Lors du vote
le 3 juin, le parlement ukrainien a abandonné l’engagement antérieur du
pays de rejoindre l’alliance militaire de l’Organisation du traité
de l’Atlantique Nord (OTAN) dominée par les Etats-Unis. Le projet de loi
soumis par le président Viktor Ianoukovitch stipule que l’Ukraine est un
pays non aligné bien qu’il puisse coopérer avec l’OTAN et les
autres blocs militaires tels l’Organisation du traité de sécurité
collective (CSTO) menée par la Russie.
Lors d’une autre action destinée à améliorer les
relations stratégiques avec Moscou, Ianoukovitch a consenti en avril à un
nouvel accord avec le président russe Dmitri Medvedev sur l’avenir de la
Flotte de la mer Noire basée dans le port de Sébastopol en Crimée, une province
d’Ukraine. La flotte russe restera stationnée dans cette base au moins
encore pendant 25 ans après l’expiration du bail en 2017.
Ianoukovitch avait refusé de proroger le bail russe de la
base de Sébastopol au-delà de cette date. La Russie maintient depuis 1783 une
flotte dans ce port.
L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN a
toujours été refusée par une solide majorité de la population.
En échange, la Russie accordera une réduction du prix du
gaz naturel qu’elle livre à l’Ukraine. Kiev paiera à présent 230
dollars les 1.000 mètres cube de gaz sibérien, soit 100 dollars de moins que
précédemment. L’on estime que la baisse du prix du gaz, en plus du
montant du loyer que la Russie verse pour la base, pourrait correspondre à 40
milliards de dollars pour l’économie ukrainienne durant les 25 prochaines
années.
Alors que certains commentateurs ont qualifié
l’accord de Sébastopol comme un signe qu’Ianoukovitch a réintégré
l’autorité de Moscou, la démarche semble avoir pour but de permettre à
Kiev de se mouvoir plus efficacement entre la Russie et l’Union
européenne (UE) à l’Ouest. « Nous voulons nous tourner vers
l’occident, » selon les propos d’un porte-parole du ministère
ukrainien des Affaires étrangères, « Mais la meilleure façon de le faire
est de bénéficier du gaz venant de l’Est. »
« Le principal facteur de la prévisibilité et de la
cohérence de la politique étrangère de l’Ukraine est son statut de
non-alignement, » a dit le premier ministre Mykola Azarov au parlement.
Ianoukovitch, un représentant du patronat ukrainien de la
partie orientale du pays, occupait le poste de premier ministre de 2001 à 2004
sous l’ancien président Leonid Kuchma. Puis il a perdu les élections
présidentielles de 2004 en faveur d’Iouchtchenko après un troisième tour
de scrutin et des accusations de fraude électorale.
Ianoukovitch a été élu à la présidence en janvier en
remplacement de Viktor Iouchtchenko. Iouchtchenko, dirigeant de la
« Révolution orange » de 2004, l’une des soi-disant révolution
de couleurs soutenues par Washington en vue de mettre en place des régimes pro
américains dans les anciens Etats soviétiques, était un fervent défenseur de
l’adhésion ukrainienne à l’OTAN.
La Russie est profondément opposée à une plus grande
expansion de l’OTAN à l’intérieur de l’ancienne URSS et elle
était tout particulièrement hostile aux efforts entrepris par Washington et
Iouchtchenko d’incorporer l’Ukraine, de par sa population la
deuxième plus grande république ex-soviétique, dans l’OTAN. Jusqu’à
la prise de pouvoir du gouvernement Iouchtchenko, l’Ukraine et la Russie
maintenaient des industries de défense hautement liées et partageaient les
installations militaires.
L’abandon de la demande d’adhésion de
l'Ukraine à l’OTAN ne visait pas seulement à apaiser Moscou. Les
principales puissances européennes, notamment l’Allemagne, étaient
opposées à l’entrée dans l’alliance de l’Ukraine et de
l’autre ancien candidat soviétique à l’adhésion, la Géorgie. Berlin
ne voulait pas contrarier Moscou avec lequel il entretient des relations
commerciales et stratégiques vitales concentrées dans le secteur énergétique.
Ce fut tout particulièrement après la guerre de 2008 entre
la Russie et la Géorgie initiée par l’attaque lancée par le président
géorgien Mikheil Saakashvili contre les troupes russes stationnées dans la
région séparatiste de l’Ossétie Sud, qu’il devint clair que Berlin
et Paris n’étaient pas disposés à soutenir l’entrée de deux
nouveaux régimes pro américain et anti russe dans l’alliance.
La première visite à l’étranger effectuée par
Ianoukovitch après son entrée en fonction a été consacrée à rencontrer les dirigeants
de l’Union européenne (UE) à Bruxelles. Tout comme le gouvernement
Iouchtchenko, Ianoukovitch cherche à engager le pays sur la voie de
l’adhésion à l’UE et de laquelle l’économie ukrainienne
s’efforce d’obtenir des investissements directs à grande échelle,
notamment dans les secteurs énergétique et industriel.
En dépit de l’amélioration des relations avec la
Russie, l’élite ukrainienne reste méfiante à l’égard des ambitions
du Kremlin. Ianoukovitch a repoussé dernièrement une offre de fusion du géant
de gaz naturel Gazprom contrôlé par l’Etat pour Naftogaz, la plus grande
compagnie énergétique d’Ukraine. L’offre russe aurait conféré un
rôle dominant à Gazprom dans le réseau de gazoducs de l’Ukraine par
lequel transite la majorité des livraisons de gaz naturel de la Russie à
l’UE.
Ianoukovitch cherche à obtenir des investissements pour le
réseau vieillissant de gazoducs de l’Ukraine et est aussi à la recherche
d’investissements européens. Le président ukrainien a déclaré que le
contrôle des gazoducs du pays « ne peut être concédé qu’en échange
d’investissements par la Russie et par l’Europe. »
« De tels investisseurs obtiendraient des parts de
propriété. Mais un contrôle russe total, non, ce sont des paroles vides de
sens, » a dit Ianoukovitch le 4 mai dans une interview accordée à la
presse.
Il y eut une série de querelles entre l’ancien
gouvernement Iouchtchenko et la Russie au sujet du prix que l’Ukraine
devrait payer pour l’acheminement du gaz naturel à travers son
territoire. Comme dans le cas de bien d’autres anciennes républiques
soviétiques, l’Ukraine a reçu historiquement du gaz naturel de la Russie
à des tarifs bien inférieurs à ceux du marché international et a énormément
profité des exportations de ce gaz vers le marché européen. Cependant, à partir
de 2005, le Kremlin a augmenté le prix en accusant les entreprises ukrainiennes
de voler du gaz ; deux autres conflits majeurs ont eu lieu en 2007-8 et en
2008-9, dont le dernier a laissé une grande partie de l’Europe centrale
sans approvisionnement adéquat en gaz naturel pendant plusieurs jours en plein
hiver.
Etant donné que la Russie et l’Ukraine ont convenu
en octobre 2009 d’un nouvel accord gazier pour l’année à venir, de
nouvelles querelles sont probables. La Russie est fortement tributaire des
exportations de pétrole et de gaz naturel vers l’Europe, et la baisse des
prix de l’énergie incitera Moscou à réclamer des paiements plus élevés de
la part des pays de transit de gazoducs tels l’Ukraine et la Biélorussie.
Toute perturbation des approvisionnements de gaz ou une
chute de la demande des exportations pétrochimiques et métallurgiques de
l’Ukraine pourraient précipiter à nouveau le pays dans une grave
récession. Il y a également le risque que l’Ukraine pourrait être ciblée
pour connaître le même traitement de la part des marchés financiers mondiaux
que la Grèce avec les coûts de l’emprunt forcés à la hausse par les paris
des spéculateurs contre l’insolvabilité du pays.
Au cours des deux dernières années le capital étranger
s’est retiré de l’Ukraine en raison de la vulnérabilité du pays à
la crise économique mondiale qui a éclaté fin 2008. L’économie de
l’Ukraine a rétréci de 15 pour cent en 2009 et la croissance économique
est restée fragile cette année. Le pays a reçu un prêt de 16 milliards de
dollars du Fonds monétaire international (FMI) pour stabiliser sa monnaie et
étayer le secteur financier.
Les espoirs d’Ianoukovitch en vue d’un soutien
politique et économique de l’UE ont été accueillis par une réponse froide
de Bruxelles et des capitales nationales de l’Europe. L’UE
s’efforce de maintenir l’unité de ses membres pour empêcher son
écroulement et aucun dirigeant de l’UE n’a suggéré de délai pour
l’adhésion ukrainienne.
Afin d’encourager une politique européenne plus
active en Ukraine par rapport à la Russie, Ianoukovitch a déclaré récemment
qu’il « aimerait obtenir la même réponse rapide de l’Union
européenne que celle que j’ai reçue de la Russie. » Se plaignant de
ce que l’UE traînait les pieds au sujet des visa et des accords
commerciaux qui sont considérés comme les premiers pas vers une adhésion à
l’UE, Ianoukovitch a dit à la BBC : « Aujourd’hui
l’Ukraine est prête à s’associer à l’Europe, à condition que
l’Europe soit prête à s’associer à l’Ukraine… Sont-ils
prêts ou non ? »
L’Ukraine a une dette publique correspondant à 36
pour cent du produit intérieur brut (PIB) et un déficit budgétaire de 21
milliards de dollars ou 11 pour cent du PIB, en 2009 – un taux similaire
à celui de la Grèce.
Le nouveau gouvernement affirme que ce déficit a été
réduit de moitié grâce à une augmentation des rentrées d’impôts, une
situation qui a été défiée par certains économistes qui croient que les
recettes de l’Etat ont été surestimées.
Ianoukovitch a jusque-là rechigné à mettre en avant le
genre de réductions des dépenses publiques annoncées par l’Irlande, la
Grèce et l’Espagne. Toutefois, confronté aux mesures d’austérité
exigées par les agences de notations internationales, les institutions
financières et le FMI, Ianoukovitch a annoncé le 3 juin un plan de réformes
promettant de réduire le déficit budgétaire d’environ 3 pour cent du PIB
d’ici 2013-14.
Il y a eu des appels, à la fois de l’élite patronale
de l’Ukraine et de commentateurs internationaux, de réduire radicalement
les subventions de l’Ukraine aux particuliers, subventions réduisant les
prix d’environ 30 pour cent par rapport au prix du marché. Dans son
édition du 3 juin, le magazine Economist a qualifié la subvention du gaz
de « lourd boulet pour le trésor public » en mettant en garde
Ianoukovitch qu’il devait « appliquer des réformes qui pourraient le
rendre impopulaire. »