L'intensification de l'opposition de masse aux coupes sur les retraites
opérées par le président Nicolas Sarkozy s'est exprimée dans les rues de
France. Entre un et trois millions de personnes ont participé à 240
manifestations dans tout le pays.
Les déclarations du gouvernement prétendant que l'opposition populaire à
sa législation de « réforme » des retraites baissait ont été démenties par
les sondages indiquant que 71 pour cent de la population soutient les
manifestations, soit une augmentation par rapport aux 68 pour cent lors de
la précédente journée d'action du 23 septembre.
Un sondage de TNS-Sofres indique que d'un pourcentage de juin 2007 de 63
pour cent de confiance dans le président nouvellement élu, la cote de
popularité de Sarkozy a chuté à 26 pour cent au début du mois d'octobre de
cette année, soit son niveau le plus bas et le taux de désapprobation
s'élève à 72 pour cent.
Comme c'était un samedi, jour de congé, les manifestations comportaient
une forte proportion de familles, avec bébés et enfants, venant en groupes
spontanément et non derrière des banderoles syndicales ou politiques. Les
reporters du WSWS ont perçu une atmosphère sobre, sérieuse et plutôt calme.
Les jeunes étaient souvent avec leur famille, mais il y avait de petits
nombres de lycéens et d'étudiants conduits par des organisations influencées
par le Parti socialiste (PS.)
La manifestation de Nice
La participation aux défilés était similaire à la participation aux
manifestations du 7 septembre et du 23 septembre, qui était elle-même de 40
pour cent plus élevée que lors des protestations du mois de juin. Et ceci
malgré la tactique délibérée des syndicats d'espacer les journées de grèves
afin de de disperser toute dynamique.
Les manifestations étaient organisées par une intersyndicale des huit
principales confédérations syndicales, conduites par la CGT (Confédération
générale du Travail) influencée par le Parti communiste (PCF) et la CFDT
(Confédération française démocratique du travail) alignée sur le Parti
socialiste (PS). L'intersyndicale jouit du soutien officiel des soi-disant
partis de gauche, qui étaient tous présents dans les manifestations: le PS,
le PCF, le Parti de Gauche (PG), les Verts, le NPA et les sympathisants de
l'ancien premier ministre gaulliste dissident Dominique de Villepin.
Les manifestations de samedi se sont déroulées cinq jours après la
journée de grève générale de dix millions de travailleurs espagnols contre
les coupes brutales dans les salaires, les prestations sociales et les
droits démocratiques, opérés par le gouvernement du Parti socialiste au
pouvoir. Ces mesures sont dans la droite ligne de la politique d'austérité
générale de l'Union européenne: réduction des dépenses gouvernementales afin
de réduire le déficit budgétaire et la dette nationale sur ordre des banques
et de sauver l'euro aux dépens de la classe ouvrière. Le même jour que la
grève en Espagne, le 29 septembre, 80 000 travailleurs de 30 pays
manifestaient à Bruxelles contre la politique de l'Union européenne.
Il est significatif que les syndicats français n'aient pas cherché à
soutenir cette journée d'action à échelle européenne organisée par la CES
(Confédération européenne des syndicats), non pas parce qu'ils s'opposent à
cette organisation pro-capitaliste et ultra bureaucratique, dont ils sont
tous membres. Ils ne voulaient pas étaler au grand jour le fait que le Parti
socialiste français avait voté pour les programmes d'austérité attachés au
renflouement commun par l'UE (Union européenne) et le FMI (Front monétaire
international) de la Grèce et qui a réduit les salaires de 30 pour cent, qui
est en train de détruire les services sociaux et d'accroître le chômage. Ils
ont tous très peur que les luttes des travailleurs en Grèce, en Espagne et
dans l'Europe toute entière ne se développent en un mouvement ouvrier
pan-européen et ne représentent une menace pour l'existence de l'Union
européenne capitaliste.
La crainte de la radicalisation du mouvement est exprimée dans le
quotidien Libération : « Le gouvernement surveillera comme le lait
sur le feu la mobilisation étudiante et lycéenne. En cas d'affluence plus
forte que lors des deux derniers rendez-vous, l'épreuve de force engagée
avec le pouvoir changera de nature. La question de la radicalisation du
mouvement, déjà posée par certains syndicats, sera plus que jamais sur la
table. » La République du Centre réprimande les syndicats et la
gauche d'encourager « les jeunes – on ne sait jamais ce qu'ils vont faire, »
étant donné que les syndicats et les partis politiques exercent peu de
contrôle sur eux.
Aucun des tracts ni déclarations des syndicats et des partis de
« gauche » officiels pour la journée d'action du 2 octobre n'exprimait de
solidarité avec les travailleurs espagnols et grecs. Il en va de même du
Nouveau parti anticapitaliste (NPA) qui avait, en juillet dernier, montré à
un moment donné quelque intérêt par l'initiative de la CES.
Une partie de la manifestation de Nice
Les syndicats et la gauche bourgeoise maintiennent que la pression de la
rue peut faire plier Sarkozy et lui faire abandonner ses attaques contre les
retraites. C'est ce qui est résumé dans la déclaration du NPA du 28
septembre: « La détermination est bel et bien là pour faire reculer ce
gouvernement. Obtenir le retrait c'est possible, alors on ne lâche rien, on
amplifie et on durcit le mouvement dans les semaines qui viennent, pour
montrer à Sarkozy que la rue a du pouvoir dans ce pays ! » Ou encore, comme
Jean-Marc Ayrault, chef du groupe parlementaire PS l'a dit après la
manifestation de samedi: «Le gouvernement ne peut pas ne pas tenir compte de
l'ampleur de la mobilisation. »
Mais le premier ministre François Fillon a clairement dit qu'aucune
modification au projet de loi sur les retraites ne changerait
« l'équilibre » de son financement: Il faut économiser 70 milliards d'euros
en allongeant à 62 ans l'âge légal de départ à la retraite, à 67 ans l'âge
de départ sans décote et à 41,5 années les cotisation d'ici 2018.
La campagne des syndicats se focalise entièrement sur la personne de
Sarkozy. Mais il représente les intérêts de l'ensemble de l'élite dirigeante
française confrontée à la concurrence d'anciens et de nouveaux rivaux
mondiaux, et la nécessité de maintenir la notation AAA de la France, de
façon à maintenir des taux d'intérêts bas pour sa montagne de dette d'un
montant de 1 632 milliards d'euros qui ne cesse de croître et dont le
paiement des intérêts absorbe plus de 20 pour cent du budget de la France,
soit sa composante la plus importante.
En fait, la gauche bourgeoise et les syndicats partagent ces mêmes
objectifs. De même, ces forces traitent les coupes dans les retraites comme
un problème isolé, évitant ainsi toute la portée de la politique d'austérité
du gouvernement. A la fin de la manifestation de Nice, les intervenants de
la CGT ont recueilli des applaudissements faciles en s'en prenant à Sarkozy
mais ils ont tu le fait que leur secrétaire général Bernard Thibault
travaille assidûment avec le président depuis l'élection de ce dernier afin
de l'aider à imposer ses mesures d'austérité et à augmenter la compétitivité
du capitalisme français..
L'hostilité intense des travailleurs et des jeunes à la destruction de
leur niveau de vie et de leurs droits explique aussi que le gouvernement se
tourne vers une politique chauvine d'extrême-droite, que l'on n'avait pas
vue au niveau gouvernemental depuis les années 1930, et qui est à présent
débattue à l'Assemblée nationale malgré des protestations dans toute la
France et l'Europe: La révocation de la nationalité française des immigrés
et la persécution des Roms. Le but est de diviser la classe ouvrière,
d'attiser les éléments les plus réactionnaires et de construire un Etat
policier, déjà bien avancé avec la législation draconienne sur le terrorisme
et le sécuritaire, le tout jouissant du soutien de principe du PS.
L'ancien premier ministre socialiste (1984-1986) Laurent Fabius qui a
joué un rôle clé dans l'imposition de mesures d'austérité sous la présidence
de François Mitterrand a dit vendredi: « Il faut une autre réforme qui à la
fois repose sur les salariés et sur les revenus du capital, sinon il va
falloir recommencer dans trois, quatre ans. » Fabius sait très bien que dans
les faits le fardeau reposera entièrement sur les travailleurs et que
l'augmentation des impôts sur le capital va remettre en question la notation
AAA et qu'un gouvernement du PS irait dans le même sens que le gouvernement
du PASOK en Grèce et celui du Parti socialiste en Espagne.
S'il fallait donner une preuve supplémentaire de la politique
réactionnaire qu'un nouveau gouvernement du PS mènerait, il suffit de
montrer le soutien de la direction du parti au président du Fonds monétaire
international Dominique Strauss Kahn comme candidat PS à l'élection
présidentielle de 2012.
La première secrétaire Martine Aubry a dit qu'elle ne laisserait pas ses
propres aspirations se mettre en travers de sa route, ce qu'a aussi dit un
autre aspirant, l'ancien premier secrétaire du PS François Hollande. Strauss
Kahn est responsable non seulement de l'imposition des mesures d'austérité à
la Grèce mais aussi, entre autres, de mesures liées au renflouement du pays
le plus pauvre de l'Union européenne, la Roumanie, où le gouvernement
applique des baisses de salaire de 25 pour cent et des coupes des retraites
de 15 pour cent pour réduire le déficit budgétaire du pays.
Le tract du NPA distribué lors des manifestations proclame avec
démagogie: « Le succès du 2 octobre doit permettre de construire la grève
générale. » Le NPA ne dit rien du rôle des syndicats, ni du PS et de ses
satellites, le Parti communiste et le Parti de Gauche, avec lesquels il
essaie de canaliser la classe ouvrière et de l'empêcher de développer son
indépendance suivant une perspective socialiste révolutionnaire.
Les reporters du WSWS ont parlé à des étudiants à Paris tenant une
banderole sur laquelle était inscrite « je veux la retraite à 60ans -
Etudiant à 20 ans, chômeurs à 25 ans …et toujours précaire 67 ans ? NON
MERCI !» L'un des étudiants Jocelyn a dit: « Nous vivons dans un monde
mondialisé. Le capital exploite sans frontière et crée cette situation,
alors nous aussi nous avons besoin d'une perspective pour unifier les
travailleurs d'Europe et du monde entier pour combattre ces attaques. »
Armand, retraité était venu en famille: « Bien sûr qu'il y a un lien
entre l'austérité et la chasse aux Roms. Il [Sarkozy] en appelle à l'extrême-droite
pour se servir de leur appui pour faire tout ça. Les Roms sont juste une
belle opportunité pour lui. »