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EuropeL’UE augmente la pression en faveur de mesures
d’austérité
Par Peter Schwarz
3 novembre 2010
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L’Union européenne intensifie
la pression sur ses Etats membres fortement endettés pour qu’ils réduisent
leurs déficits au moyen de coupes drastiques dans les dépenses publiques. La
force motrice est l’Allemagne qui se sert de façon impitoyable de son poids
économique pour imposer ses conditions aux pays plus faibles.
Tôt vendredi matin, les chefs d’Etats et de gouvernements européens ont
décidé de durcir le Pacte de stabilité européen. A l’avenir, les Etats qui
ne respectent pas le plafond des 3 pour cent du PIB seront punis plus tôt et
plus sévèrement qu’auparavant. Les sanctions peuvent prendre la forme soit
de dépôts financiers acceptés en garantie (« collatéral ») et s’élever à des
milliards d’euros soit d'amendes substantielles.
De plus, le sommet de l’UE a décidé de créer un mécanisme permanent de
résolution des crises dans la zone euro. Celui-ci remplacera le plan de
sauvetage de 750 milliards d’euros qui avait été mis en place au moment de
la crise de la dette grecque dans le but de parer la spéculation contre
l’euro. Le président Herman Van Rompuy a été chargé d’élaborer d’ici
décembre les amendements nécessaires aux traités de l’UE.
L’objectif à atteindre est un genre de droit d’insolvabilité des pays de
la zone euro. Il devrait, selon la chancelière allemande Angela Merkel,
garantir que des créanciers privés prennent aussi la responsabilité de leurs
pertes lorsqu’un Etat n’est plus en mesure de financer ses dettes. En fait,
toutefois, ce ne seront pas les banques et les investisseurs privés mais les
Etats fortement endettés qui seront les victimes du nouveau règlement. Ils
ne pourront plus que contracter des obligations d’Etat à des taux d’intérêt
extrêmement élevés voire pas du tout si les investisseurs perdent une part
de leurs créances en cas de faillite d’un Etat. Cette mesure sert donc aussi
à accroître la pression en vue d’une réduction de la dette.
Avant le sommet, l’Allemagne avait littéralement soumis au chantage les
autres membres de l’UE en imposant son programme d’austérité. La chancelière
Merkel a exigé que des sanctions s’appliquent à l’avenir automatiquement aux
pays à fort déficit sans qu’une décision préalable des ministres des
Finances européens soit nécessaire. Elle a de plus exigé qu’en cas de
violations répétées du règlement budgétaire d’un membre de l’UE entraînerait
la suspension de son droit de vote. Elle a mis en garde que l’Allemagne
refuserait d’accepter la réforme du Pacte de stabilité si le Traité de
Lisbonne (la Constitution européenne) n’était pas en même temps conformément
révisé.
Merkel s’est également servi du plan de sauvetage de 750 milliards
d’euros comme moyen de pression ; en faisant clairement savoir que
l’Allemagne en tant que principal créancier ne le prolongerait pas après sa
date d’expiration en 2013. Si aucun nouveau mécanisme de crise n’est en
vigueur à ce moment, la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et d’autre
pays lourdement endettés seraient menacés de faillite.
L’ultimatum allemand a provoqué de violentes tensions. Alors que la
revendication posée par Merkel en faveur de sanctions automatiques était
appuyée par plusieurs pays d’Europe centrale et septentrionale, elle s’est
heurtée à l’opposition en France et en Europe méridionale.
La perte du droit de vote des pays à fort déficit a été presque
unanimement rejetée. Même le président de la Commission, José Manuel
Barroso, qui n’est pas réputé pour son franc parler, a rejeté sans équivoque
la proposition de Merkel. Cette proposition requerrait que le Traité de
Lisbonne qui est entré en vigueur il y a à peine un an, soit renégocié ou
validé par référendum dans certains pays. Ce qui est largement considéré
être une situation sans issue. Néanmoins, Merkel a réitéré sa revendication
dans une déclaration gouvernementale avant de rejoindre Bruxelles mercredi.
Une semaine plut tôt, en marge d’un sommet tripartite
France-Allemagne-Russie en Normandie, Merkel et le président français
Nicolas Sarkozy s’étaient accordés sur une manière d’agir commune. Merkel
avait fait quelques concessions relatives à sa revendication de sanctions
automatiques tandis que Sarkozy avait accepté l’apport de modifications aux
traités de l’UE et l’application de sanctions plus dures aux pays à fort
déficit.
Pour Sarkozy, qui se trouvait en plein conflit sur la réforme des
retraites, l’alliance avec Merkel était d’une extrême importance. Alors que
des millions de travailleurs manifestaient dans les rues en France contre
l’allongement de l’âge légal de départ à la retraite, il recevait la pleine
approbation de Berlin pour sa politique de rigueur.
L’alliance entre Sarkozy et Merkel est favorisée par la politique
nationaliste des syndicats qui soutiennent la politique de leurs
gouvernements respectifs. Alors que les syndicats français cherchent à
contenir l’opposition à la réforme des retraites en rejetant catégoriquement
une offensive pour le renversement de Sarkozy, les syndicats allemands n’ont
pas levé le petit doigt pour soutenir les manifestations françaises.
Le soutien des syndicats explique aussi la raison pour laquelle Merkel
affiche une attitude aussi arrogante en Europe. De nombreuses entreprises
allemandes sortent renforcées de la crise parce qu’elles jouissent de
bénéfices record et d’une forte position concurrentielle grâce à des années
de modération salariale imposée par les syndicats. C’est ainsi que le
constructeur automobile Daimler a relevé cette année ses bénéfices de 2,3 à
7 milliards d’euros. Dans le même temps, les syndicats ont soutenu
l’expansion du secteur des bas salaires qui occupe à présent des millions de
personnes percevant un salaire minimum.
A Bruxelles, l’accord franco-allemand a provoqué de l’indignation. Le
président de l’Euro Group, le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude
Juncker, l’a qualifié d’« inacceptable. » Merkel et Sarkozy étaient arrivés
à un accord sans le consulter, a-t-il déclaré au journal Die Welt. « Ce
style est simplement impossible. »
Mais, après que Merkel a exercé une certaine pression sur l’ensemble des
26 dirigeants de l’UE dans un entretien téléphonique personnel, elle a été
largement en mesure de s’imposer à Bruxelles. De toute évidence, la menace
de retrait du plan de sauvetage a eu de l’effet. Pas un seul gouvernement
européen ne veut ni ne peut s’opposer aux dictats des banques et des grosses
entreprises dont Merkel représente les intérêts. Même le magazine Der
Spiegel a qualifié ses actions de « chantage pur et simple » en disant :
« Ses actions hégémoniques ont soulevé des critiques partout en Europe. »
Merkel s’est imposée au sommet de l’UE en ce qui concerne ses
revendications clé – des mesures d’austérité strictes et l’inscription d’un
mécanisme permanent de gestion de crise dans les traités de l’UE. Elle a
renoncé à ses revendications maximales d’un retrait du droit de vote et de
sanctions automatiques, mais ces dernières servaient de monnaie d’échange
pour accroître la pression sur ses adversaires.
La modification des traités de l’UE sera menée de façon à pouvoir être
appliquée sans nécessiter l'approbation du parlement ni un référendum. Aucun
gouvernement européen ne pense actuellement pouvoir réunir une majorité
d’électeurs pour approuver cette modification.
(Article original paru le 30 octobre 2010)