WSWS :
Histoire et
culture
The Nation, Jonathan Israel et les Lumières
Par Ann Talbot et David North
30 juin 2010
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Le 12 mai dernier, The Nation [magazine américain pro-démocrate,
n.d.t] a publié un article intitulé « Mind the Enlightenment [Gare
aux Lumières]. » C'est une attaque vindicative et intellectuellement
malhonnête contre l'histoire en plusieurs volumes écrite par le Professeur
Jonathan Israel, sur le développement des Lumières et les liens de ce
mouvement avec le radicalisme politique et social durant le siècle qui a
précédé la Révolution française.
Israel, professeur titulaire à l'Institut d’Etudes Avancées de Princeton,
est un expert internationalement respecté de l'histoire des débuts de la
période moderne en Europe. Les travaux publiés par ce professeur dans la
soixantaine montrent l'ampleur prodigieuse de ses centres d'intérêt en
histoire, sans oublier son aisance tout à fait exceptionnelle dans de
nombreuses langues, dont le Latin, l'Allemand, le Hollandais, le Français,
l'Espagnol, l'Italien et le Polonais. Ses publications universitaires
comprennent : European Jewry in the Age of Mercantilism 1550-1750
(1985 – les Juifs européens à l'âge du mercantilisme), The Dutch
Republic (1998 – la république hollandaise), Radical Enlightenment
(2001 – paru en français en 2005 sous le titre, Les Lumières radicales :
la philosophie, Spinoza et la naissance de la modernité : 1650-1750),
Enlightenment Contested (2006 – les Lumières contestées) et, le
plus récent, A Revolution of the Mind (2010 – une Révolution de
l'esprit).
L'apport le plus important du Professeur Israel a été sa défense des
Lumières contre leurs détracteurs postmodernes, et aussi l'accent mis sur le
rôle central du philosophe matérialiste du XVIIe siècle Baruch Spinoza
(1632-1677) dans le développement de la pensée démocratique et radicale au
dix-huitième siècle. Les ouvrages d'Israel sur les Lumières ont eu une
portée bien au-delà du monde des historiens professionnels. L'étendue et
l'ambition de ses études excitent un réel intérêt. Malgré la densité et la
complexité de ses volumes exigeants, il parvient à captiver ses lecteurs
avec l’histoire extraordinaire d'un chapitre grandiose, s'étendant sur tout
un siècle, du développement intellectuel de l'humanité.
Cet auteur fait passer dans ses livres la conviction que cette révolution
dans la pensée scientifique, ayant reçu une impulsion puissante de la part
de la pensée matérialiste de Spinoza, a été l’inspiratrice d’une avancée
importante et profondément progressiste de la société et de la
culture. L'optimisme intellectuel qui sous-tend le projet d'Israel,
s'appuyant sur la conviction que la raison, la science et la quête de la
vérité objective ont une valeur intrinsèque, a trouvé un écho parmi ceux qui
n'adhèrent pas à l'atmosphère dominante de relativisme intellectuel,
d'extrême subjectivisme et de cynisme.
Israel n'a fait aucun secret de son dédain pour le postmodernisme, qu'il
a décrit comme le rejeton de la pensée réactionnaire anti-Lumières remontant
au dix-huitième siècle. Il a critiqué la campagne des postmodernes visant à
« discréditer et à saper les fondements moraux de ce qu'ils dénigrent comme
le "projet des Lumières". » (Enlightement contested, p. 807).
Dans une attaque directe contre les tentatives postmodernes de
discréditer les Lumières, Israel a écrit que leurs critiques « sont tout
simplement trop inexactes, et incohérentes, tant historiquement que
philosophiquement, pour être prises au sérieux dans leur appréciation de la
"modernité" qu'elle soit définie philosophiquement ou historiquement. » Il
voit dans le relativisme postmoderne, qui refuse toute légitimité à une
vérité objective, « une menace majeure sur les valeurs démocratiques,
égalitaires et sur les libertés individuelles et, par conséquent, se révèle
être tout autant dépourvue d'une cohérence morale et politique que d'une
cohérence intellectuelle. » (Op. Cit. p. 869).
Ce n'était qu'une question de temps avant que les défenseurs du
postmodernisme ne s'en prennent à Israel. Des critiques du travail d'Israel
ont commencé à apparaître dans les journaux universitaires, où ils exercent
une influence considérable. Avec la publication d'un essai dans The
Nation, l'attaque contre son œuvre se déroule maintenant devant un
public bien plus large.
L'auteur de l'article dans The Nation est le professeur Samuel
Moyn, qui enseigne l'histoire moderne à l’Université de Columbia. Il est
spécialisé dans l'histoire intellectuelle européenne et les études
judaïques. Parmi ses livres, l'on compte Origins of the Other: Emmanuel
Levinas between Revelation and Ethics (2005 – L'Origine de l'Autre,
Emmanuel Levinas entre révélation et éthiques).Il y commente les œuvres du
philosophe français d'origine juive Emmanuel Levinas qui, influencé par
Heidegger et Kierkegaard, a développé sa propre version hautement mystique
de l'existentialisme, qui a à son tour influencé la philosophie de la
déconstruction de Jacques Derrida. Au cœur de la pensée de Levinas, il y a
le concept de "l'Autre" inconnaissable, qui a considérablement contribué au
développement de la pensée postmoderne. Samuel Moyn lui-même a décrit la
pensée de Levinas comme « crypto-théologique ».
Il était probablement inévitable que deux universitaires qui approchent
la pensée européenne moderne depuis des positions aussi diamétralement
opposées soient en désaccord à un moment ou à un autre. Les critiques et les
conflits sont inévitables à l'université, mais l'article de Moyn est d'un
autre ordre en raison de son contexte et de son ton. En premier lieu, Moyn
ne donne pas à ses lecteurs une description franche du conflit intellectuel
à l'origine de son article. De plus, il ne tente pas de présenter
honnêtement les conceptions d'Israel, sans même parler de développer une
critique bien réfléchie. Son article cherche à donner l'impression que le
travail d'Israel a déjà été critiqué et réfuté. « Les vautours », déclare
Moyn, « mordent la chair de la création d'Israel. »
Malheureusement, le vautour en chef n'est autre que Moyn lui-même. Il
crée un amalgame entre des descriptions explicitement postmodernes des
Lumières et d'autres qui sont l'œuvre d'universitaires ayant simplement des
points de vue divergents de ceux d'Israel pour créer l'impression que
soudainement, l'œuvre d'Israel n'est pas prise au sérieux dans la communauté
universitaire.
L'œuvre d'Israel « a le ton dogmatique d'une profession de foi, » se
plaint Moyn, comme si une œuvre historique qui retrace le développement de
la confiance dans la raison et la science n'était pas crédible
intellectuellement. Tout au long de son article, le ton de Moyn exprime une
attitude cynique envers les qualités professionnelles d'Israel et les
principes qui sont issus des Lumières. Il dépeint la description que fait
Israel de la vie, de l'œuvre et de l'influence de Spinoza comme un texte
évangélique, une bible, plutôt qu'une œuvre sérieuse d'enquête historique et
d'explication. Israel « prêche l'histoire d'un juif renégat – le philosophe
Bénédicte Spinoza. »
Sur Spinoza, Moyn note bizarrement, « Les laïcs libéraux (et
particulièrement les juifs parmi eux) ont une longue tradition de chanter
ses louanges. » On se demande ce que l'on est censé faire de cette référence
aux admirateurs juifs de Spinoza. Qu'est-ce que Moyn essaie de dire ? Il y a
de nombreux admirateurs non juifs de Spinoza, parmi lesquels on peut compter
Hegel.
Il n'est pas moins médisant contre les Lumières en elles-mêmes. « Oui, il
est vrai que plusieurs siècles plus tard, elles n'ont pas encore réussi ni à
briser les chaînes d’une foi dépassée ni à faire tomber le joug d'une
oppression scandaleuse partout dans le monde » écrit-il sarcastiquement, «
mais ce n'est pas une raison pour abandonner. Il suffit de prêcher encore
plus la bible des Lumières. »
Le Professeur Israel présente une thèse bien spécifique sur les Lumières,
avec laquelle on peut être en accord ou en désaccord. Mais il ne fait aucun
doute qu'il soutient cette thèse avec de très nombreux éléments de preuve.
Elle ne peut pas être réfutée par quelques jeux de mots littéraires tirés du
répertoire postmoderne.
Les Lumières, selon Israel, comprenaient deux ailes rivales. Il a
identifié des Lumières modérées, les plus en vues, tels que Newton et Locke,
qui cherchaient à établir un compromis avec les institutions sociales
existantes et à préserver les croyances religieuses établies, créant « une
synthèse viable du neuf et de l'ancien. » Leur position plus conservatrice
leur a valu le soutien de l'Église comme de l'État.
« À l'opposé, » écrit-il, « les Lumières radicales, qu'elles soient
athées ou déistes, rejettent tout compromis avec le passé et cherchent à
balayer complètement les structures existantes, rejetant la Création telle
qu'elle était traditionnellement conçue dans la civilisation
judéo-chrétienne et l'intervention d'un Dieu providentiel dans les affaires
humaines, niant la possibilité de miracles, ainsi que les récompenses et les
punitions de l'au-delà, se moquant de toutes les formes d'autorité
ecclésiastique, et refusant d'accepter qu'il y ait quoi que ce soit de voulu
par Dieu dans l'ordre social, que ce soit la concentration des privilèges ou
de la propriété foncière dans les mains des nobles, ou la bénédiction de la
monarchie par la religion. « Dès ses origines dans les années 1650-60 le
radicalisme philosophique des jeunes Lumières européennes a typiquement
associé une immense révérence pour la science et la logique mathématique, à
une forme de déisme niant la providence, sinon un véritable matérialisme
athée, ainsi que des tendances clairement républicaines, et même
démocratiques. » (Radical Enlightement, p. 11-12).
C'est à ce lien entre les Lumières et les tendances politiques et
intellectuelles progressistes que s'attaque Moyn, présentant les arguments
d'Israel sous une forme si simplifiée qu'elle en devient une réduction ad
absurdum.
On peut critiquer la vision des Lumières que propose Israel sans remettre
en question la profondeur et le sérieux de ses études ni le caractère
progressiste des Lumières. L'étude et l'interprétation des Lumières
soulèvent des questions immensément difficiles et complexes. L'historien
doit se plonger profondément dans la philosophie; alors que les spécialistes
de la philosophie ne pourront pas avancer beaucoup sans une bonne
compréhension du déroulement des faits historiques. Le Professeur Israel a
tenté, à travers son examen du conflit entre les Lumières modérées et
radicales, d'apporter un cadre large et durable à la compréhension de cette
grande époque.
Il y a des problèmes avec son argumentation. La dichotomie entre des
Lumières radicales et modérées, même si elle stimule la réflexion, tends
parfois à simplifier excessivement des processus complexes et
contradictoires dans le développement de la pensée philosophique. Il n'est
pas toujours vrai que, comme le suggère Israel, les avancées les plus
significatives dans la pensée philosophique soient l'œuvre de ceux qui
avaient les conceptions politiques les plus radicales. John Locke, pourtant
conservateur dans ses conceptions religieuses et politiques, a joué un rôle
immense dans l'établissement des fondations philosophiques du matérialisme
français, et de toutes les implications révolutionnaires qu'il a eues à long
terme. John Locke n'a pas nécessairement entrevu toutes les conséquences
politiques de sa pensée, et Baruch Spinoza non plus d'ailleurs. Ce paradoxe
n'est pas suffisamment pris en compte par Israel.
L'adhésion excessive à une formule trop rigide provient, à notre avis, de
son manque de familiarité à peu près complet, avec l'évaluation de la pensée
matérialiste et des Lumières faite par les Marxistes. Etant donné l'étendue
extraordinaire de ses connaissances, on est vraiment surpris que les
bibliographies Radical Enlightement et Enlightement Contested
ne contiennent pas une seule référence aux travaux d'un seul philosophe
russe de l'ère soviétique ou d'un universitaire de la tradition Marxiste.
Il aurait découvert des trésors d'intuitions brillantes au sujet des
pensées des grands matérialistes des Lumières que sont D'Holbach et
Helvétius dans les écrits de G. V. Plekhanov, le « père du marxisme russe. »
Le Professeur Israel semble également ne pas être familier avec la tradition
Marxiste au sujet de Spinoza. Si Israel a raison de dire que (jusqu'à
récemment) Spinoza a été négligé par les auteurs traitant de philosophie en
Europe occidentale et aux États-Unis, ce n'est certainement pas vrai en ce
qui concerne ceux qui ont travaillé dans la tradition Marxiste, en
particulier en Union soviétique. Rien n'indique que le Professeur Israel se
soit penché sur les écrits d'Axelrod et Deborin, alors que leurs écrits font
partie d'une importante anthologie sur l'étude de Spinoza en Union
Soviétique préparée par un universitaire américain, George L. Kline. [1]
Ce manque de familiarité d'Israel avec l'évaluation Marxiste des Lumières
et, plus généralement, la relation dialectique entre les processus
socio-économiques et leur expression intellectuelle est une faiblesse
substantielle. Sa référence récente, dans A Revolution of the Mind,
aux « Dogmes du Marxisme, qui soulignaient que seuls les changements dans la
structure sociale fondamentale peuvent produire des changements majeurs des
idées. » (p. 49) est une grossière erreur d'interprétation qui n'est pas
digne d'un homme de son érudition. Ce refus irréfléchi du Marxisme entraîne
des erreurs qu'il aurait pu éviter. Il est à souhaiter que lorsqu'il sera
confronté, dans son troisième volume encore en projet, aux complexités
monumentales de la relation entre la pensée des Lumières et la Révolution
française, Israel se plongera plus avant dans la littérature Marxiste.
Malgré ces critiques, l'étude des Lumières proposée par Israel est une
contribution majeure à une compréhension de ce processus historique et
intellectuel fondateur.
La véritable cible des attaques de Moyn n'est pas, quoiqu’il en soit, une
des faiblesses réelles de la thèse d'Israel, mais sa défense des Lumières et
de leurs implications progressistes. Moyn minimise le lien entre les
Lumières et les philosophies matérialistes et spinosistes, en arguant que «
les livres de philosophie n'étaient qu'une des nombreuses sortes de textes
publiés et lus à l'époque des Lumières. » Il est vrai que les gens lisaient
aussi des romans, des contes de fées, de la littérature classique, des
récits de voyages, des ouvrages scientifiques et des manuels pratiques, des
livres interdits et d'autres autorisés. Par leur intermédiaire, ils
absorbaient les nouvelles idées qui avaient pris formes depuis plus d'un
siècle. Il n'était pas nécessaire de ne lire que de la philosophie pour
cela. La lecture, et notamment la lecture par les masses populaires, faisait
partie intégrante de la révolution des esprits engagée par les Lumières.
Lire c'était, comme l'a dit Kant, « oser savoir ».
Moyn insiste sur le fait qu'aucun lien substantiel ne peut être établi
entre les Lumières et la Révolution française. L'intuition d'Israel selon
laquelle les idées peuvent rencontrer des forces sociales pour créer une
révolution (une conception qui a été développée de la manière la plus
convaincante par Marx) est, pour Moyn, une « faible notion selon laquelle,
sous l'ordre ancien, une populace aux rancunes accumulées, aurait été
mobilisée par les idées neuves de Spinoza. » Moyn ne peut rien accepter de
tel : « Comme explication aux événements historiques, convoquer les rancunes
accumulées n'est pas particulièrement efficace, » se moque-t-il, ajoutant, «
le mécontentement frémissant se contente généralement de continuer à frémir.
»
Pourtant, l'histoire nous montre que ces rancunes ne se sont pas
contentées de frémir au dix-huitième siècle. En Amérique, en France, à
Haïti, les « rancunes accumulées » ont explosé en des révolutions qui
articulaient les idées formulées par les philosophes des Lumières – surtout
la revendication d'égalité sociale. Moyn nie ce qui a été accompli par ces
luttes révolutionnaires.
« L'histoire concrète, » écrit-il en prenant l’accent de la
sophistication désabusée, « est très souvent l'histoire de la victoire des
mauvaises idées et de la défaite des bonnes. » La Révolution américaine n'a
fait que créer « de nouvelles hiérarchies des races et de la richesse » et «
qui à gauche pourrait nier que les Lumières ne sont pas allées très loin
dans l'explication de la manière de créer une société libre et égalitaire ?
» En d'autres termes, puisque les révolutions du dix-huitièmes siècle n'ont
pas répondu aux attentes de Moyn au vingt-et-unième siècle, les Lumières
devraient être considérées comme un flop lamentable.
C'est faire trop d'honneur à Moyn que de s'attendre à de la cohérence
intellectuelle dans ses arguments. À peine a-t-il affirmé qu'il n'y a aucun
lien notable entre les Lumières et la révolution qu'il change de point de
vue pour nous mettre en garde contre les idées des Lumières qui vont de pair
avec la violence et la répression. Il y a, écrit-il, une « profonde
ambiguïté dans le radicalisme. » Il trouve que l'« engagement fervent
[d'Israel] pour les Lumières » est inquiétant parce que ces idées « se sont
révélées être un mode d'emploi pour de terribles méfaits. » Les Jacobins «
ont fini par orchestrer un règne de la terreur. »
Moyn passe là sous silence une bonne partie de l'histoire. L'affirmation
selon laquelle les idées des Lumières ont inexorablement entraîné la terreur
et ses excès tragiques est une variation sur la complainte postmoderne de
base (tirée d'Horkheimer et Adorno) selon laquelle les Lumières, en
accordant la première place à la raison, la science et la technologie, ont
entraîné le fascisme et Auschwitz. N'y avait-il pas d'autres facteurs qui
ont contribué au déchaînement de la Terreur, comme la menace d'une invasion
par les monarchies financées par la Grande-Bretagne ; le risque d'une
trahison à l'intérieur par des dirigeants comme Mirabeau, qui acceptait des
pots-de-vin du Roi ; et la menace bien réelle d'une conspiration de prêtres
et de nobles réactionnaires ? Ces problèmes politiques et historiques sont
congédiés d'un geste. Il n'est pas suffisant, déclare Moyn, d'« invoquer les
circonstances. » Pour Moyn, la Terreur est inévitablement la fille des
Lumières.
Il tire son argument des travaux de Daniel Edelstein, Professeur
assistant de Français à Stanford, qui affirme dans The Terror of Natural
Right (2009 – la terreur du droit naturel) que « le droit naturel
n'était pas seulement un discours juridique progressiste et égalitaire, il
pouvait aussi servir à justifier la violence d'Etat à grande échelle. » Les
mêmes conceptions étaient à l'œuvre en Union soviétique, prétend Edelstein,
parce que « l'histoire a été mise à contribution dans le Marxisme de la même
manière autoritaire que l'a été la nature chez les Jacobins. » Il glisse
sans effort de Lénine aux purges staliniennes et tout aussi facilement de
l'Union soviétique à l'Allemagne nazie. Dans tous ces cas, il voit à l'œuvre
le concept d'une « justice totalitaire » qui aurait trouvé son expression la
plus récente dans la désignation des terroristes islamistes comme « ennemis
de l'humanité » par le gouvernement Bush.
Moyn abonde dans son sens et jette la « guerre contre le terrorisme »
dans cette mixture. Cela aussi, veut-il nous faire croire, est l'héritage du
Jacobinisme. L'accolement idiot de George W.Bush et Maximilien Robespierre
présentés comme des frères d'armes démontre le caractère anhistorique et
faux de cet argument.
L'œuvre d'Israel survivra à la critique de Moyn. Israel attire
inévitablement l'attention de ses lecteurs sur des questions qui ont une
importance vitale aujourd'hui. L'égalité sociale, le matérialisme
philosophique et le déterminisme étaient au cœur de la pensée de
Spinoza. C'étaient des idées dangereuses pour les élites de l'époque de
Spinoza et elles ne sont pas moins dangereuses pour l'aristocratie
financière du vingt-et-unième siècle. Israel mérite d'être félicité pour les
avoirs fait pénétrer dans le débat public.
[1] L'article de L.I. Axelrod est particulièrement important car il
examine la nature du matérialisme de Spinoza en s'appuyant sur les travaux
de Feuerbach et Plekhanov. Elle affirme que Plekhanov, tout en admettant que
du point de vue de son développement historique le matérialisme était une «
variété du Spinozisme, » maintenait que la philosophie de Spinoza ne devait
pas être considérée comme « un matérialisme cohérent et complet,
c'est-à-dire, un matérialisme libre de toute contradiction. » [Spinoza
and Materialism in Soviet Philosophy, édité par, et avec une
introduction de, George L. Kline (Londres, 1952), p. 61]. Dans un autre
essai important du philosophe soviétique D. Rakhman, de 1923, l'influence
des philosophes Juifs et Arabes de la période allant du douzième au seizième
siècle sur Spinoza est examinée. Cette influence n'est pas suffisamment
prise en considération par Israel. Un examen contemporain plus systématique
de cette question se trouve dans les travaux récents du Professeur Steven
Nadler.
(Article original paru le 9 juin 2010)