | Ecrivez à l'auteur

De nombreux éditoriaux ont fait l'éloge de l'élection présidentielle de mercredi comme étant la preuve du parfait fonctionnement de la démocratie en Allemagne. Ils justifient cette affirmation en disant qu'un certain nombre de délégués du camp gouvernemental ont voté pour le candidat de l'opposition.

En réalité, il y a peu d'événements dans l'histoire récente qui ont été aussi systématiquement et cyniquement manipulés que l'élection présidentielle de mercredi dernier.

Cela représente le point culminant d'une campagne menée par l'élite dirigeante du monde des affaires et de la politique pour rappeler à l'ordre le gouvernement Merkel.

Il n'y a pas de différences quant aux lignes fondamentales du cap de la politique de Merkel : la consolidation budgétaire aux dépens des couches sociales les plus pauvres et une politique étrangère agressive (participation à la guerre en Afghanistan, dictats d'austérité contre la Grèce et d'autres pays endettés). Cette politique trouve un soutien général au parlement, y compris dans les rangs de ce qu'on appelle opposition.

Mais la manière dont le gouvernement Merkel applique cette politique a été confrontée à d'importantes critiques. Le gouvernement est accusé de se laisser aller à des disputes intestines plutôt que d'avancer sa besogne. On lui reproche de perdre trop de temps et d'investir trop d'efforts à s'adapter à des groupes de pression spécifiques et d'attiser inutilement la population.

La chancelière elle-même est accusée d'hésiter entre les différents intérêts en concurrence dans le camp gouvernemental au lieu de fixer fermement le cap à suivre.

Depuis des semaines, des organes de presse influents - tels le quotidien économique Handelsblatt, l'hebdomadaire Der Spiegel et des journaux conservateurs comme le Frankfurter Allgemeine Zeitung et Die Welt - accusent Merkel d'hésiter à prendre des décisions impopulaires en raison de considérations tactiques partisanes.

Le Parti libéral démocrate (FDP) - qui fait partie de la coalition dirigeante aux côtés de l'Union démocrate chrétienne (CDU) de Merkel et de l'Union chrétienne sociale de Bavière (CSU) - est également sous le feu des critiques pour avoir discrédité le budget de rigueur du gouvernement en voulant diminuer la taxe sur la valeur ajoutée pour les hôtels. Le dirigeant du FDP, Guido Westerwelle, a été accusé d'être débordé par son triple rôle de ministre des Affaires étrangères, de vice-chancelier et de président du FDP.

Les critiques émanant de l'élite dirigeante à l'égard des efforts du gouvernement vont de pair avec l'idée que ce serait peut-être une bonne chose que le Parti social-démocrate (SPD) fasse une fois de plus partie du gouvernement. En effet le dernier chancelier social-démocrate, Gerhard Schröder, avait fait voter l'Agenda 2010 des « réformes » sociales et du marché du travail, et la grande coalition entre le SPD et le CDU qui avait succédé à Schröder avait repoussé l'âge de départ à la retraite. En conséquence, le SPD a prouvé sa capacité à défier l'opposition populaire et à imposer des attaques contre les conditions sociales.

La campagne médiatique contre Merkel a atteint son point culminant mercredi lors de l'élection présidentielle.

La démission de l'ancien président, Horst Köhler, en mai était déjà un avertissement pour Merkel. Köhler s'était montré inhabituellement explicite dans sa défense des intérêts économiques allemands par des moyens militaires. Lorsqu'il en a récolté des critiques dans les médias, il a démissionné au motif que les critiques avaient nui à l'autorité de ses fonctions - une critique indirecte à l'adresse de la chancelière pour ne pas l'avoir suffisamment soutenu.

Après que Merkel a choisi le politicien CDU Christian Wulff pour succéder à Köhler, le SPD et les Verts ont désigné Joachim Gauck comme leur candidat pour le poste de président. L'ancien militant des droits civiques de l'Allemagne de l'Est et responsable de l'agence chargée d'enquêter sur les dossiers de la Stasi (la police politique d'Allemagne de l'Est), Gauck, a été promu « candidat du peuple » par une vaste alliance médiatique allant du quotidien libéral Frankfurter Rundschau en passant par Der Spiegel, les journaux conservateurs Frankfurter Allgemeine Zeitung et Die Welt jusqu'au tabloïd Bild-Zeitung.

Rien n'indique que Gauck jouisse d'un grand soutien au sein de la population, ni que cela ait jamais été le cas. La « première élection libre » en République démocratique allemande (RDA - Allemagne de l'Est), l'élection à la Chambre du Peuple (Volkskammer) en mars 1990, que Gauck aime rappeler avec grand enthousiasme dans ses discours ne suscite pas en Allemagne de l'Est de bons souvenirs. Lors de cette élection, le chancelier de l'Allemagne de l'Ouest, Helmut Kohl, avait promis à la population de l'Allemagne de l'Est des « paysages florissants » dans une Allemagne unifiée. Au lieu de cela, ils ont connu la terre brûlée.

L'élection ainsi que son résultat ont contribué à la création du slogan « d'abord dupé et ensuite leurré » ce qui, pour de nombreux anciens citoyens de la RDA, résume leurs expériences après la chute du Mur de Berlin.

La Volkskammer « élue librement » ne dura que sept mois. Elle se consacra surtout à sa propre dissolution tandis que le pouvoir gouvernemental était exercé directement à Bonn, la capitale de l'Allemagne de l'Ouest à cette époque.

Gauck s'était présenté comme candidat du Neues Forum (Nouveau Forum) qui obtint à peine 2,9 pour cent des votes émis, anéantissant ainsi d'un coup les illusions selon lesquelles ce groupe se trouverait à la tête d'un mouvement populaire. Gauck mit ensuite à profit son contrôle sur l'agence chargée d'enquêter sur les dossiers de la Stasi pour régler de vieux comptes.

L'actuelle « popularité » de Gauck est également un produit artificiel. Alors que de vastes écrans étaient installés mercredi devant le Bundestag (le parlement) pour la retransmission en direct de l'élection présidentielle, la place est restée quasi déserte.

La campagne menée par Gauck pour le poste de président était censée montrer au gouvernement comment les choses devraient être faites. Il a été élevé par les médias au rang de tribun du peuple, afin de faire contrepoids à la classe politique indifférente. Au nom de la liberté et de la responsabilité, il a fait campagne pour les coupes sociales et les opérations militaires en Afghanistan.

Les chômeurs et ceux qui reçoivent des prestations sociales n'ont pas été impressionnés mais les Verts ont tout gobé. La campagne de Gauck a eu un impact profond sur la coalition gouvernementale.

Alors que les médias déclaraient que Merkel devraient démissionner en cas d'échec de son candidat, Wulff, le camp gouvernemental considérait l'élection comme une occasion grandissante de lancer un avertissement à Merkel. Lors du premier et du deuxième tour de scrutin où une majorité absolue des voix est requise, il a manqué à Wulff respectivement 44 et 29 voix. Ces voix étaient celles de délégués du camp du CDU et du FDP qui avaient voté la défiance à l'égard de Merkel.

Merkel a été humiliée. Ce ne fut qu'au troisième et dernier tour de scrutin, où la majorité relative est suffisante, que Wulff a obtenu la majorité absolue.

Merkel a reçu un message clair. Elle ne peut plus compter sur le soutien de son propre parti si elle ne poursuit pas impitoyablement le cap exigé par les cercles influents du monde des affaires et de la finance. Elle « ne peut pas échapper aux attentes légitimes pour une gouvernance forte, » a écrit Heribert Prantl, rédacteur de la politique intérieure du journal Süddeutsche Zeitung.

Le président Wulff, qui est issu d'un milieu catholique conservateur, se tiendra à ses côtés en cherchant à imiter Gauck.

Dans le même temps, en désignant le conservateur Gauck, le SPD et les Verts ont manifesté qu'ils étaient prêts à tout moment à rejoindre le gouvernement fédéral pour poursuivre la politique de Schröder de coupes dans les programmes sociaux.

A cette fin, le Parti La Gauche (Die Linke) leur procure une couverture politique. Depuis sa fondation il y a trois ans, ce parti a montré qu'il était prêt à supprimer l'opposition sociale grandissante en la déviant dans des canaux politiques inoffensifs. Parallèlement, il encourage le retour du SPD et des Verts au gouvernement en leur offrant tout le soutien possible.

Cette coopération a franchi un nouveau stade lors de l'élection présidentielle. La Gauche a à maintes reprises appelé le SPD et les Verts à présenter un candidat commun même si celui-ci ou celle-ci venait du camp conservateur. Ils ont même avancé la possibilité d'un candidat tripartite, en la personne de l'ancien ministre de l'Environnement, Klaus Töpfer (CDU).

Mais cela n'a pas suffit au SPD et aux Verts. En cherchant à rallier le soutien de La Gauche à Gauck, un anticommuniste avéré, ils voulaient forcer La Gauche à condamner l'ancienne RDA dirigée par les staliniens.

C'était aller trop loin pour La Gauche dont les racines remontent au parti dirigeant stalinien de l'ancienne RDA. Bien que certains de ses dirigeants aient fait campagne en faveur de Gauck, un soutien officiel à son égard par le parti aurait été aller trop loin pour ses adhérents et ses électeurs.

La Gauche ne s'y est investi qu'à moitié. Lors du troisième tour de scrutin, La Gauche a retiré sa propre candidate, Lucretia Jochimsen, sans pour autant faire de recommandation de voter pour Gauck. Finalement une majorité de 124 délégués de La Gauche s'est abstenue.

Toujours est-il, que La Gauche a fait un pas de plus en direction d'une coopération plus étroite avec le SPD et les Verts. Si le SPD et les Verts ont l'occasion de poursuivre la politique de coupes des acquis sociaux de Schröder, ils pourront compter fermement sur le soutien de La Gauche.

Pour la population laborieuse, les événements de mercredi doivent servir de leçon. Confrontée à la pire crise économique depuis 80 ans, la classe dirigeante est en train de se rapprocher de formes autoritaires de gouvernement.

On a entendu tout au long de la campagne l'appel lancé en faveur de quelqu'un qui « donne du sens à la nation, capable de nous dire où aller » (Josef Joffe dans le Die Zeit). Seul un mouvement indépendant de la classe ouvrière - indépendamment du SPD, de La Gauche et des syndicats réformistes - préconisant un programme socialiste peut enrayer ce danger.


(Article original paru le 2 juillet 2010)

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés