WSWS :
Histoire et
cultureWelcome
: une
dénonciation pleine d’humanité de la politique anti immigrant
Par Richard Philips
26 juin 2010
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Le film au titre ironique Welcome, du réalisateur français
Philippe Lioret, est un antidote intelligent à l’actuel battage
gouvernemental et médiatique de la déshumanisation des immigrés sans
papiers, en France comme à l’étranger.
Le film de Lioret, avec des dialogues en français, en anglais et en arabe
et dont l’action se situe à Calais est inspiré d’événements réels. Le film
est centré sur l’amitié naissante entre Bilal Kayani (joué par Firat Ayverdi),
un réfugié kurde irakien de 17 ans dans le dénuement le plus complet, et
Simon Calmat (Vincent Lindon), un maître nageur calaisien d’âge moyen.
Bilal essaie de rejoindre sa petite amie Mina (Derya Ayverdi) et la
famille de celle-ci à Londres, et tout comme des milliers d’autres
adolescents, il rêve de jouer au football pour Manchester United. Simon est
en instance de divorce d’avec sa femme Marion (Audrey Dana), une
enseignante, qui aide à organiser une soupe populaire clandestine à
l’intention des centaines de soi-disant immigrants clandestins qui essaient
de traverser la Manche pour se rendre en Angleterre.
Les scènes de nuit des entrepôts de transport calaisiens et des abords
semi-militaires du tunnel sous la Manche font froid dans le dos, comme c’est
le cas pour les mesures prises par les compagnies de transport transmanche
(chiens renifleurs, détecteurs de battements cardiaques ou de dioxyde de
carbone, ou toute autre technique pour détecter un éventuel clandestin).
Les premières scènes du film montrent Bilal avec cinq autres réfugiés
passant clandestinement dans un camion à destination de l’Angleterre. Les
jeunes hommes ont payé à un « passeur » 500 euros pour pouvoir monter à
l’arrière du camion et se sont couvert la tête de sacs en plastique afin de
faire échouer les détecteurs de dioxyde de carbone. Mais ils ne tardent pas
à être découverts et ils sont arrêtés par les autorités françaises après que
Bilal prenne peur et retire le sac qu’il a sur la tête. La panique de Bilal
s’explique par le fait que, par le passé, il a été traumatisé par les
militaires en Turquie qui, après l’avoir attrapé, l’ont « encagoulé »
pendant 8 jours.
Bilal apparaît devant un tribunal de Calais. Même si on ne l’envoie pas
en prison parce qu’il est mineur et qu’il vient d’un pays considéré comme
« dangereux », on le met à la rue sans abri ni aide quelconque. Comme
d’autre « clandestins » Bilal finit dans la « jungle », un ensemble d’abris
de fortune pour des centaines de réfugiés, dont la moitié sont des jeunes,
principalement originaires d’Irak, d’Afghanistan, du Pakistan ou d’Afrique.
Cependant, Bilal veut à tout prix parvenir à Londres et après avoir vu
les falaises blanches de Douvres au loin, décide d’essayer de traverser la
Manche à la nage. Même si Bilal est un footballeur de talent, il sait à
peine nager et il utilise ce qui lui reste d’argent pour prendre des leçons
de natation avec Simon. Le maître nageur, assez bourru, qui par le passé
s’était peu intéressé au sort des immigrés – un sujet de tension entre lui
et sa femme – se méfie de Bilal. Néanmoins, il décide d’aider le jeune
Kurde, espérant regagner l’affection de sa femme, où du moins lui prouver
qu’il est capable « d’aider les gens ».
Simon comprend assez vite la vraie raison des leçons de natation de
Bilal, et alors qu’il commence à comprendre ce qui anime l’adolescent, un
lien plus profond se développe entre eux. Simon essaie de dissuader le jeune
de 17 ans d’entreprendre la dangereuse traversée de la Manche, un des bras
de mer les plus fréquentés du monde – mais sans succès.
Simon (Vincent Lindon) and Bilal (Firat Ayverdi)
Welcome ne nous apprend pas grand-chose sur la vie de Bilal en Iraq,
ni sur la situation catastrophique dans ce pays, ni non plus sur sa relation
avec Mina, mais le film rend bien la nature répressive et brutale de toutes
les mesures de contrôle aux frontières. Cependant, l’élément central du film
de Lioret, c’est le compte-rendu fait de la manière dont la loi française
persécute des gens de tous les jours qui essaient d’aider de jeunes réfugiés
qui sont dans le dénuement le plus total.
En fait, en décidant d’aider Bilal, Simon contrevient à l’article L 622-1
du code pénal français qui stipule que c’est un délit d’aider des immigrants
sans papiers. Selon la législation en vigueur, toute personne déclarée
coupable « d’aider à l’entrée, au déplacement ou au séjour clandestin » d’un
étranger risque une amende de 30 000 euros et une condamnation pour une
période allant jusque 5 ans. Le gouvernement français détermine des quotas
pour chaque année, et à plus forte raison pour des arrestations en rapports
avec l’article L 622-1 – 5.000 arrestations en 2009 – dans le but d’essayer
d’intimider la population locale.
Le lendemain, Simon invite Bilal et son ami Zoran à manger une pizza chez
lui. La police convoque le maître nageur. Plus tard Simon est arrêté et
inculpé pour avoir aidé un immigré, et puis de trafic d’être humain pour
avoir aidé Bilal dans sa tentative de traverser la Manche à la nage.
Le film de Lioret ne révolutionnera le cinéma, mais c’est une œuvre
sincère et compatissante. L’année dernière, plus d’un million de spectateurs
sont allés voir ce film dans les deux premiers mois qui ont suivi sa sortie
en France. Ceci montre bien que les Français ordinaires ne veulent pas être
entraînés dans les attaques du gouvernement et de la presse contre les
réfugiés.
Le jeu d’acteur de Firat Ayerdi, dont c’est le premier rôle, est tout à
fait crédible dans son interprétation de Bilal. Lindon est particulièrement
remarquable dans le rôle de Simon. La mutation, alors qu’il est entraîné
dans le combat de Bilal et émotionnellement transformé par leur amitié est
nuancée en même temps que plausible.
Welcome qui vient de sortir en Australie, est une contribution
notable à un sujet qui a été largement traité par de nombreux réalisateurs
au cours des deux dernières décennies. On se souviendra en particulier de
Journey of Hope de Xavier Fuller (1990) et de Ghosts de
Nick Broomfield (2006).
Il est malheureux de constater que seulement une poignée de réalisateurs
australiens ont fait des films sur ce sujet. Etant donné que les
gouvernements australiens (aussi bien les gouvernements conservateurs que
les gouvernements travaillistes) ont sytématiquement diabolisé les réfugiés
en mettant en place une législation contre les demandeurs d’asile, il s’agit
là d’un oubli inexcusable. Des critiques australiens se sont élevés contre
la loi française 622-1. Aucun d’entre eux n’a mentionné le fait qu’une
législation identique a été mise en place au début de cette année par le
gouvernement travailliste de Kevin Rudd.
(Article original publié le 17 avril 2010)