Des reporters du WSWS ont interviewé des travailleurs à Perama, ville
ouvrière de la banlieue d’Athènes. La ville abrite le terminal portuaire du
Pirée ainsi qu’un dispositif de déchargement des conteneurs, un atelier de
réparation navale et un terminal ferry pour passagers. Le port du Pirée est
le plus grand port commercial de Grèce et du bassin de la Méditerranée
orientale, manutentionnant avant l’éclatement de la crise économique 20
millions de tonne de marchandises par an.
L’entrée du parc à conteneurs
Les travailleurs à Perama étaient très en colère contre le premier
ministre George Papandreou qui avait dit avant son élection en octobre
dernier vouloir augmenter les dépenses sociales grâce à un investissement de
plusieurs milliards d’euros. Immédiatement après son élection, Papandreou a
réduit les dépenses conformément aux exigences des banques et de l’Union
européenne (UE). Papandreou a contracté des prêts s’élevant à 110 milliards
d’euros auprès de l’UE et du Fonds monétaire international (FMI) en échange
de promesses d’imposer des coupes massives à la population.
Les travailleurs de Perama se sont aussi prononcés contre les syndicats –
dont les dirigeants viennent en partie du PASOK, le parti dirigé par
Papandreou, et qui travaillent avec le gouvernement – pour avoir organisé
des actions de protestation faibles et sporadiques contre ces coupes. Les
travailleurs plus âgés ont souvent comparé la situation économique à celle
qui existait sous le régime de la junte militaire soutenue par les
Etats-Unis et qui avait régné en Grèce de 1967 à 1974, en remarquant que de
nos jours les travailleurs étaient dans une situation plus difficile.
Le WSWS a visité le chantier de réparation navale ainsi que les docks de
déchargement des conteneurs, le fonctionnement des deux étant en sous
capacité et de graves accidents du travail y sont survenus dernièrement.
Panayotis
Panayotis travaille depuis vingt ans au chantier de réparation navale de
Perama. Il a dit, « la plupart des travailleurs ont été licenciés au cours
des dix huit derniers mois. Nous ne savons pas si des emplois vont revenir.
Nous ne sommes plus que 500 travailleurs ; il y en avait 5.000 avant. Les
conditions de travail sont très mauvaises ici : des températures très
élevées, beaucoup de fumée. La durée journalière standard est de 8 heures
mais avec les heures supplémentaires on travaille 12 heures. Les
travailleurs débutent ici avec 1.500 euros par mois. »
Tassos a ajouté, « Nous n'avons aucune idée de ce qui va se passer avec
notre retraite. Nous entendons des choses à la télé, et ce n’est pas très
clair pour le moment. »
A la question de savoir ce qu’il pensait de Papandreou, Panayotis a dit,
« Il nous a trompés avec ses promesses électorales. Il n’a pas fait payer
les riches. Il y a eu des plans de sauvetage dans tous les pays ; c’est une
crise mondiale. Ce sont les pires conditions. Les travailleurs ont acquis
des choses progressivement après [la chute de la junte militaire en] 1974,
grâce aux grèves et aux luttes. Qui, après tout, pouvait faire grève sous la
junte ? C’est comme ça que [les améliorations des conditions de travail des
travailleurs] c’est venu après 1974.
Kiriakos
Dans un café du chantier naval, Kiriakos, un soudeur a dit, « Il y a
beaucoup d’accidents du travail, et il y a eu plusieurs accidents mortels.
Il y a dix huit mois, huit travailleurs ont perdu la vie. Ils avaient été
pris au piège et sont ensuite mort intoxiqués par la fumée. » Kiriakos a
poursuivi en disant, « Nous avons fait grève pendant dix jours pour réclamer
des mesures de sécurité. Nous nous sommes adressés au ministère, mais tout
leur verbiagen’a rien donné. »
Theophilos a ajouté, « Ils n’appliquent jamais de mesures de sécurité
ici. On est littéralement redevable à l’employeur. »
Theophilos
Dimitris a dit, « La vie est très difficile. La question n’est pas le
salaire mais c’est quand on est au chômage, on ne reçoit pas de salaire. Au
cours de ces dix huit derniers mois, il n’y a pas eu de grosses entrées de
commandes. Au cours de ces cinq derniers mois nous n’avons travaillé que 20
jours. En réalité, nous sommes sans emploi. »
Theophilos a dit, « Personne n’est assuré, nous ne sommes pas assurés
contre le chômage » parce que si les travailleurs manquent de verser ne
serait-ce qu’une cotisation de 67 euros à l’assurance chômage, ils perdent
leurs allocations chômage.
A la question de savoir ce que pensent les travailleurs du chantier naval
de Papandreou, Kiriakos a répondu, « C’est notre deuxième maison, nous le
défendrons au prix de notre sang s’ils veulent le fermer. Nous avons besoin
d’emplois. Il y a beaucoup de divorces quand les travailleurs perdent leur
emploi. La Grèce possède la plus grande flotte marchande du monde et les
armateurs voyous ne fournissent pas de travail. » En parlant du plan d’aide
du FMI, il a dit, « L’argent du FMI va tout droit à l’élite et les
travailleurs sont laissés sur le carreau. »
L’entrée du chantier de réparation navale
Les travailleurs du chantier naval et les reporters du WSWS ont discuté
de la manière dont les banques et les politiciens procédaient pour faire
payer les plans d’aide aux travailleurs dans le monde entier. Les
travailleurs ont posé des questions quant au rôle joué par les Etats-Unis
dans le plan d’aide organisé par le FMI et qu’ils détestent, et pour lequel
le gouvernement des Etats-Unis dispose officiellement d’un droit de véto.
Certains des travailleurs étaient surpris d’entendre parler des problèmes de
chômage et de pauvreté auxquels de nombreux travailleurs américains sont
confrontés, car les Américains sont souvent décrits en Grèce comme des
riches.
Finalement, tout le monde est tombé d'accord pour dire que les
travailleurs américains et grecs doivent lutter contre un ennemi commun :
les banques et les politiciens qui cherchent à faire payer la crise aux
travailleurs. Vassilis, un retraité de 63 ans, a dit : « J’ai été aux
Etats-Unis et en Asie avec la marine marchande. Les Etats-Unis, c'était bien
à l'époque ; certaines personnes disent du mal des Américains, moi pas. Ils
malmènent peut-être les gens outre-mer, mais à l’intérieur du pays, les
Américains se traitent avec respect. J’avais envisagé de travailler aux
Etats-Unis comme soudeur, mais je n’ai pas réussi à obtenir un permis de
travail. »
Il a expliqué, « J’ai commencé à travailler ici sous la junte. On avait
besoin d’un passeport spécial pour entrer. Si on était un gauchiste, ils ne
vous laissaient pas entrer et donc on était obligé de grimper par-dessus la
palissade [pour aller au travail]. Après la chute de la junte, les gens qui
ont pris la relève étaient tous des voleurs. Les choses sont pires
aujourd’hui que sous la junte. Par rapport à aujourd’hui, les gens vivaient
bien à l’époque. »
Les travailleurs ont exprimé leurs craintes quant à l’avenir de leurs
enfants car il devient très difficile de payer les traditionnelles leçons
privées supplémentaires. Theofilos a dit, « Nos enfants finiront par être
analphabètes ; seuls les enfants des politiciens pourront faire des études
dorénavant. Moi, j’ai trois enfants. »
Les reporters du WSWS ont parlé à Lefteris, un ouvrier de 53 ans,
travaillant pour le service de recyclage de la municipalité de Perama, ayant
16 ans d’expérience. Il a dit, « Nous avons eu des réductions de salaire. La
prime de Pâques a été réduite de 250 à 200 euros, la prime de vacances d’été
a été réduite de 30 pour cent et la prime de Noël est passée de 1.000 à 500
euros. Mon salaire actuel n’a pas été réduit mais le 13ème et le
14ème mois ont été supprimés. Mon salaire de base brut est de 900
euros mais le loyer est de 400 euros et l’eau, l’électricité, le gaz et la
nourriture sont en plus, et leur prix augmente fortement. Par exemple, un
paquet de lentilles est passé de 0,50 euros à 0,57 euros et le prix du
détergent à vaisselle a augmenté du jour au lendemain de 1,80 euros à 2
euros.
En parlant de l’actuel gouvernement, il a dit: « Papandreou nous a
trompés, il avait dit avoir beaucoup d’argent avant les élections.
Maintenant les gens ont faim, il y a une grande misère. Je ne sais pas si
les gens aux Etats-Unis comprennent. Le tourisme s’effondre, il n’y a aucun
nouvel emploi ici. Le taux de chômage est de 25 pour cent à Perama. »
Lefteris a aussi critiqué les syndicats pour être un rouage dans un
establishment politique corrompu : « Toute personne qui dirige la GSEE
[la Confédération générale du Travail de Grèce] deviendra député, ça fait
partie du jeu. [le président de la GSEE, Yiannis] Panagopoulois deviendra un
membre du parlement.
C’est pas compliqué à
comprendre. »
Il a ajouté que la stratégie de la GSEE d’organiser de façon sporadique
des grèves générales de 24 heures était inefficace : « Les grèves générales
ne rapportent rien du tout. Si on fait grève, il faut le faire indéfiniment.
Si on fait grève pendant 5 à 10 jours, on n’obtient rien. Si on a une grève
indéfinie, tout le monde devrait faire grève.
Si
on ne lutte pas, on ne gagne rien. »
Yiannis
En commentant les conséquences de la crise, Yiannis, un conducteur
d’engin aux docks partiellement nationalisés de Perama a dit qu’elles
comportaient « des réductions de salaire et de prime, probablement de 10
pour cent en général. Une partie du port a été vendue aux Chinois [la
compagnie Costco]. Les machines ne bougent pas actuellement ; il y a deux
ans le port était en pleine effervescence. »
Il a décrit le gouvernement Papandreou comme étant « des crapules, des
voleurs, des escrocs et des menteurs, » en disant qu’il y avait trop peu de
grèves contre Papandreou. A la question de savoir pourquoi il n’y avait pas
eu davantage de grèves, il a dit, « Les travailleurs n’ont pas beaucoup
d’argent, et donc c’est dur de faire grève. Et aussi, les syndicats sont les
valets des deux grands partis. »
Les reporters du WSWS ont été invités dans le café des dockers et y ont
discuté avec des travailleurs. Ceux-ci ont dit que bien que personne n’ait
encore été licencié, ils ont maintenant juste assez de travail pour les
occuper un tiers du temps.
Giorgos
Giorgos, le délégué syndical, a parlé d’un accident survenu récemment
dans les docks : « Deux travailleurs ont été sérieusement blessés chez
Costco. Ils travaillaient sans formation préalable correcte, avec seulement
2 à 3 mois d'expérience à ce poste. La machine utilisée ici n’existe pas
dans d’autres ports en Grèce et elle s’est renversée sur eux. L’entreprise
privée ne respecte pas les procédures de sécurité et c’en est la
conséquence. Elle cherche à réduire les coûts en embauchant des gens sans
formation et en implorant le ciel pour qu’il n’y ait pas d’accident.
Malheureusement, Dieu a d’autres priorités. »