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Moyen-OrientTarek Aziz menacé de meurtre judiciaire en
Irak
Par Bill Van Auken
2 novembre 2010
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La condamnation à mort par pendaison de l’ancien ministre irakien des
Affaires étrangères, Tarek Aziz, est un acte barbare de vengeance politique
du gouvernement fantoche de Bagdad ainsi qu’un crime de guerre de plus dans
la longue liste de crimes commis par Washington depuis l’invasion de 2003.
Aziz avait été des décennies durant le chef de la diplomatie irakienne
sur la scène internationale et s’était volontairement rendu en 2003 aux
autorités militaires américaines. De toute évidence, il se croyait protégé
par sa réputation de longue date sur la scène internationale, dont ses
relations diplomatiques avec plusieurs gouvernements américains.
Au lieu de cela, ce malade de 74 ans a dû purger plus de sept ans de
prison en isolement, d’abord aux mains de l’armée américaine dans le camp de
détention Cropper situé près de l’aéroport international de Bagdad puis,
plus récemment, aux mains des forces de sécurité irakiennes. Lorsqu’en
juillet dernier les forces d’occupation américaines ont remis Aziz au
gouvernement irakien, il a confié à son avocat, « Je suis sûr qu’ils vont me
tuer. »
Aziz avait déjà été condamné à des peines de prison totalisant 22 ans sur
la base d’allégations d’implication dans l’exécution de commerçants accusés
de manipulation des prix durant l’embargo USA/ONU à l’encontre de l’Irak et
dans la répression de l’opposition kurde dans le Nord du pays.
La peine de prison représentait en fait une condamnation à perpétuité en
raison du mauvais état de santé d’Aziz qui a souffert en prison de plusieurs
attaques cérébrales et de problèmes de santé au niveau des poumons et subi
une intervention chirurgicale en janvier dernier suite à un caillot de sang
dans le cerveau.
Lors de la dernière décision en date, l’ancien ministre des Affaires
étrangères a été condamné à mort pour la répression menée par le régime
Baathiste dans les années 1980 contre les Islamistes chiite ainsi que le
parti islamique Dawa. Les partisans du parti avaient organisé une série
d’attaques terroristes soutenues par l’Iran durant cette période, dont des
tentatives d’assassinat d’Aziz et de Saddam Hussein. A cette époque, il faut
rappeler que Washington soutenait Saddam Hussein en tant que rempart contre
l’extension de la révolution iranienne aux populations chiite du monde
arabe.
Le tribunal qui a prononcé ces condamnations avait été mis en place suite
à un décret émis par le Conseil de gouvernement provisoire irakien sous
contrôle de l’occupation américaine afin de juger les membres du
gouvernement Baathiste, renversé par l’invasion américaine. Son personnel
avait été trié sur le volet et rémunéré par l’ambassade américaine à Bagdad.
Dès le début, ce tribunal fantoche s’était servi de méthodes les plus crues
de « justice du vainqueur. »
L’homme qui va vraisemblablement signer l’ordre d’exécution est le
premier ministre actuel, Nour El-Maliki, personnalité influente du Parti
islamique Dawa tandis que le juge qui a prononcé la sentence, Mahmoud Saleh
al-Hassan, est un membre du bloc politique chiite de Maliki, la Coalition
pour l’Etat de droit.
Aziz a été jugé en grande partie lors des nombreux procès intentés contre
lui en l’absence d’avocats de la défense, étant donné que les avocats qui
avaient osé le défendre ont été menacés de mort par la milice chiite liée au
régime soutenu par les Etats-Unis.
Au fond, il a été reconnu coupable de crimes commis par la police secrète
de Saddam Hussein au motif qu’il avait fait partie du gouvernement irakien
en tant que chef de la diplomatie du pays. Ceux qui connaissent le
fonctionnement du régime Baathiste contestent cette logique en faisant
remarquer qu’Aziz n’a jamais fait partie du cercle restreint qui contrôlait
les forces de sécurité et qui était en grande partie recruté dans le clan de
Hussein basé à Tikrit.
C’est une ironie cruelle qu’Aziz ait été condamné à mort pour persécution
religieuse. Né en 1936 dans une famille chrétienne pauvre du Nord de l’Irak,
Aziz fut attiré, lorsqu'il avait une vingtaine d'années, par la politique
nationaliste oeuvrant pour le renversement de la monarchie soutenue par la
Grande-Bretagne. A l’image de nombreux jeunes de sa génération radicalisés
dans le monde arabe, il pensait qu’une révolution nationaliste pourrait
libérer la région de l’héritage du colonialisme, y compris des divisions
ethno-religieuses exacerbées par le recours de l’impérialisme européen à la
méthode du diviser pour mieux régner.
Les forces politiques irakiennes supervisant son procès sont liées aux
milices impliquées dans l’effusion de sang provoquée pour des raisons
religieuses par l’occupation américaine. La population chrétienne irakienne
a été décimée et la possibilité pour un chrétien comme Aziz d' occuper un
poste de premier plan dans l’actuel gouvernement est absolument inexistante.
Chose plus fondamentale encore, le tribunal et le régime lui-même sont
les fruits d’une guerre criminelle et de l’occupation de l’impérialisme
américain. La condamnation à mort a été dictée par Washington.
Alors que l’Union européenne a qualifié la condamnation à mort prononcée
à l’encontre de Tarek Aziz « d’inacceptable » et que le Vatican et plusieurs
gouvernements européens demandent un recours en grâce, le gouvernement Obama
garde un silence coupable.
La question évidente que pose le lynchage juridique de Tarek Aziz est la
suivante: De quel droit le gouvernement à Washington et ses agents locaux se
permettent-ils de juger quiconque pour crimes commis contre le peuple
irakien ?
Comme Tarek Aziz l’a lui-même déclaré au journal britannique The Guardian
en août dernier lors de l’unique interview qu’il a tenue depuis son
emprisonnement, « Nous sommes tous les victimes des Etats-Unis et de la
Grande-Bretagne. Ils ont tué notre pays. »
Les sept années et demies passées de l’occupation américaine ont détruit
la société irakienne et coûté la vie à plus d’un million de personnes, en
transformant plus de quatre millions de personnes en réfugiés, en provoquant
la famine et le chômage pour des millions de personnes de plus tout en en
privant d’autres des services les plus essentiels.
Le fait de condamner Tarek Aziz à mort tandis que les auteurs de ces
crimes – tant dans le gouvernement Bush que celui d’Obama – sont assurés de
l’impunité n’est pas seulement un crime mais une obscénité.
Les défenseurs d’Aziz en signalant le caractère précipité de la
condamnation à mort qui a été prononcée sans respecter le préavis usuel de
30 jours dans l’attente d’une telle décision, ont dit qu’elle était
politiquement motivée. Ils ont accusé la cour d’agir au nom de Maliki et de
ses commanditaires à Washington pour détourner l’attention de l’opinion
publique de la diffusion par WikiLeaks la semaine passée de près de 400.000
documents américains secrets dévoilant le massacre de civils et la torture
systématique pratiquée par les forces de sécurité fantoche irakiennes avec
l’approbation tacite des Etats-Unis.
La cour martiale sommaire qui a condamné Aziz a opéré en tant
qu’instrument de la politique américaine au même titre que le fait la
« brigade des loups » que les Etats-Unis ont entraînée et à laquelle l’armée
américaine, selon les documents de Wikileaks, a remis des prisonniers pour
qu’ils soient torturés – souvent à mort – à l’aide de perceuses électriques,
et administration de décharges électriques à haute tension et autres moyens
sophistiqués de torture.
Washington a ses propres raisons de vouloir la mort de l’ancien ministre
irakien des Affaires étrangères. Il y a ceux qui, au sein de l’establishment
politique, ne peuvent accepter qu’il ait clairement réfuté les prétextes
fabriqués de toutes pièces – « d’armes de destruction massive » et de liens
avec Al Qaïda – pour l’invasion américaine.
De plus, la longue carrière diplomatique d’Aziz le place dans une
position exceptionnelle pour révéler au grand jour le bilan criminel de
l’impérialisme américain en Irak. Il fut le premier à avoir reçu Donald
Rumsfeld (l’ancien secrétaire à la Défense de Bush au moment de l’invasion
en 2003) lorsque celui-ci fut, en 1983, l’envoyé spécial du gouvernement
Reagan chargé d’offrir le soutien des Etats-Unis à Saddam Hussein dans la
guerre Iran-Irak.
Il se trouvait au coeur des manœuvres diplomatiques entre Washington et
Bagdad juste avant la première Guerre du Golfe lorsque l’ambassadrice
américaine à Bagdad, April Glaspie, avait accordé ce qui avait quasiment
servi de feu vert à l’invasion du Koweit par l’Irak en 1990 et qui à son
tour devait servir de casus belli pour une intervention massive de l’armée
américaine dans le Golfe persique.
Il pourrait aussi révéler comment Washington avait systématiquement
rejeté toutes preuves que l’Irak ne disposait pas « d’armes de destruction
massive » et saboté toute tentative pour empêcher la guerre déclenchée par
les Etats-Unis en 2003.
L’élite dirigeante américaine a grand intérêt à ce que Tarek Aziz emporte
dans sa tombe les secrets qu’il détient sur les relations de ces 30
dernières années entre les Etats-Unis et l’Irak. Pourquoi laisser en vie un
homme qui pourrait être cité comme témoin clé à leur propre procès pour
crimes de guerre ?
C’est pour cette raison que la classe ouvrière internationale doit
s’opposer à l’exécution de Tarek Aziz et exiger sa libération immédiate. La
justice ne sera rendue au peuple irakien qui souffre que lorsque les
responsables, qui ont mené une guerre d’agression illégale engendrant ces
innombrables crimes, seront poursuivis.
(Article original paru le 28 octobre 2010)