Deux mois après que l'annonce d'un plan de sauvetage européen de 750
milliards d'euros a freiné la panique engendrée sur les marchés mondiaux par la
crise de la dette grecque, il est clair que ce sauvetage était l'occasion pour
effectuer une réorientation marquée de la politique européenne et
internationale. Les assertions que la crise économique n'était qu'une
aberration temporaire ont été abandonnées. L'appauvrissement continu de la
classe ouvrière doit plutôt devenir la « nouvelle norme ».
Le plan de sauvetage a été conçu pour empêcher un mouvement de liquidation des
titres boursiers provoqué par la crainte de l'opposition dans la classe
ouvrière et des conflits entre les grandes puissances européennes sur la
question du financement des dettes internationales et de la Grèce. Le plan
aurait été accepté après des menaces lancées par la France selon lesquelles
elle était prête à abandonner l'euro. Le président de la Banque centrale
européenne, Jean-Claude Trichet, a mis en garde que les relations entre les
Etats européens étaient à leur point le plus tendu depuis l'éruption de la
Seconde Guerre mondiale.
En envisageant les risques inhérents à la dissolution de la monnaie commune
— l'éclatement du commerce européen, l'effondrement des exportations
allemandes, et même la possibilité d'une guerre franco-allemande — la
classe dirigeante a décidé de sauver l'euro sur le dos des travailleurs.
Les fonds qui serviront à payer le sauvetage, qui équivaut à un autre
gigantesque versement fait aux grandes banques, proviendront de coupes dans les
programmes sociaux à une échelle sans précédent. Cette décision a été appuyée
en Grande-Bretagne par l'arrivée au pouvoir d'une coalition
conservateurs-libéraux démocrates en mai, et elle a été ratifiée officiellement
par les grandes puissances du monde, le mois dernier, au sommet du G20 à
Toronto.
Les mesures d'austérité dépassent de loin les frontières des économies
effondrées de la Grèce et de l'Espagne, où les travailleurs doivent
continuellement faire face à de nouvelles coupes après quelques semaines. Elles
doivent mener à une transformation de la vie sociale à travers le monde
occidental.
En Grande-Bretagne, des coupes de 85 à 100 milliards de livres devraient
entraîner la suppression de 1,3 million d'emplois, une hausse dramatique du
nombre de personnes sans-abris, l'effondrement de l'entretien des
infrastructures et des services publics, et des réductions de 25 à 40 pour cent
dans les budgets des gouvernements régionaux.
L’Allemagne, l’État
européen le plus solide du point de vue fiscal, prévoit des coupes de 80
milliards d’euros.
En France, le président Nicolas
Sarkozy prévoit des coupes drastiques dans les retraites et une réduction de
dix pour cent dans les budgets des municipalités tout en offrant un
remboursement d’impôt de 30 millions d’euros aux milliardaires
comme Liliane Bettencourt.
Ce changement généralisé de politique permet de mettre
en perspective le récent refus du gouvernement américain de prolonger les
prestations de chômage, une décision menaçant de laisser des millions de
travailleurs sans ressources. Au lieu de cela, l’administration Obama
fait la promotion de son Initiative d’exportation nationale, annoncée
dans l’allocution du président sur l’état de l’Union en
janvier dernier. Cette mesure vise à doubler les exportations américaines en
obligeant les travailleurs américains à concurrencer, au moyen d’une
réduction brutale de leurs salaires combinée à une productivité plus élevée,
avec leurs homologues dans les pays pauvres comme la Chine, l'Inde et le
Vietnam.
Les classes dirigeantes sentent que leurs politiques rencontreront
une opposition de masse de la classe ouvrière. Par conséquent, leurs programmes
d'austérité sont accompagnés d'une campagne de presse pour légitimer la
dictature et la guerre.
La coordination des coupes dans les budgets, tout en
évitant temporairement les conflits entre les États de l’Europe, ne fait
qu’aggraver les tensions entre les pays impérialistes et les puissances
montantes comme la Chine. Au même moment, les mesures d’austérité
diminuent la force stratégique et économique de l’Occident par rapport aux
pays nouvellement industrialisés.
Le chroniqueur du Financial Times Martin Wolfe note
que, en addition à ses avantages technologiques, lesquels s’érodent
rapidement, « l’Occident a atteint son apogée au moins autant par la
recherche de rentes que, pour parler franchement, par le pillage des ressources
physiques et humaines de la planète ».
Dans un tel contexte, utiliser la force militaire pour
défendre les prérogatives de l’aristocratie financière occidentale semble
de plus en plus attrayant aux yeux des classes dirigeantes. Dans un article
publié récemment dans le International Herald Tribune appelant pour une
augmentation des dépenses militaires en Europe, l’experte en politique
étrangère française Thérèse Delpech avertissait que l’Asie doit être considérée
comme un « mal de tête en terme de stratégie » à cause de son importance
économique grandissante dans le monde. Dans le cas d’un conflit entre la
Chine et les Etats-Unis, a-t-elle ajouté, l’Europe doit être préparé à
faire la guerre contre Beijing « au Moyen-Orient, par exemple, en bloquant
les routes maritimes » utilisées pour le transport du pétrole vers la
Chine.
L’opposition intérieure ou étrangère doit faire l’objet
d’un assaut violent — comme l’a montré la répression des
manifestations lors du G20 à Toronto, les encerclements de masse par la police
de Colombo au Sri Lanka et le massacre des Chemises rouges par l’armée
thaïe en mai. Cette répression s’explique par le sentiment de plus en
plus présent que seules de telles mesures permettront aux classes dirigeantes
de garder leurs privilèges.
Dans un éditorial publié récemment dans le Globe & Mail, Neil Reynolds demandait si la
démocratie pouvait « de façon pacifique » démanteler l’État-providence,
répondant lui-même à sa question : « Non, elle ne peut pas ».
Prenant l’Italie comme exemple, il remarquait que la seule force qui
avait pu dans l’histoire réduire sensiblement la dette de l’État et
les dépenses gouvernementales avait été le régime fasciste de Mussolini ayant
pris le pouvoir en 1922.
De tels commentaires montrent combien profonde est la crise
politique et morale du capitalisme. Ce système est sur le point de provoquer
une pauvreté et un bain de sang comparable à ceux de la première moitié du 20e
siècle. Dans leur campagne pour couper dans les dépenses sociales et pour
préparer la guerre, les élites dirigeantes transforment les gouvernements comme
des exemples chimiquement purs de la définition de l’État comme étant un
corps d’hommes armés dont le but est de défendre les intérêts matériels
de la classe dirigeante.
Jusqu’à maintenant, les travailleurs ont été empêchés
de s’opposer dans les faits à la réaction sociale et à la guerre parce
que les organisations politiques existantes sont dirigées par des charlatans
des classes moyennes ou des bureaucrates syndicaux de droite, hostiles à la
lutte contre le capitalisme et pour le socialisme. Même les « grèves
générales » d’un jour en Grèce ou en France étaient un genre de boxe
avec son ombre, au cours desquelles l’opposition populaire était endiguée
et diffusée par les responsables syndicaux qui préparent, organisent et aident
à imposer les coupes.
Les travailleurs ne pourront s’opposer aux politiques de
réaction sociale et de guerre de la classe dirigeante qu’en brisant avec
ces organisations traitresses et en prenant la voie de la lutte révolutionnaire
pour le socialisme.
(Article original paru en anglais le 14 juillet 2010)