Avec le déclenchement de la crise européenne
de la dette souveraine, une nouvelle catégorie est apparue dans la presse
bourgeoise, celle des « pays gaspilleurs. » Les éditorialistes
accusent régulièrement des populations entières, à commencer par les Grecs mais
aussi d'autres, d'avoir vécu au-dessus de leurs moyens. Elles doivent à présent
en subir les conséquences.
Comme remède presque universel émanant de
politiciens aussi bien libéraux que conservateurs, c'est un assaut sans
précédent qui est engagé contre l'emploi, le salaire et le niveau de vie de la
classe ouvrière et la démolition des retraites, du système de santé, de
l'éducation et d'autres services sociaux de base.
La découverte de cette pandémie de
gaspillage est une réaction directe aux exigences du capital financier
international. Après avoir plongé le monde dans un désastre économique par leur
course effrénée à l'enrichissement personnel, et poussé leurs Etats respectifs
dans la faillite pour les avoir renfloués, les seigneurs de la finance font appel
à leurs aides au gouvernement pour protéger leurs investissements en réduisant
radicalement les budgets des programmes dont dépendent des centaines de
millions personnes.
La canaille journalistique qui promeut la
croisade contre le gaspillage ignore le fait bien connu que le niveau de vie de
la population laborieuse est en baisse depuis des décennies dans tous les pays
industrialisés tandis que la fortune de l'élite financière connait une
augmentation exponentielle.
Un exemple notoire de ce type d'experts a
été fourni dimanche dans la rubrique « éditorial et opinion », par
Thomas Friedman, le chroniqueur du New York Times qui couvre les
affaires internationales. Friedman, toujours le chef de troupeau de la
suffisance libérale, et porte-parole bien nanti du libéralisme américain
écrit : « Oui, Monsieur, nous venons tout juste d'avoir nos 70 années
d'abondance aux Etats-Unis. Et durant ces 70 dernières années, diriger. a en
grande partie consisté à prodiguer des bienfaits. »
Il poursuit : « Mais maintenant il
semble que nous entrons dans une nouvelle ère, « où la grande tâche du gouvernement et de la direction politique
consistera à retirer des choses aux gens », a dit Michael Mandelbaum, expert aux affaires étrangères de
l'université John Hopkins. En effet, diriger signifie à présent réduire,
licencier ou dégraisser les prestations de services, les programmes ou le
personnel. »
Friedman continue en comparant la population
des Etats-Unis à des sauterelles qui ont rongé « la prospérité qui nous
avait été léguée. »
Il donne le conseil suivant au président
Obama (dont la campagne en faveur de l'austérité fiscale prouve qu'il n'en a
guère besoin) : « Le président doit convaincre le pays d'investir
dans l'avenir et de payer pour le passé - le gaspillage passé - et ce tout en
même temps. Nous devons payer plus que jamais pour davantage de nouvelles
écoles et plus d'infrastructure tout en acceptant plus de coupes sociales que
jamais au moment où la confiance dans le gouvernement est au plus bas. »
Deux jours après la publication de l'article
de Friedman, le contrôleur des finances de l'Etat de New York a publié un
rapport soulignant qui sont les véritables gaspilleurs. Le rapport évalue que
les bonus de Wall Street ont grimpé de 17 pour cent en 2009 pour atteindre 20,3
milliards de dollars. De plus, il y est dit que les sociétés de courtage à la
bourse de New York ont engrangé une somme record de 49,9 milliards de dollars
au cours des trois premiers trimestres de 2009 et qu'elles vont encaisser plus
de 55 milliards de dollars de profit sur l'ensemble de l'année - soit près de
trois fois plus que le record absolu précédent.
Les revenus moyens des plus importantes
banques de Wall Street, telles Goldman Sachs et JPMorgan Chase, ont augmenté de
31 pour cent l'année dernière tandis que l'ensemble des revenus moyens a
augmenté de 27 pour cent pour passer à plus de 340.000 dollars.
Ces chiffres montrent que l'élite financière
américaine, grâce aux bons offices du gouvernement Obama, a exploité la crise
qu'elle a fabriquée de toutes pièces
pour appliquer son programme de longue date de restructurer les rapports de
classe en réduisant radicalement et de façon permanente les niveaux de vie de
la classe ouvrière.
C'est une accélération de l'offensive menée
depuis de nombreuses décennies par la classe dirigeante. L'élite dirigeante
américaine a déjà énormément accru sa part de la richesse nationale grâce aux
réductions des impôts pour les entreprises et les riches, à la dérégulation
économique, aux coupes dans les programmes sociaux, au quasi-démantèlement de la base industrielle du pays et au recours à la répression d'Etat
appliquée avec l'aide de la bureaucratie syndicale et de sa répression de la
résistance de la classe ouvrière.
Citons quelques faits :
L'Institut de politique économique rapporte
que dans les 30 années qui ont précédé 2008, près de 35 pour cent de la
croissance du revenu total aux Etats-Unis étaient allés au 0,1 pour cent de
tête du 1 pour cent des gens aux plus hauts revenus. Les 90 pour cent
inférieurs se partageaient durant la même période seulement 15,9 pour cent de
la croissance des revenus.
La hausse de l'inégalité des revenus avait
même démarré avant que la crise financière n'éclate en 2008. Selon une étude, deux tiers de la croissance des revenus étaient
allés entre 2002 et 2007 au 1 pour cent le plus riche de la société et les
revenus du 1 pour cent classé en tête avaient augmenté dix fois plus vite que
ceux des 90 pour cent restant. Le 1 pour cent de tête des gens aux plus hauts
revenuspercevait en 2007 une part du revenu plus importante qu'à aucun
autre moment depuis 1928.
Les derniers chiffres publiés par l'agence
américaine qui collecte les impôts, l'Internal Revenue Service (IRS), montrent
que le revenu moyen des 400 familles américaines est passé de 16 millions à 87
millions de dollars entre 1992 et 2007, soit une quintuple augmentation.
Pendant ce temps, le pourcentage du revenu national total qui est allé à ces
400 familles a triplé, passant de 0,52 pour cent en 1992 à 1,59 pour cent en
2007.
Entre-temps, le revenu d'un Américain moyen
est tombé de 13 pour cent au cours de la première décennie de ce siècle.
La conséquence est que les Etats-Unis ont le
plus haut niveau d'inégalité des revenus des pays hautement industrialisés. Ils
figurent en cela à un rang d'inégalité plus grande que le Sri Lanka et sur un
pied d'égalité avec le Ghana et le Turkménistan.
C'est ce que le capitalisme a fait pour la
population américaine avant le déclenchement de la crise financière. Depuis le
crash de 2008, d'autres millions de personnes ont été précipitées dans le
chômage, la pauvreté, la famine et sont devenues sans domicile fixe. Aujourd'hui, 40 millions d'Américains vivent dans la
pauvreté tandis que six millions (2 pour cent de la population) n'ont pas de
revenu et ne subsistent qu'avec des bons alimentaires.
Telles sont les conditions qui, selon
Friedman et l'establishment patronal et politique pour lesquels il
parle, doivent être aggravées de façon drastique.
La crise actuelle est en train d'éliminer
toute prétention démocratique en exposant les réalités de classe d'un système
fondé sur la propriété privée des moyens de production et la subordination des
besoins sociaux à l'enrichissement personnel d'une élite parasitaire. Il ne
s'agit pas de réformer le système mais de rompre avec la mainmise de cette
aristocratie moderne par la mobilisation politique de la classe ouvrière
américaine et internationale dans une lutte pour le socialisme.