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EuropeL’Etat français et les syndicats cherchent à
désarmer les grèves contre la réduction des droits à la retraite
Par Alex Lantier
4 octobre 2010
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Après que 3 millions de travailleurs ont défilé lors de la journée d’action
du 23 septembre contre la réforme des retraites du président Nicolas
Sarkozy, la classe dirigeante arrive à la conclusion qu'elle a largement
sous-estimé l’opposition populaire contre la politique gouvernementale. La
réforme relève l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans et reporte
de 65 à 67 ans l’âge du bénéfice de la retraite à taux plein. Les réductions
sont estimées coûter 4 milliards d’euros par an aux travailleurs et sont en
grande partie considérées être dictées par des considérations oligarchiques.
Les politiciens et les bureaucrates syndicaux sont à présent en train de
faire pression pour des modifications mineures du projet de loi, tout en
appelant à davantage de « journées d’action » inoffensives. Ces manœuvres
cyniques ont pour but de dissimuler une vérité fondamentale : la seule voie
pour les travailleurs de s’opposer à la réforme est une grève de masse
organisée indépendamment et contre les dirigeants syndicaux et l’Etat.
Les personnalités de droite lançant des appels à des changements
cosmétiques de la réforme comprennent des gens du gouvernement lui-même.
Vendredi, lors d’une réunion du parti conservateur UMP (Union pour un
Mouvement populaire), le premier ministre François Fillon a insisté en
disant : « Nous ne retirerons pas ce projet parce qu’il est nécessaire et
raisonnable. » Il a dit, cependant, que le Sénat qui doit encore ratifier la
réforme devait discuter des changements et évaluer toutes les propositions.
Le président du Sénat, Gérard Larcher (UMP), a dit qu’il pourrait bien
par exemple soutenir le départ à la retraite à taux plein à 65 ans pour les
femmes ayant eu plusieurs enfants, apparemment pour mieux équilibrer
l'impact de ces coupes entre les hommes et les femmes.
La seule condition a dit Fillon est que « les principaux paramètres de la
réforme et son équilibre financier » soient préservés. C’est-à-dire que les
travailleurs perdent collectivement tout autant au profit de l’aristocratie
financière qu’avant les modifications.
A l’exemple de toutes les forces affirmant s’opposer à Sarkozy, la
« gauche » bourgeoise du Parti socialiste (PS) a fait une volte-face. Après
sa victoire aux élections régionales du printemps, elle a chargé ses
défenseurs de l'économie de marché de s’exprimer sur la politique sociale.
Le député PS Manuel Valls a dit au Monde : « La gauche peut défendre une
retraite à la carte et l’allongement de la durée de cotisation. »
Mais à présent le PS affirme défendre fermement la retraite à 60 ans.
Durant la journée d’action, la secrétaire du PS, Martine Aubry a fait de son
mieux pour remettre en mémoire un quelconque vague discours « radical » des
années 1970 : « Mon seul objectif est de montrer qu’il y a une autre France
possible, plus juste et plus efficace. »
Les syndicats ont également changé de ton. Après avoir négocié les
réductions des droits à la retraite – le secrétaire général de la CGT,
Bernard Thibault, avait dénoncé en juillet des appels à la grève générale
contre ces réductions comme étant une « stupidité » – ils déclarent à
présent prudemment être contre leur application.
Le 24 septembre, un communiqué unitaire des syndicats a dit : « Les
organisations syndicales mettent en garde le gouvernement sur les
conséquences que provoquerait l’ignorance de la colère qui s’exprime
profondément… Elles confirment les termes de leur lettre ouverte unitaire au
Président de la République et aux parlementaires : ‘le vote de ce projet
dans sa logique actuelle n’est pas d’actualité’ »
Les syndicats ont appelé à de nouvelles journées d’action le 2 octobre et
le 12 octobre. La décision des syndicats de fixer la prochaine mobilisation,
une manifestation, à un samedi et de reporter de 19 jours la prochaine
grève, a été minutieusement ajustée pour étouffer toute démarche en faveur
d’une grève prolongée.
Même l’ancien premier ministre Dominique de Villepin – un adversaire de
Sarkozy au sein de l’UMP et qui est toujours confronté à la justice dans
l’affaire Clearstream – a réclamé le retrait des coupes sur les retraites.
Ce politicien de droite impopulaire et qui avait été forcé de démissionner
en 2006 suite à un mouvement de contestation de masse contre sa réforme de
la législation du travail, le Contrat première embauche (CPE), se fait
l'écho des critiques venant des syndicats et de la « gauche » bourgeoise.
Il a dit: « On peut faire passer une réforme, ce n’est pas là
l’essentiel. Ce qui est important c’est que cette réforme soit juste, bonne
pour tous les Français. Je me rappelle un grand chef syndical me disant à la
veille du CPE, vous arriverez à faire passer votre réforme, mais cette
réforme se heurtera à un mouvement des jeunes, et là, personne ne peut
savoir jusqu’où ça ira. Raison de plus pour les écouter, plus que je ne l’ai
fait à l’époque, en 2006. »
Les travailleurs ne peuvent faire confiance à cette coalition de
bureaucrates syndicaux staliniens, de « socialistes » récemment défroqués
experts de l'économie de marché et de soi-disant nobles de droite prêchant à
Sarkozy la doctrine du « Fais ce que je dis, pas ce que je fais. » Ils ne
sont pas opposés aux mesures de rigueur – qu’ils avaient contribué à imposer
lorsqu'ils étaient au pouvoir – mais cherchent à retarder les coupes pour ne
pas provoquer une opposition incontrôlée de la classe ouvrière.
L’impulsion pour ces coupes n’est pas due à la mégalomanie personnelle de
Sarkozy, mais à la crise intense du capitalisme mondial. Confrontées à la
concurrence de producteurs recourant à la main-d’œuvre bon marché en Asie et
en Amérique latine, les vieilles puissances impérialistes tentent de
relancer leur profitabilité en ré-établissant leur compétitivité et en
réduisant les salaires et les dépenses sociales. L’Etat français en
particulier vise à réduire de 100 milliards d’euros son déficit annuel aux
dépens des travailleurs.
La CGT, ainsi que d’autres syndicats et leurs prolongements politiques
soutiennent ces coupes et n’ont pas organisé de grèves à leur encontre parce
qu’ils veulent défendre la compétitivité du capitalisme français.
Les liens corrompus de la milliardaire Liliane Bettencourt, propriétaire
de la fortune de L’Oréal héritée de sa famille jadis fasciste, et du
ministre du Travail Eric Woerth – qui est chargé d’imposer les réductions –
révèlent le caractère de classe de cette politique.
La classe ouvrière reconnaît de plus en plus clairement que ces journées
d’action de 24 heures ne peuvent arrêter les mesures de rigueur de Sarkozy.
Un sondage du mois de juin a révélé que 58 pour cent de la population ne
pensaient pas qu’elles stopperaient les coupes ; 67 pour cent pensaient
qu’une grève générale serait une opposition plus efficace. Les résultats des
journées de protestation en Grèce – qui n’ont pas empêché les coupes
massives du premier ministre social-démocrate George Papandreou – sont un
avertissement pour les travailleurs au plan international.
La classe dirigeante a aussi développé des armes contre cette évolution
de la classe ouvrière – notamment, le Nouveau parti anticapitaliste
petit-bourgeois (NPA) qui redouble d’efforts pour répandre des illusions sur
les syndicats et l’establishment politique. Il a publié le 24 septembre un
communiqué saluant l’appel des syndicats à davantage de journées d’action.
Réitérant ses éloges de longue date de la lutte contre le CPE, il écrit
que des gouvernements, comme celui de Sarkozy, ont à maintes reprises été
« contraints à capituler en rase campagne le lendemain. Ce fut le cas en
décembre 1995 contre le plan Juppé et en 2006 contre la loi Villepin
instaurant un CPE. »
Pour le NPA, ces reculs très partiels opérés par le gouvernement en 1995
et en 2006 sont la preuve que la collaboration avec la bureaucratie et
l’establishment politique peut être fructueuse. Ceci ne reflète que son
indifférence à l'égard de la situation à laquelle la classe ouvrière est
confrontée ; les leçons à tirer de ces événements sont tout à fait
différentes.
Etant donné que les luttes de 1995 et de 2006 ne se sont pas développées
en luttes politiques contre la classe dirigeante et son programme de coupes
budgétaires, elles sont devenues pour la bourgeoisie des occasions de
réorganiser son personnel politique. Elles ont conduit en 1997 à l’élection
d’un gouvernement PS qui a procédé à des privatisations de masse
d’entreprises publiques et, en 2007, à l’élection de Sarkozy sur un
programme d'économie de marché et d’austérité.
L'unique opposition efficace sera une grève de masse de la classe
ouvrière, dirigée contre les syndicats et les partis existants qui
soutiennent les coupes de Sarkozy.
Une telle lutte transformera la vie politique et aura des implications
révolutionnaires. Représentant une menace pour les intérêts fondamentaux et
la position mondiale de la France et le capital financier international,
elle devra faire face à une résistance déterminée. Il faut se souvenir que
l'armée a récemment été utilisée pour tenter de briser les grèves des
camionneurs en Grèce et que le gouvernement espagnol a menacé de faire de
même contre les travailleurs du métro de Madrid et les aiguilleurs du ciel.
Le fait qu’une radicalisation de masse à venir de la classe ouvrière
contre l’establishment politique soit aujourd’hui la question centrale, est
tacitement reconnu même par la classe dirigeante.
Dans son éditorial de samedi, le quotidien de référence français de
« centre-gauche » Le Monde a écrit : « Nicolas Sarkozy serait bien imprudent
de faire croire que, sur la réforme des retraites, il a déjà gagné la
partie.. » Le journal reconnaît que les coupes sont poussées par « un souci
financier pour satisfaire les agences de notation. » Il a ajouté que les
syndicats « ne nourrissent pas d’illusions exagérées sur leurs chances de
victoire, » vu que le Sénat votera la réduction n Octobre.
L’article explique cependant que le risque majeur est la destruction de
la capacité des syndicats à étouffer les luttes de la classe ouvrière :
« Face à M. Sarkozy, les syndicats font preuve d’un grand sens des
responsabilités. Ainsi, Bernard Thibault résiste-t-il aux velléités de
surenchère de sa base, et se garde bien d’exiger le retrait de la réforme.
Mais si M. Sarkozy reste inflexible et ne fait pas de concessions
substantielles, les syndicats, sortis bredouilles de leur combat et
affaiblis, ne pourront pas conjurer les risques de radicalisation. Le succès
de M. Sarkozy ressemble alors à une victoire à la Pyrrhus. »
C’est une réfutation dévastatrice de ceux qui avait fait une croix sur le
marxisme et la classe ouvrière en tant que facteur historique ou politique.
Plus de 160 ans après que Karl Marx et Friedrich Engels eurent écrit dans le
Manifeste du Parti Communiste que le spectre du communisme hantait l’Europe,
les classes dirigeantes craignent une fois de plus que la classe ouvrière
défie l’establishment politique et ses laquais de « gauche ».
(Article original paru le 29 septembre 2010)