L’exposition universelle de Shanghai met une fois de plus en
relief les contradictions criantes du capitalisme chinois présidé par le
Parti communiste chinois (CCP). L’extravagance fastueuse censée exposer au
monde les accomplissements économiques de la Chine est aux antipodes de la
pauvreté noire que connaissent des centaines de millions de travailleurs et
de l’exploitation brutale dont tout ceci dépend.
Décidé à avoir le plus gros et le meilleur, le CCP a dépensé un montant
inégalé de 59 milliards de dollars pour l’exposition universelle de
Shanghai, bien plus que pour des événements identiques dans d’autres pays et
deux fois la somme dépensée pour les Jeux olympiques de Beijing en 2008. Le
budget de l’exposition est plus important que le PIB annuel d’Etats tels l’Equateur
et la Bulgarie même si le revenu moyen en Chine est inférieur à celui de ces
deux pays.
Shanghai n’a pas lésiné sur les moyens. La cérémonie d’ouverture a débuté
par un spectacle de feux d’artifice, avec un éventail de célébrités et une
troupe de milliers de danseurs et autres artistes. Dans leur envie
irrésistible de succès, les organisateurs ont affirmé avoir réussi à
rassembler en un seul endroit la plus grande quantité de projecteurs de tous
les temps, le plus grand nombre de lasers multicolores et le plus grand
écran LED du monde.
L’aspect le plus cynique de la cérémonie d’inauguration a été le recours
à deux orphelins victimes du tremblement de terre qui a eu lieu dernièrement
dans le district de Yushu, dans la province de Qinghai, pour démontrer que
le régime s’occupait de ceux qui avaient souffert. Les deux enfants,
originaires de Qinghai, l’une des provinces les plus pauvres de Chine, où
2.200 personnes sont mortes quand le séisme a réduit à néant les maisons
primitives faites de boue et de bois, n'étaient pas à leur place au milieu
de l’architecture rutilante, ultra futuriste de l’exposition. Le PIB annuel
de Qinghai s’élève à tout juste un quart du budget de l’exposition – une
raison évidente pour le manque d’infrastructure et de services médicaux qui
ont contribué au désastre.
Pour dégager la voie et permettre l’affichage de la prospérité chinoise
lors de l’exposition, les organisateurs ont expulsé de force 18.000
résidents de leurs maisons. Le mythe de la « société harmonieuse » de la
Chine a été imposé de force par la police qui a harcelé et détenu les
dissidents politiques, dégagé des rues les petits commerçants et emprisonné
plus de 6.000 pauvres de la ville lors d’une opération répressive menée
contre « le vol, le jeu, la prostitution et la vente de matériel
pornographique. »
Les principales grandes entreprises du monde sont les participants
enthousiastes à la vitrine promotionnelle de Shanghai – témoignage de
l’importance économique mondiale de la Chine, de son énorme réserve de main
d’œuvre bon marché et de ses marchés grandissants. Un grand nombre d’entre
eux, tels General Motors, y ont construit leurs propres pavillons. Alors que
GM a été poussé à la faillite aux Etats-Unis, l’entreprise est en pleine
expansion en Chine où elle représente le plus gros constructeur étranger.
Volkswagen envisage de doubler sa production en Chine pour atteindre deux
millions d’unités d’ici 2012.
Des milliards ont été dépensés pour transformer Shanghai d’ici 2020 en un
grand centre financier mondial. Le quartier historique de la ville, connu
comme le Bund – portait avant la révolution chinoise de 1949 la réputation
de « paradis des aventuriers », a été rénové. Comme symbole de l’optimisme
économique, une réplique du taureau en bronze se trouvant à Wall Street
(Bronze Bull) a été dévoilée dans le district financier de la ville.
Cette célébration grotesque du capitalisme chinois n’est pas une trahison
du programme du CCP et du maoïsme mais constitue son aboutissement logique.
Suite à la défaite du mouvement révolutionnaire de 1925-27, Mao Zedong était
devenu le dirigeant du parti sur la base de la perspective stalinienne en
faillite du « socialisme dans un seul pays » et de la « théorie des deux
stades » qui avait eu pour objectif immédiat une Chine capitaliste et
relégué le socialisme dans un avenir lointain. Après avoir pris le pouvoir
en 1949, Mao et ses successeurs, en dépit de leurs différends d’ordre
tactique, partageaient la même perspective de transformer la Chine en une
« grande puissance », le rêve chéri de longue date de la bourgeoisie
chinoise.
Le premier ministre, Wen Jiabao, a exprimé ce sentiment quand il a
déclaré que l’exposition de Shanghai montrerait au monde qu’un « lion
dormant » se réveillait après avoir été, il y a 100 ans, une nation faible
et opprimée. Le capitalisme chinois repose sur l’exploitation impitoyable
des vastes ressources de main-d’œuvre bon marché du pays, et qui furent
ouvertes au capital étranger en 1978 lorsque le CCP avait supprimé le
radicalisme paysan de Mao pour se rapprocher ouvertement du marché
capitaliste. Comme les dirigeants du CCP en sont parfaitement conscients, la
richesse extraordinaire de la bourgeoisie émergente repose sur la vaste
masse des travailleurs qui sont obligés de subsister avec des salaires égaux
ou inférieurs au seuil de pauvreté.
Exprimant les craintes et le mépris de la bureaucratie envers la classe
ouvrière, l’ancien maire de Shanghai, Xu Kuangdi a récemment déclaré au
magazine Nation que la démocratie était incompatible avec l’énorme
inégalité sociale existant en Chine, parce que « les gens pauvres veulent
partager la propriété des gens riches. » Si nous avions des élections
directes aujourd’hui, a-t-il dit, « les gens diraient, ‘je veux que tout le
monde ait un bon emploi.’ Quelqu’un d’autre dira ‘Je veux faire partager la
propriété des gens riches aux gens pauvres,’ et il sera élu. »
A Shanghai même, ces tensions de classe sont à fleur de peau. La ville
n’est pas seulement un centre commercial mais une importante base
industrielle avec une énorme classe ouvrière. Dans les années 1920 et 1930,
Shanghai était connu comme un bastion des travailleurs militants et de
l’intelligentsia révolutionnaire. En avril 1927, à l’apogée du mouvement
révolutionnaire, Chiang Kai-shek et le Kuomintang, avec l’assistance
politique de Staline, avaient brutalement réprimé la rébellion de la classe
ouvrière dans la ville.
Suite à la révolution de 1949, Shanghai était restée un foyer de troubles
politiques. Durant la « Grande Révolution culturelle prolétarienne » des
années 1960, nommée ainsi à tort, d’importantes couches de travailleurs
s’étaient révoltés contre la bureaucratie du CCP en établissant leur propre
commune autonome de Shanghai. Terrifié par le fait que sa querelle avec les
adversaires des factions rivales ne monte en flèche, Mao fit appel à l’armée
pour réprimer la commune et la classe ouvrière.
Aujourd’hui, Shanghai est une ville d’environ 20 millions d’habitants –
dont la plupart sont des travailleurs qui sont concentrés dans les usines et
les bureaux les plus modernes de la Chine. La Chine, tout en se vantant
d’avoir le plus grand nombre de milliardaires en dollars, après les
Etats-Unis -- le salaire mensuel moyen d’un travailleur de Shanghai était
l’année dernière d’à peine 522 dollars -- a fait état en 2009 de la plus
faible croissance de ces dix dernières années. Dans une tentative d’apaiser
avant l’exposition la classe ouvrière de la ville, les autorités de Shanghai
ont augmenté le salaire minimum et les allocations chômage, et ont fourni au
compte goutte des billets d'entrée gratuits aux résidents de la ville.
L’exposition de Shanghai a été inaugurée le 1er mai –journée de
solidarité internationale de la classe ouvrière. Se référant au discours du
1er mai prononcé par le président Hu Jintao, l’organe du CCP, le
People’s Daily, a cité Marx et Engels en déclarant que l’« avenir
appartient à la classe ouvrière » et que la classe capitaliste était
condamnée. Il a salué le travail du prolétariat comme la base des
accomplissements économiques de la Chine, à commencer par son énorme
industrie sidérurgique et ses vols spatiaux habités, jusqu’au barrage des
Trois Gorges et l’organisation de l’exposition universelle.
Le journal a bien sûr omis de citer les passages pertinents du Manifeste
Communiste qui expliquent que le prolétariat est le fossoyeur du
capitalisme. En dépit du monde de fantaisie étincelante de l’exposition de
Shanghai, la classe ouvrière en Chine sera propulsée en pleine crise du
capitalisme mondial qui est en train de s’aggraver dans une lutte pour le
socialisme authentique et contre l’Etat policier du CCP.