L’émergence des luttes des travailleurs en Chine au
cours de ces quelques dernières semaines a une signification énorme pour la
classe ouvrière internationale. Suite aux événements survenus en Grèce, les
premiers accès de colère et de révolte de la classe ouvrière en Chine émettent
des ondes des choc parmi les élites dirigeantes du monde et infligent un
démenti cinglant à tous ceux qui avaient fait une croix sur le prolétariat en
tant que force sociale révolutionnaire en déclarant que la lutte de classe
était dépassée.
La presse internationale a suivi avec une grave
préoccupation la grève des travailleurs à l’usine de pièces détachées de
Honda en Chine du Sud et qui a paralysé la production de l’entreprise
pendant près de deux semaines. Les travailleurs, surtout jeunes, ont défié
l’intimidation du gouvernement, les syndicats contrôlés par l’Etat
et la direction et n'ont repris le travail cette semaine qu’après avoir
obtenu une augmentation de salaire substantielle.
Les groupes importants tels Honda sont à présent fortement
tributaires des superprofits extraits de la main-d’œuvre bon marché
et enrégimentée en Chine. Le fait que le capital international dépende de la
Chine a été amplifié par la crise financière mondiale qui a éclaté en 2007-08.
Toute résurgence de la classe ouvrière en Chine, forte de plusieurs centaines
de millions, menace directement non seulement les profits des grands groupes,
mais émettrait des ondes de choc à travers le système économique et financier
mondial.
L’ampleur énorme de la production en Chine a été
soulignée par la concentration des médias sur la vague de suicides dans
l’usine Foxconn qui fabrique des produits électroniques pour des
multinationales telles Dell et Apple. L’usine où travaillent 400.000
personnes constitue une ville en soi – énorme, aliénante et gérée comme
un camp militaire. Un commentaire publié par un forum en ligne chinois
dit : « Quand je regarde Foxconn, cela me rappelle le film de Charlie
Chaplin Les Tempsmodernes. On y voit un monde dans lequel les
êtres humains sont réduits à n'être rien de plus que des engrenages dans une
énorme machine. »
L’atelier de misère Foxconn donne une image concrète
du développement explosif de la classe ouvrière chinoise qui est passée de 120
à plus de 400 millions au cours de ces trois dernières décennies. Shenzen, où
se trouve Foxconn, était au début des années 1980 un village de pêcheurs et est
à présent un centre industriel de 12 millions de personnes. Tandis que Foxconn
est l’une des plus grandes usines du pays, il y en a d’autres de
taille identique et d’innombrable autres plus petites. En Chine orientale,
des villes entières ont été reconverties pour ne produire qu’un seul
article en créant des villes « chaussettes », des villes
« fermetures éclair » et des villes « ventilateurs » en
impliquant des millions de travailleurs.
Instinctivement, les travailleurs ressentent la nécessité
d’une unité de classe internationale. La main-d’œuvre jeune
dans des usines comme Honda a grandi avec internet et le téléphone portable.
Ils sont tout à fait conscients que leur faible salaire est la source des
profits directs des multinationales. Quand les grévistes ont chanté l’Internationale,
c’était la reconnaissance qu’ils étaient dans la même situation que
les travailleurs du monde entier, confrontés à des problèmes identiques et à
des ennemis communs du patronat.
La détermination et le courage des jeunes travailleurs
chez Honda sont indiscutables mais ne résoudront pas spontanément les questions
politiques complexes auxquels ils sont confrontés. Même si le régime du Parti
communiste chinois (CCP) faisait provisoirement quelques concessions, il est
organiquement hostile à la classe ouvrière et repose sur un appareil
d’Etat policier qu’il n’a jamais hésité à utiliser. Les
premières actions entreprises par le CCP à son arrivée au pouvoir en 1949 à la
tête d’une armée de paysans furent de réprimer les travailleurs dans les
grands centres.
La journée d’hier a marqué le 21ème
anniversaire du massacre de la Place Tiananmen en 1989 lorsque des chars et des
soldats furent envoyés pour écraser des travailleurs et des étudiants à Beijing
et dans d’autres villes où ils réclamaient des droits démocratiques et un
niveau de vie décent. En dépit de toutes leurs larmes de crocodile, les
gouvernements et les grands groupes de par le monde avaient parfaitement bien
compris que Beijing était prêt à tout pour empêcher une rébellion des
travailleurs. Des milliards de dollars en investissements étrangers affluèrent
dans le pays.
Le régime du CCP est extrêmement sensible à la bombe à
retardement sur laquelle il repose. Après avoir abandonné son verbiage
socialiste d’antan, il a promu, tout comme ses homologues des autres
pays, un nationalisme à tout crin pour se créer une base parmi les couches de
la classe moyenne et pour diviser les travailleurs. En revenant sur le passé de
la Chine en tant que pays semi-colonial opprimé, le CCP affirme que la Chine
devrait aujourd’hui occuper une place parmi les grandes puissances
capitalistes du monde. Il a délibérément nourri et encouragé le racisme
anti-japonais notamment.
La classe ouvrière ne peut aller de l’avant
qu’en rejetant toutes les formes de nationalisme et de racisme et en
unifiant ses luttes internationalement. Les grévistes chez Honda en Chine sont
confrontés à des conditions qui ne sont pas différentes de celles de millions
de jeunes « freeter » (intérimaires) au Japon et qui composent la
majeure partie de cette main-d’œuvre fortement précarisée du pays.
Avec le déclenchement de la crise financière mondiale, ils ont été licenciés
par milliers des usines automobile et d’électronique du Japon suite à la chute
des exportations.
Ce n’est pas seulement au CCP que les travailleurs
chinois sont confrontés. Le plus grand danger politique vient de ceux qui
prétendent soutenir les travailleurs et s'opposer au régime de Beijing mais qui
cherchent à contrecarrer tout mouvement politique de la classe ouvrière, qui
soit indépendant. A cet égard, les commentaires de Han Dongfang, le dirigeant
en exil de la Fédération autonome des Travailleurs de Beijing, sont
significatifs et ont été tout particulièrement relevés dans le Financial
Times.
Han avait joué un rôle de
premier plan lors des protestations de la place Tiananmen en 1989 et avait eu
une grande influence au sein de couches de travailleurs qui avaient rejoint les
étudiants pour exiger un niveau de vie décent et des droits démocratiques. La
perspective de Han ne fut jamais de renverser le capitalisme et le régime
chinois mais de les réformer. Après la dernière grève, il a insisté dans les
médias pour dire que les droits sociaux et les droits politiques devaient être
séparés. « Je fais de mon mieux pour dépolitiser le mouvement des
travailleurs en Chine, » a-t-il dit.
Dépolitiser la classe ouvrière signifie la désarmer
politiquement. Dans la presse américaine notamment, des comparaisons ont été
faites entre la grève chez Honda en Chine et les grèves sur le tas des
travailleurs américains de l’automobile dans années 1930. Ce mouvement de
la classe ouvrière américaine avait clairement illustré les conséquences
qu’il peut y avoir en séparant la défense des droits sociaux d’une
lutte politique. La bureaucratie syndicale de l’AFL-CIO qui dans les
années 1950 avait exclu les socialistes et subordonné les travailleurs au Parti
démocrate, opère aujourd’hui comme l’agent direct des grands
groupes en imposant leurs dictats aux travailleurs.
La tâche à laquelle sont confrontés les travailleurs en
Chine ainsi que d’autres pays, est d’assimiler les leçons
politiques essentielles des expériences stratégiques clé faites par la classe
ouvrière internationale durant le siècle dernier. Ceci signifie notamment
l’étude attentive de la lutte continuelle du mouvement trotskyste
international pour le marxisme authentique contre ses ennemis de toujours
– le stalinisme et le maoïsme. Ceci est le premier pas vers la
construction d’une section chinoise du Comité international de la
Quatrième Internationale comme la direction révolutionnaire indispensable au
mouvement émergent de la classe ouvrière.