Après des semaines de pression intense exercée par les marchés
monétaires internationaux et les institutions européennes, le gouvernement
irlandais a officiellement sollicité un plan de sauvetage s’élevant à 90
milliards d’euros de l’Union européenne et du Fonds monétaire
international.
Au cours de ces trois derniers mois la Banque centrale
européenne (BCE) est intervenue pour racheter jusqu’à 40 milliards
d’obligations irlandaises afin d’empêcher l’effondrement des
banques irlandaises qui aurait eu un effet de répercussion catastrophique en
Europe. La semaine passée, durant des entretiens avec les ministres européens
des Finances, le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, a clairement fait
savoir que la banque centrale ne pourrait pas continuer à injecter de
l’argent pour soutenir les banques irlandaises quasiment en faillite et
qu’il serait nécessaire d’activer le Fonds européen de stabilité
financière (EFSF), fonds d’urgence qui a été mis en place par
l’Union européenne en mai dernier.
Le gouvernement irlandais, dirigé par Brian Cowen, a à
présent cédé à la campagne concertée sur le plan international. Sur un total de
90 milliards d’euros, 15 milliards d’euros iront immédiatement au
renflouement des banques irlandaises et le reste servira à couvrir le déficit
budgétaire annuel des trois prochaines années. La plus grande partie de cet
argent se retrouvera dans les coffres des banques pour aller finalement aux
institutions financières internationales qui détiennent les dettes irlandaises.
Selon un article paru sur le site internet de la BBC, ce
plan épargne toute perte aux principaux créanciers de l’Irlande. La
revendication de faire contribuer les principaux détenteurs d’obligations
au sauvetage d’Etats et de banques en faillite avait dernièrement été
soulevée par le gouvernement allemand et appuyée par la France. Mais les
banques mondiales ont réagi en attaquant l’Irlande qui est reconnue comme
le maillon le plus faible de la zone euro. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont
rapidement abandonné leur proposition et ont cédé devant les marchés
financiers.
Dans son article sur le site internet de la BBC, Stephanie
Flanders conclut que « la zone euro agit exactement de cette manière
depuis que l’effondrement de Lehman nous a mis sur cette voie. A savoir,
qu’en cas de doute, on émet un nouveau chèque en blanc aux créanciers
privés sans se poser trop de questions sur l’argent ou le danger moral
encouru. »
L’Irlande est à présent le deuxième pays européen à
recevoir cette année de l’argent de l’UE/FMI. En mai, la Grèce
avait accepté 110 milliards d’euros de l’UE et du FMI après une
campagne concertée identique des marchés monétaires et des agences de notation
pour déclasser les obligations du gouvernement grec et pousser le pays vers la
faillite.
Suite au sauvetage grec, l’UE et le FMI ont levé un
fonds d’urgence d’un montant de 750 milliards d’euros pour
empêcher l’effondrement de l’euro. Quand le fonds de sauvetage
(EFSF) a été mis en place, les chefs des gouvernements européens ont souligné
que le fonds devait être un « parapluie de protection » pour
l’euro. Ils ont dit qu’ils ne s’attendaient pas à ce que
d’autres pays y recourent.
Six mois plus tard, l’Irlande fait précisément cela.
Le soutien apporté par les principales économies
européennes au plan de l’UE pour l’Irlande n’a rien de
philanthropique. L’Allemagne est l’un des plus importants bailleurs
de fonds des banques irlandaises. Selon la banque centrale allemande, la
Bundesbank, les banques allemandes figurent parmi les plus gros créanciers de
l’Irlande avec un total de 166 milliards d’euros (226 milliards de
dollars) dont la majeure partie concerne des prêts risqués à court terme.
Une somme équivalente est détenue par les institutions
financières britanniques ce qui explique la volonté du gouvernement britannique
d’octroyer un prêt supplémentaire de 7 à 20 milliards d’euros à
l’Irlande.
Les sauvetages de la Grèce et de l’Irlande
maintenant signifient effectivement que les deux pays ont cédé leur économie et
leur politique budgétaire à des experts non élus de l’Union européenne et
du FMI. Depuis mardi dernier, une équipe de responsables de l’UE et du
FMI se trouvent à Dublin pour finaliser les termes du prêt et dicter les termes
d’une nouvelle série de mesures d’austérité.
L’année passé l’Irlande avait déjà introduit
le paquet de coupes sociales le plus sévère de toute l’Europe
occidentale. En conséquence, le niveau des salaires a déjà chuté de 20 pour
cent. Maintenant, l’UE et le FMI exigent une nouvelle série de mesures
draconiennes qui auront des conséquences dévastatrices sur la population
irlandaise.
L’une des principales concessions initialement
exigées par le gouvernement irlandais en échange du prêt de l’UE est une
hausse de son impôt, vraiment bas de 12,5 pour cent, sur les sociétés, une
mesure clé introduite par le gouvernement au milieu des années 1990 pour attirer
les entreprises internationales. Cet impôt sur les sociétés a compté pour
beaucoup dans la croissance économique liée à l’émergence de
l’Irlande comme le « Tigre celtique. »
La semaine passée, des entreprises dont Google, Microsoft
et Intel ont signalé qu’elles reconsidéreraient leurs opérations en
Irlande au cas où les taxes professionnelles seraient augmentées.
Il semblerait maintenant qu’un accord ait été trouvé
par lequel l’Irlande pourrait conserver sa faible taxe sur les sociétés
en échange de coupes sociales encore plus draconiennes.
Selon le ministre irlandais des Finances, Brian Lenihan,
l’un des critiques les plus éloquents de la taxe sur les sociétés,
l’UE était prête à laisser tomber le sujet. S’exprimant avant une
réunion ministérielle, Lenihan a déclaré, « Je suis très heureux que le
président Sarkozy ait indiqué qu’il n’était pas question de faire
du taux d’imposition irlandais sur les sociétés un élément de ces
discussions ou de ces négociations. »
Lenihan a aussi dit que le Royaume Uni et le FMI
n’avaient pas exigé des modifications du taux d’imposition au cours
des récentes discussions. « Donc, cette question n’est plus à
l’ordre du jour, ça doit être clair pour tout le monde, » a-t-il
conclu.
Au lieu de cela, le gouvernement irlandais imposera une
nouvelle série de mesures de rigueur devant être annoncées ce mercredi. Une
série de propositions circulent déjà dans les médias, dont : la
suppression de 28.000 emplois supplémentaires dans le secteur public, une
augmentation substantielle de l’impôt foncier et du prix de l’eau,
une réduction de 10 pour cent supplémentaires des prestations sociales et
l’introduction d’impôts sur les bas salaires des travailleurs qui
en sont actuellement exemptés.
En plus de la pénalisation des petits revenus, le
gouvernement envisage de réduire le salaire minimum de 8,65 euros à 7,65 euros
de l’heure pour faire accepter aux travailleurs des emplois qui sont
encore moins payés.
Aux dires du ministre néerlandais des Finances, Jan Kees
de Jager, « L’Irlande devra faire des coupes rapides et
claires. » En se référant au budget à venir, un blog du Financial Times
évoque « des douleurs terribles qui attendent les citoyens
irlandais. »
L’acceptation du plan UE/FMI par Dublin a été
accueillie par un flot d’appels à la démission du gouvernement irlandais
dont celui du principal journal de l’Irlande, l’Irish Times.
Dans les milieux politiques, toutefois, l’unanimité est de mise que tout
remaniement politique du gouvernement ne doit se faire qu'après
l’adoption réussie du programme d’austérité.
Le parti d’opposition Fine Gael a dit qu’il
soutiendra tout budget proposé par le gouvernement Fianna Fail. Le Parti des
Verts, qui compte trois ministres dans l’actuel gouvernement, a dit
qu’il retirera ses ministres et a appelé à de nouvelles élections
l’année prochaine tout en indiquant clairement qu’il soutiendra les
coupes budgétaires qui seront annoncées mercredi.
Après avoir imposé en Grèce et en Irlande des mesures
d’austérité qui annulent des réformes sociales vieilles de plusieurs
décennies et dégradent les salaires et les conditions de travail, la
ploutocratie financière porte maintenant son regard sur le Portugal et
l’Espagne.
Le magazine britannique Economist
s'est déjà déclaré en faveur de proposer au Portugal le même plan que celui qui
a été négocié par l’UE et le FMI avec l’Irlande, en argumentant que
les malheurs économiques du Portugal sont peut-être encore plus graves.