Le second tour des élections régionales ce 21 mars a confirmé le rejet
massif, exprimé au premier tour la semaine précédente, des mesures
d’austérité du président Nicolas Sarkozy.
La coalition d'opposition formée autour du Parti socialiste (PS), «
L'union de la gauche », a emporté 21 des 22 régions françaises. L'UMP de
Sarkozy n'a conservé que l'Alsace, perdant la Corse qu'il administrait
auparavant.
Le PS faisait cause commune avec le parti environnementaliste
Europe-Ecologie, lequel a réalisé le score assez exceptionnel de 12 pour
cent des voix au premier tour, le Parti communiste français (PCF) stalinien
et le Parti de gauche de l'ex-ministre PS Jean-Luc Mélenchon. Même si ces «
partis de gauche » se présentaient indépendamment du PS au premier tour, ils
s'étaient mis d'accord depuis longtemps sur la réunion de leurs listes au
second tour. Cette coalition est largement considérée comme un moyen
potentiel pour le retour du PS au pouvoir pour la présidentielle de 2012.
Cette coalition a emporté 54 pour cent des voix sur toute la France,
contre 27 pour cent pour l'UMP de Sarkozy. D'autres listes associées au PS –
dans les régions où il se présentait en dehors de « l'Union de la gauche » -
ont emporté 10 pour cent des votes en plus.
Dans les 12 régions ou le Front national de Jean-Marie Le Pen avait
obtenu les 10 pour cent nécessaires pour se maintenir au second tour, il a
augmenté sa part des voix jusqu'à 17 pour cent, contre une moyenne nationale
de 11,4 au premier tour. Le score de Jean-Marie Le Pen dans la région PACA
(Provence-Alpes-Côte d’Azur) est passé de 22,5 à 24,9. Sa fille Marine, dans
le bastion ouvrier en friche du Nord-Pas-de-Calais, est passée de 18 à 22
pour cent.
Dans les territoires d'outre-mer, une coalition sous la direction du PS a
obtenu 75 pour cent des voix en Guadeloupe ; le Parti populiste martiniquais
a remporté 63 pour cent des voix en Martinique. Les partis affiliés à l'UMP
ont prévalu en Guyane et à la Réunion.
Comme au premier tour, le vote a été marqué par une grande abstention. Au
total, 49 pour cent des 44 millions d'électeurs enregistrés en France se
sont abstenus – en légère baisse par rapport aux 53 pour cent du premier
tour, un record depuis la fondation de la cinquième république en 1958.
La presse a traité le raz-de-marée contre l'UMP comme un revers personnel
sévère pour Sarkozy. « Depuis hier soir, notre hyperprésident est devenu
l'hyperperdant. » a commenté Le progrès de Lyon. Le quotidien des
affaires Les Echos s'interroge, « Nicolas Sarkozy sortira-t-il de
l'autosatisfaction qu'orgueilleusement il cultive jusqu'à présent ? ».
Les alliés de l'ex-Premier ministre Dominique de Villepin, le rival le
plus en vue de Sarkozy au sein de l'UMP, ont déclaré que Villepin ferait une
déclaration le 25 mars. Le député UMP pro-Villepin François Goulard a
annoncé que Villepin fonderait un « mouvement pour sauver la France, » qui
serait constitué en tant que parti politique en juin.
Sarkozy a annoncé un changement de gouvernement hier, se séparant du
ministre du travail Xavier Darcos, qui n'a reçu que 28 pour cent des voix en
tant que tête de liste UMP en Aquitaine. À son poste de ministre du travail
il allait devoir prendre en main les réductions des retraites qui sont déjà
prévues ; il a été remplacé par le ministre du Budget Éric Woerth. C'est le
député UMP François Baroin, considéré comme un proche de l'ex-Président
conservateur Jacques Chirac, qui remplacera Woerth.
Les résultats de ces élections mettent d'abord en exergue le gouffre
social entre les électeurs qui demandent des changements sociaux, et un
establishment politique sclérosé déterminé à imposer des attaques
sociales contre la population. Ils interviennent également dans le contexte
d'une inquiétude grandissante au sein de la classe ouvrière au sujet des
mesures d'austérité imposées aux travailleurs de Grèce par les marchés
financiers et le gouvernement socio-démocrate du Premier ministre
Papandreou.
Tout l'establishment insiste sur le fait que les coupes sociales
doivent se poursuivre. Dans la droite ligne de la politique de l'UE, le plan
de stabilité du gouvernement vise à réduire les dépenses de l'Etat de 100
milliards d'euros pour 2013. Le déficit du budget se monte à 9 pour cent du
Produit intérieur brut (PIB), et la dette nationale se monte actuellement à
près de 80 pour cent du PIB.
Pour l'UMP, la priorité est de poursuivre les négociations avec les
syndicats, prévues pour juillet, sur les réductions des retraites. Le
Premier ministre François Fillon a déclaré dimanche, « Les Français ont
raison : notre mode de vie est menacé. Mais il n'est pas menacé par les
réformes. Il est menacé parce que sans réformes, nous ne pourrons plus le
financer. »
Jean-François Copé, à la tête du groupe UMP de l'Assemblée nationale, a
insisté sur le fait que le gouvernement devait continuer à faire des
réformes « vitales pour le pays » comme les coupes dans les retraites et le
budget. Il y a ajouté un appel anti-démocratique à un « retour aux valeurs
de la République » y compris une interdiction de la burqa en France.
Les syndicats et l'ex-gauche ont joué le rôle principal dans la promotion
du PS droitier. Les ex-gauchistes du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA)
dans leur profession de foi nationale déclarent « La défaite de la droite
est une bonne nouvelle pour celles et ceux qui souffrent de l'entreprise de
démolition sociale menée par Sarkozy depuis près de trois ans. ».
Avec une hypocrisie sans bornes, le syndicat CGT – tout en préparant ses
propositions de coupes dans les retraites pour le gouvernement – a publié
une déclaration disant « À tendances nationales, il faut des conclusions
nationales : c'est bien d'autres orientations dans les domaines économiques
et sociaux qui doivent être à l'ordre du jour le plus rapidement possible
dans la conduite des entreprises comme dans celle du pays ».
En fait, les quelques commentaires sincères faits par des politiciens du
PS sur leur programme insistent sur le fait que le PS reste déterminé à
renflouer les banques et à appliquer des coupes sociales. En janvier, la
première secrétaire du PS Martine Aubry a proposé de travailler avec le
gouvernement à la réduction du déficit par une augmentation de 2 ans de
l'âge de la retraite.
Jacques Attali, qui était un conseiller bien en vue du président PS
François Mitterrand, a accordé un entretien le 20 mars au quotidien de
centre gauche Le Monde, encourageant Sarkozy à tenir bon : « Bien
sûr, il doit continuer à réformer ! ….Et pour cela, il doit accepter
d'être provisoirement impopulaire, expliquer les nécessités à long terme de
la réforme, comme c'est le cas pour les retraites, la dépendance, et bien
d'autres sujets. »
Le commentateur économique du Monde Antoine Delhommais a donné un
commentaire remarquable sur les conceptions des principaux politiciens. Il a
écrit qu'« En vérité, les hommes politiques n'ont aujourd'hui guère d'autre
choix que le mensonge, au moins par omission, s'ils veulent assurer leur
propre survie ».
Delhommais a dressé un portrait non sans ressemblance des opinions d'une
classe politique unie par son acceptation du principe du profit et des
prérogatives de l'aristocratie financière. S'ils disaient la vérité,
poursuivait Delhommais, ils diraient, « le plus dur reste à venir. D'abord,
le chômage ne va pas baisser. Les Chinois, avec leur coût du travail vingt
fois plus faible et leur yuan sous-évalué, vont s'attaquer à de nouveaux
produits et monopoliser de nouveaux marchés. Ce qu'ils vont gagner en niveau
de vie, vous allez le perdre. Les délocalisations vont s'accélérer. La seule
chance, pour la France, d'améliorer sa compétitivité et de rester dans la
course, ce sera de se serrer très fort la ceinture sur les salaires, comme
le font les Allemands depuis des années. Vous allez gagner moins, mais vous
allez devoir travailler plus et plus longtemps, pour espérer toucher une
retraite à peine décente. Avec une protection sociale réduite, car l'Etat-providence,
étant donné notre niveau de dette publique, c'est terminé. Terminé. Pour
réduire nos déficits et rembourser nos emprunts, vous allez aussi devoir
payer plus d'impôts. Vous, mais aussi vos enfants et vos petits-enfants.
C'est à peu près le seul moyen d'échapper… au sort de la Grèce.Et ce
n'est même pas certain. »
S'ils parlaient honnêtement, les syndicats et ce qui passait pour être la
gauche ajouteraient, « Nous sommes d'accord, et nos phrases creuses comme
nos manifestations éparses d'une journée ne sont là que pour vous permettre
de décompresser un peu, pendant que nous arrangeons les coupes sociales qui
vont être menées contre vous. »