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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Courrier sur « La vie et la carrière de l'acteur Corin Redgrave

22 octobre 2010

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Camarades,

J'ai trouvé la récente nécrologie de Corin Redgrave par David Walsh et David North, puissante, évocatrice et perspicace.

Elle se penche sur sa mort avec objectivité et sensibilité, au point que je l'ai trouvée très touchante. Ce n'est pas très surprenant étant donné qu'elle s'intéresse à une période extraordinaire de l'histoire que tous ceux d'un certain âge parmi nous ont traversés ensemble. Nous avons fait nos armes politiques durant cette période, et comme l'article le montre bien, il y avait de véritables éléments de tragédie dans cette crise politique qui a engouffré Redgrave et tout le SLL/WRP dans les années 1970, ainsi que des leçons essentielles à retenir. Il a été dit en de nombreuses occasions que l'important n'est pas « de rire ou de pleurer, mais de comprendre. » C’est ce que cet article réussit extrêmement bien.

Si je devais choisir un paragraphe pour sa perspicacité, ce serait : « L'idée selon laquelle l'activité artistique et la politique révolutionnaire seraient mutuellement exclusives est fausse, et ce n'était pas d'ailleurs pas la politique officielle de la SLL mais, en pratique, cette idée détermina les choix d'un certain nombre de ses membres artistes-intellectuels. En particulier, pour un Redgrave pour qui le jeu était "dans les gènes", une telle décision devait nécessairement avoir des conséquences néfastes, et même constituer un handicap. »

C'est absolument vrai. La façon dont le mouvement révolutionnaire assimile les couches artistiques/intellectuelles qui s’y joignent est une question d'une énorme importance. L'idée d'une exclusion mutuelle n'a pas toujours été de mise dans la SLL, mais son adoption de plus en plus claire par la direction du WRP a eu un effet négatif sur le parti pour plusieurs raisons.

J'ai rejoint le précurseur du WRP à peu près en même temps que Corin au début des années 1970. Je ne l’ai pas très bien connu, mais durant quelques années, j'ai eu une relation politique étroite avec deux autres artistes/intellectuels de la direction, le réalisateur Roy Battersby et le scénariste Roger Smith, car nous étions membres à la fois de la SLL/WRP et du syndicat ACTT.

Je travaillais à l'usine Kodak d'Harrow, et avec les camarades du coin nous avons commencé à construire une cellule du parti. Roy et Roger se sont lancés dans ce travail avec beaucoup d'enthousiasme. Je me rappelle que Roy a donné une série de lectures publiques sur la Dialectique de la Nature et que Roger a donné un grand nombre de leçons dans la cellule sur Socialisme : utopique et scientifique, et tous deux vendaient le journal aux portes de l'usine. Ils étaient très bons pour expliquer des idées complexes et les rendre plus faciles à comprendre.

Ces lectures et ces leçons étaient très importantes, elles éloignaient la discussion des problèmes immédiats de l'usine et du syndicat pour se pencher sur des questions de théorie, d'histoire et de science. Elles étaient populaires parmi les membres, comme l'étaient les questions qui entouraient les développements internationaux au Chili en Irlande et au Portugal.

L'intérieur de l'usine était comme une cocotte-minute. La direction et la bureaucratie syndicale s'unissaient pour bloquer et ostraciser les trotskystes. La majorité des travailleurs, tout sympathisants, ne voyait pas le besoin réel d'un parti révolutionnaire puisqu'il leur semblait qu'ils pouvaient faire tomber les gouvernements rien que par leur seule force syndicale.

Je me suis très bien entendu avec ces deux camarades et je les ai grandement admirés. J'attendais avec anticipation les réunions de notre section de l'ACTT qui se tenaient soit chez Roger à St. John Wood, soit à l'appartement de Roy à Maida Vale. Parmi les autres participants, il y avait Tom Scott Robson, Peter Cox, Ken Trodd, Ken Loach et bien d'autres, y compris un jeune acteur qui écrit maintenant régulièrement pour le WSWS.

Healy faisait également une apparition de temps en temps. C'était une compagnie incroyablement motivante et instructive pour un jeune travailleur en usine. Non seulement politiquement, mais parce qu'après que l'agenda politique ait été complété, les discussions ont souvent tourné vers ce qui pour moi étais des séances de voltige intellectuelle et culturelle révélatrices.

Bien qu'ils soient issus du monde universitaire et aient des carrières « prestigieuses », ils n'avaient aucun mal à se mêler aux membres du syndicat de Kodak. Leur engagement pour la classe ouvrière et la cause socialiste révolutionnaire était si clairement authentique.

Ils ne faisaient aucun compromis avec les comportements vulgaires et n'étaient pas du tout condescendants comme le sont les groupes radicaux envers les travailleurs. À côté des questions directement politiques, les idées qu'ils introduisaient dans nos discussions et qui venaient des expériences artistiques qu'ils avaient faites en écrivant et en réalisant n'ont pas fait qu'approfondir énormément ma compréhension politique, mais ont également élargi ma compréhension de la vie en général. En plus de tout le reste, tout cela constituait une diversion agréable et instructive de nos vies sur les lignes de production de Kodak.

Je crois que cela a fonctionné dans les deux sens, parce que ces camarades intellectuellement sensibles acquéraient de nouvelles expériences en collaborant plus étroitement avec une cellule ouvrière, ce qu'ils ont utilisé par la suite dans leurs œuvres artistiques. À l'époque, Roy travaillait sur Leeds United — un drame télévisuel basé sur la grève dans l'industrie du textile féminin à Leeds. Ce fut un grand jour pour la section de Kodak quand Roy nous a invités à voir les premières épreuves au bâtiment de la BBC à Shepherd Bush. Quand les barrières de sécurité se sont ouvertes, une demi-douzaine d'entre nous avons traversé la cour intérieure pour nous rendre au cœur du complexe de studios.

En Grande-Bretagne, la classe ouvrière avait tout juste fait tomber le gouvernement Heath. La nationalisation de l'industrie du cinéma était la revendication officielle de l'ACTT et c'était le résultat de la lutte de notre parti dans ce syndicat, et là nous avions le privilège de voir en avant-première un film qui allait bientôt être vu par des millions de gens — un film qui allait faire la lumière sur le rôle des staliniens dans cette grève importante. Je me rappelle m'être dit comme c'est bon d'être en vie !

Le film a été diffusé en octobre 1974, et à mon avis, non seulement il représentait le meilleur de la fameuse série de la BBC Wednesday Play, mais également le meilleur travail que Roy Battersby ait jamais fait. Les influences combinées de ses talents artistiques, de la formation politique marxiste et l'effort pour éduquer politiquement les travailleurs qui étaient eux-mêmes en lutte amena son œuvre à libérer tout son potentiel.

Bien que Roy ait encore à réaliser le documentaire du parti sur le denier exil de Léon Trotsky à Coyoacan au Mexique, où le grand révolutionnaire a été assassiné par l'agent stalinien Ramon Mercader, sa contribution artistique semble se terminer au moment où Healy l'a nommé « gérant » de l'école du parti à Derbyshire. Avec le recul, c'était une décision stupide, et elle semble indiquer le début de l'affaiblissement des artistes et des intellectuels dans le parti. À partir de là, il apparaît que leur travail artistique était découragé alors qu'ils étaient transformés en simples fonctionnaires du parti.

Pire, au lieu d'utiliser les artistes/intellectuels pour élever le niveau culturel de tout le mouvement, comme il l'avait courageusement entrepris par le passé, Healy commença à se servir de ces camarades tels que Corin et Bob Archer comme punch-in ball du parti, littéralement. Cela l'aidait à faire diversion pour cacher sa propre évolution encore plus à droite. Mais en fait, ces folies — pardonnées et justifiées par Banda et Slaughter — ont encouragé tous les sentiments arriérés anti-intellectuels chez les cadres de la classe ouvrière.

Cela a eu un effet incroyablement débilitant sur le parti, en démoralisant à la fois ceux qui étaient publiquement humiliés comme ceux qui étaient contraints d'y assister. Combien de temps les travailleurs pouvaient-ils avoir confiance en un parti dont les dirigeants intellectuels étaient apparemment incompétents et lâches ?

Healy savait très bien qu'il jouait sur des suspicions bien implantées chez les travailleurs contre les intellectuels des classes moyennes. Mais, comme l'indique l'article, ce n'étaient pas des forces de la classe moyenne hostiles à la classe ouvrière, mais des artistes et des intellectuels qui avaient fait des sacrifices pour rejoindre le mouvement prolétaire international et aider à créer un futur socialiste.

L'attaque de Healy contre eux a été une indication supplémentaire de ce qu'il était en train de se retirer d'une lutte de plusieurs décennies pour former des marxistes, et au lieu de cela, s'adapter au milieu national. Il y a une tradition anti-intellectuelle très forte, virulente, en Grande-Bretagne qui doit être consciemment et continuellement combattue par la direction révolutionnaire et ses cadres.

Au début des années 1980, tout le WRP était en crise, et les membres du comité central à Londres étaient envoyés en province pour tenter d'éteindre l'incendie. Corin a reçu l'ordre d'aller dans le Yorkshire et le Nord-Est de l'Angleterre. Mais la crise s'approfondissant dans ces régions semble n'avoir fait que renforcer sa propre crise politique, et inversement. De plus, Battersby et un certain nombre d'autres ont quitté le mouvement à cette époque. La dernière fois où je lui ai parlé, c'était une marche à Liverpool en 1981, et il était devenu un homme très cynique et amer.

La fuite de cette couche en dehors du mouvement doit avoir énormément intensifié le sentiment d'isolement des Redgrave, en particulier pour Corin. J'avais un peu plus souvent affaire avec lui à ce moment-là, parce que j'avais été envoyé avec lui dans le Yorkshire, où le parti s'était effondré.

D'un homme qui était d'un naturel timide, il est devenu de plus en plus réservé, au point de ne parler que par monosyllabes – incroyable au regard de son métier d'acteur. Je croyais à l'époque que c'était une forme d'arrogance, mais maintenant j'ai compris que c'était probablement plus un mélange de timidité et d'introspection auxquelles s'ajoutait la perte de confiance et une réelle confusion quant à son propre rôle ainsi que celui des artistes et intellectuels dans le mouvement révolutionnaire. Les deux premiers éléments sont des traits de personnalité, mais Healy porte lui-même la responsabilité des deux autres.

Par conséquent, même si c'est assez ironique, il n'est peu être pas surprenant que Corin et sa sœur Vanessa aient défendu Healy politiquement contre les critiques du Comité international de la Quatrième internationale en 1985. Durant la décennie qui a précédé la scission, Healy avait de plus en plus encouragé une position nationale orientée vers les bureaucraties travaillistes et staliniennes en Grande-Bretagne.

Après la rupture avec le CIQI, Healy et les Redgrave ont continué cette orientation en tournant leur « Parti marxiste » vers l'aile favorable à la restauration du capitalisme chez les staliniens, réunis autour de Gorbatchev et de sa perestroïka. Après la mort de Healy, ils se sont fait les champions de diverses grandes causes des classes moyennes. Ils ont organisé des campagnes de soutien pour les prisonniers britanniques à Guantanamo. Vanessa a soutenu diverses organisations issues de l'ONU, comme l'UNICEF, et Corin a co-fondé le « Parti de la paix et du progrès », qui a présenté des candidats aux législatives de 2005. Tout cela semblait avoir pour but de donner du crédit à l'idée qu'il existerait une forme d'aile libérale-démocratique de gauche de l'impérialisme britannique. Étant donné sa performance aux BAFTAs [British Academy of Film and Television Arts — la remise de prix annuelle de la télévision britannique] Vanessa Redgrave est maintenant convaincue que cette aile englobe même la famille royale de Windsor, les héritiers de la lignée d'aristocrates qui a le plus de sang sur les mains de toute l'histoire.

Bien que je ne voudrais pas exagérer, je crois que la perte de ce talent intellectuel extraordinaire par le mouvement révolutionnaire au début des années 1980 est un facteur important du niveau culturel très bas que l'on peut constater dans la classe ouvrière britannique aujourd'hui, prenant en considération le rôle traître du Parti travailliste, des staliniens et des syndicats. Cependant, ce n'est pas un point sur lequel il est nécessaire de s'étendre.

Le système capitaliste mondial part en vrille et un nouveau tsunami révolutionnaire est sur le point de se déchaîner sur le monde avec encore plus de férocité que ce que l'on a vu dans les années 1970. Il est inconcevable que cela n'amène pas toute une génération d'artistes et d'intellectuels vers, et dans, le mouvement révolutionnaire prolétarien international. C'est pourquoi toutes les leçons de cette période antérieure sont si importantes à assimiler.

Sincères salutations,

Dave Hyland

 (Courrier original paru le 17 avril 2010)

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