Lors d’une récente allocution, le ministre de la Sécurité publique
Vic Toews et le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme
Jason Kenney ont annoncé les détails du projet de loi C-49 sur
l’immigration clandestine et le trafic humain. La loi visant à
empêcher les passeurs d’utiliser abusivement le système
d’immigration canadien donnerait le pouvoir au ministre de
l’Immigration de décider arbitrairement si l’arrivée d’un
individu cherchant refuge au Canada est « irrégulière », entraînant
un traitement de l’État plus sévère et la privation de certains droits
fondamentaux pour cette nouvelle classe de réfugiés.
Le gouvernement a expliqué que la désignation « irrégulier »
serait utilisée s’il jugeait qu’une organisation terroriste ou de
passeurs illégaux cherchant le profit est impliquée dans le processus de
passage. Mais selon les groupes de défense des droits des réfugiés, le projet
de loi est rédigé si largement qu’il pourrait s’appliquer à la
grande majorité des demandeurs d’asile et des organisations aidant les
réfugiés. Selon ces mêmes groupes de défense, avec l’adoption du projet
de loi C-49, le Canada violerait ses obligations internationales sous trois
traités en plus de violer la Charte canadienne des droits et libertés. En
effet, la création d’une classe de réfugiés ayant moins de droits
annihile le principe d’égalité devant la loi.
Si le projet de loi C-49 devenait loi,
les passeurs d’immigrants s’exposeraient à
au moins 10 ans de prison s’ils étaient reconnus coupables d’avoir
fait entrer au pays plus de 50 étrangers. Mais si le gouvernement prétend
qu’avec sa nouvelle loi, il vise les passeurs de migrants clandestins, en
fait le gros de la loi consiste en une négation des droits démocratiques des
réfugiés. En d’autres termes, le gouvernement Harper a plutôt les
victimes des passeurs dans sa mire que les passeurs eux-mêmes.
Avec son nouveau projet de loi, le gouvernement conservateur créerait
une nouvelle classe de demandeurs d’asile dont les droits seraient
bafoués dès leur arrivée au Canada. S’ils réussissaient à convaincre le
gouvernement qu’ils sont des réfugiés légitimes, alors la nouvelle loi
leur accorderait moins de droits qu’un réfugié n’ayant pas été désigné
« irrégulier ».
Tout d’abord, le gouvernement compte rendre obligatoire la
détention des demandeurs d’asile « irréguliers » — hommes
femmes et enfants — pour une période pouvant aller jusqu’à un an
sans que ces derniers aient droit d’être représentés en justice. Le
Canada violerait ainsi la protection des réfugiés en droitinternational
selon laquelle il est interdit pour un État de sanctionner les réfugiés pour être
entrés de façon illégale et est interdit de les refouler vers la persécution.
Ensuite, ceux qui obtiennent le statut de réfugié se verraient imposer
une période de probation de cinq ans, les empêchant de quitter le Canada et de
poser leur candidature pour parrainer la venue de leurs enfants au pays, et ce,
en violation des obligations du Canada sous la Convention sur le droit des
enfants, la Charte canadienne et les obligations internationales en matière de
droits de l’Homme. Finalement, ces réfugiés feraient l’objet
d’une nouvelle évaluation au bout de cinq ans afin de déterminer
s’ils ont toujours besoin de protection ou s’ils peuvent être
renvoyés dans leur pays d’origine.
Selon la convention des Nations unies relative au statut des réfugiés,
ceux-ci ont droit aux mêmes soins de santé que les citoyens canadiens. Or, sous
la loi actuelle, ils ne reçoivent déjà que le strict minimum, ne bénéficiant
pas d’une couverture de santé complète. Avec la nouvelle loi, le
gouvernement Harper irait encore plus loin et leur refuserait le droit aux médicaments,
chaises roulantes, canes et marchettes. Dans la même optique, les réfugiés n’ont
pas droit à la même aide qu’un citoyen canadien dans le besoin,
n’ayant pas, entre autres, aux prestations fiscales pour enfants.
Le projet de loi C-49
vient sur les talons d’une récente
modification fortement
réactionnaire d’une autre loi sur les réfugiés, la loi C-11, adoptée
en juin dernier. Les conservateurs avaient obtenu la collaboration de
l’opposition officielle, formée par le Parti libéral de Michael Ignatieff,
pour accélérer l’adoption de ce projet de loi. En adoptant la loi C-11,
intitulée Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés,
le gouvernement s’est octroyé le droit de rejeter les
demandeurs d’asile provenant des pays dits « démocratiques »
faisant partie d’une liste arbitraire qu’il dresse de pays
« sécuritaires ». Selon les officiels gouvernementaux, cette loi vise
à empêcher les « faux réfugiés » et les « abuseurs » du
système de s’installer au Canada. En plus, lors d’un appel, la
commission chargée d’entendre la cause « n'est pas liée par les
règles légales ou techniques de présentation de la preuve »,
c’est-à-dire que les preuves de ouï-dire ou obtenues sous la torture
pourraient être acceptées.
Non contents d’avoir
réussi à imposer ces reculs sur les droits des demandeurs d’asile, les
conservateurs ont exploité l’arrivée de 490 réfugiés tamouls à bord du MV
Sun Sea au mois d’août dernier pour monter une opération militaire très
médiatisée au cours de laquelle les réfugiés ont été présentés comme des
terroristes potentiels. A l’arrivée du navire en Colombie-Britannique,
Toews annonçait qu’il fallait durcir les lois canadiennes de
l’immigration, ce que le gouvernement conservateur a accompli avec le
projet de loi C-49.
Les libéraux et
néo-démocrates ont annoncé qu’ils ne rejetteront pas ce projet de loi,
mais proposeraient des amendements pour qu’il soit accepté par le
parlement.
Le gouvernement conservateur tente de justifier son attaque sur les
personnes fuyant la persécution et cherchant refuge au Canada par le fait
qu’ils contournent le système en ne respectant pas la file
d’attente. Mais la réalité est que cette loi sert l’agenda
anti-crime et anti-terrorisme du gouvernement Harper, dans lequel les réfugiés
et les immigrants plus généralement jouent le rôle de boucs-émissaires, alors
qu’il cherche à mettre en place des politiques de droite fortement impopulaires
auprès des masses.
Le renforcement de la sécurité aux frontières, liée à l’obsession
pour « le respect de la file d’attente », sert aussi à garder
un contrôle ferme sur la main-d’œuvre immigrante que l’État
tente de subordonner le plus possible aux besoins et demandes de
l’entreprise et du profit. Dans un discours propagandiste prononcé à
Ottawa lors d’une cérémonie officialisant la citoyenneté canadienne
de 72 immigrés, Harper a mentionné que le gouvernement veut adopter de
« nouvelles lois strictes » pour endiguer « le problème croissant de l’arrivée massive
d’immigrants clandestins », prévenant toutefois que l'économie
canadienne « aura besoin davantage d'immigrants ».
En fait, il est si difficile pour un réfugié de faire une demande
d’asile au Canada que seulement quelques dizaines de milliers de
personnes ont réussi à franchir les différents obstacles sur les 42 millions de
réfugiés recensés par les Nations unies l’an dernier. De ceux-ci presque
quatre cinquièmes font leur demande au Canada même, et l’autre cinquième
en arrivant à la frontière canadienne.
Selon le Conseil canadien pour les réfugiés, les mesures administratives
adoptées par le gouvernement canadien en 2009 ont entraîné une baisse
spectaculaire (possiblement du tiers) du nombre de demandeurs d’asile au
Canada. L’année dernière, seule la moitié des 33.000 demandes
d’asile ont été acceptées.
La plus récente attaque sur les droits démocratiques des réfugiés
s’inscrit dans une longue série de mesures punitives du Canada à
l’égard des réfugiés. À titre d’exemple, l’imposition de
visas aux ressortissants du Zimbabwe en 2001 puis aux Mexicains et aux Roms tchèques
en 2009 avaient empêché un bon nombre de personnes persécutées de trouver
refuge au Canada. Après le récent séisme en Haïti, le gouvernement canadien
avait émis un très faible nombre de visas aux Haïtiens, empêchant ces derniers
de rejoindre les membres de leurs familles au Canada.
À l'heure
actuelle, les
conservateurs poussent plus que jamais l’assaut sur les droits
démocratiques des réfugiés, mais tant les libéraux que les conservateurs, avec
l’appui des néo-démocrates, ont travaillé au cours des dernières années à
fermer la porte aux réfugiés. C’est d’ailleurs sous le gouvernement
libéral de Jean Chrétien en 2002 que le Canada avait conclu l’Entente sur
les tiers pays sûrs, donnant le droit aux autorités canadiennes de refuser tout
demandeur d’asile entrant au Canada par les États-Unis.
Certes,
l’exploitation des réfugiés par les passeurs
est monstrueuse (des sri lankais du MV Sun Sea ont affirmé avoir payé
jusqu’à 50.000 dollars pour atteindre le Canada), mais elle est le
résultat d’un système d’immigration étatique subordonné au profit
qui empêche des personnes persécutées de venir au Canada. Ce processus entraîne
donc de nombreuses personnes dont la vie est menacée dans leur pays
d’origine à utiliser des passeurs comme dernier recours à qui ils doivent
payer des sommes exorbitantes et affronter des conditions de transport
extrêmement dangereuses.
De plus, comme les autres gouvernements impérialistes, le gouvernement
canadien utilise une distinction entre des réfugiés politiques et économiques
pour justifier de ne pas reconnaître aux travailleurs leur droit démocratique
de se rendre dans le pays de leur choix pour travailler et vivre.
Bien que la nouvelle loi
engendre une violation majeure des droits des réfugiés, le gouvernement
canadien possède l’appui des instances internationales, de nombreux États
et des médias.
Le Haut Commissariat des
Nations unies pour les réfugiés, celui-là même qui a établi la Convention sur les
réfugiés en 1951, a déclaré qu’il appuyait le travail important en
matière de renforcement de la loi, vantant le travail exemplaire du Canada
lorsqu’il a intercepté à l’aide d’avions militaires et
d’une frégate des Forces armées canadiennes les 490 réfugiés tamouls,
toujours emprisonnés à l’heure
actuelle.
Dans le cas du Sri Lanka,
le HCR a récemment fait des recommandations qui indiquent « qu'avec
l'amélioration de la situation depuis la fin du conflit au Sri Lanka en mai 2009, les demandes d'asile de ce pays
devraient être considérées sur une base individuelle ».
Cette recommandation est
frauduleuse. Malgré la fin de la guerre communale sanglante perpétrée par la
bourgeoisie singhalaise qui a duré une trentaine d’années et causé la
mort de milliers de Tamouls, la persécution de la minorité tamoule se poursuit. En plus
de servir l’agenda communautariste du gouvernement sri lankais, qui
utilise la prétendue menace terroriste pour justifier la répression
continuant à ce jour contre les Tamouls, la recommandation du HCR permet au
gouvernement canadien et à tous pays recevant des réfugiés tamouls de faciliter
l’emprisonnement de ces derniers et de durcir les lois en matière
d’immigration.
Le
gouvernement de la Thaïlande — qui fait partie des dix pays recevant le
plus de demandeurs d’asile sri lankais — mène aussi une campagne
anti-réfugiés, comme le démontre la récente interception par les autorités
thaïlandaises d’un bateau de migrants clandestins d’origine tamoule
qui s’apprêtait à partir en direction du Canada. Après cette arrestation
soutenue par les médias, le ministre Kenney a
souligné que le Canada avait effectivement augmenté de façon significative sa
coopération avec les pays d'Asie du Sud-Est afin d'enrayer la migration
clandestine vers le Canada.
Cette campagne
anti-réfugiés est liée à toute la campagne anti-immigrants et anti-musulmans menée par les pays
impérialistes sur la scène internationale. Tant en France qu’aux
États-Unis, en passant par l’Australie, la bourgeoisie tente de diviser
les travailleurs sur des bases ethniques pour détourner les tensions politiques
et sociales vers des voies réactionnaires. Les élites canadiennes travaillent
fort pour demeurer dans le peloton de tête.