Vendredi dernier, plus d'une vingtaine de camions-citernes
et de camions transportant des ravitaillements pour l'offensive militaire américaine
contre Kandahar en Afghanistan ont été détruits dans deux attaques distinctes au
sud du Pakistan. Ces assauts sont venus aggraver la crise pour les forces
d'occupation des États-Unis et de l'OTAN, provoquée par la fermeture, la
veille, d'un passage frontalier clé par le gouvernement pakistanais.
On estime que 80 pour cent du ravitaillement pour les
forces d'occupation des États-Unis, de l'OTAN et de leurs alliés en
Afghanistan, y compris 50 pour cent du carburant, passe par le Pakistan.
La route de la passe de Khyber qui relie Peshawar, au
nord-ouest du Pakistan, et Jalalabad, à l'est de l'Afghanistan, a été fermée
aux convois de ravitaillement de l'OTAN en réaction à deux frappes aériennes
des États-Unis jeudi contre des postes militaires pakistanais. Ces frappes ont tué
trois gardes-frontière pakistanais et en ont blessé trois autres. Washington
continue à justifier ces attaques, menées par des hélicoptères de combat à
l'intérieur du Pakistan, en violation flagrante de la souveraineté territoriale
pakistanaise, comme des actes d'« autodéfense ».
Ces attaques sont venues s'ajouter aux frappes
d'hélicoptères américains qui auraient tué 55 Pakistanais le week-end
précédent, du côté pakistanais de la frontière. Le mois dernier, les États-Unis
ont intensifié radicalement leurs tirs de missiles par des drones de la CIA sur
de présumés groupes de talibans et d'al-Qaïda dans les régions tribales du
Pakistan, lançant 20 attaques ou plus de ce type en septembre.
Soulignant les implications potentiellement désastreuses de
la fermeture du passage frontalier pour la guerre néo-coloniale en Afghanistan,
Teresita C. Schaffer, directrice du programme d'Asie du Sud au Center for
Strategic and International Studies à Washington, a dit au New York Times : « Nous
essayons depuis quelques années de réduire notre dépendance logistique au
Pakistan et nous n'avons réussi qu'à la faire passer de 90 à 80 pour cent.
Donc, non, nous n'avons clairement nulle part où aller. »
Tôt vendredi matin, environ une douzaine d’hommes
armés masqués ont attaqué un convoi de camions-citernes stationnés dans la
ville de Shikarpur dans le sud de la province de Sind. Les insurgés ont tiré
dans les airs pour mettre en garde les conducteurs et ont ensuite mis le feu
aux véhicules, détruisant 27 de ces véhicules. C’était la première
embuscade de la sorte dans cette partie de la province de Sind.
Plus tard vendredi, des militants armés ont mis le feu à
deux véhicules de l’OTAN dans la ville de Khuzdar au sud-ouest, dans la
province du Baluchistan.
Les camions ciblés dans chacune des attaques suivaient la
route partant de la ville portuaire de Karachi jusqu’au passage
frontalier à Chaman, lequel connecte à la route de Kandahar, la deuxième plus
grande ville de l’Afghanistan et un bastion taliban de longue date. La
semaine dernière, les États-Unis ont lancé leur plus grande offensive militaire
à Kandahar et ses environs depuis l’invasion en 2001.
Le régime pakistanais n’a pas fermé le passage
frontalier de Chaman aux convois de l’OTAN et des États-Unis. Au point de
passage du nord de la ville de Torkham, toutefois, les autorités locales ont
mentionné que quelque 400 camions de l’OTAN faisaient la queue vendredi.
L’endroit que les insurgés ont choisi pour attaquer
laisse supposer une stratégie délibérée visant à perturber l’approvisionnement
arrivant par l’unique route menant à Kandahar encore ouverte. Cela
viendra aggraver les problèmes que confrontent les forces d’occupation en
conséquence de la fermeture de la route du nord.
Autre signe de l’expansion de l’insurrection au
Pakistan, la police a rapporté jeudi que 200 militants ont capturé une douzaine
de policiers, tenant ces derniers en otage dans ce que la presse a décrit comme
le « normalement placide » district de Chitral près de la frontière
afghane.
L’escalade des opérations militaires de Washington au
Pakistan a augmenté les tensions entre les deux pays tout en compliquant la
crise déjà aiguë du gouvernement du président Asif Ali Zardari. Ce dernier a
tacitement accepté les attaques par drones de la CIA dans les régions bordant
l’Afghanistan, mais a tenté de placer sa limite de tolérance aux
incursions militaires américaines aériennes ou terrestres.
La colère populaire au Pakistan autant contre les
Etats-Unis que contre le gouvernement en poste à Islamabad, qui est de plus en
plus méprisé et vu comme une marionnette de Washington, a été exacerbée par les
plus récentes attaques américaines. Les troubles augmentent aussi par rapport à
l’échec du gouvernement à fournir une aide aux millions de Pakistanais
qui ont dû être déplacés en raison des inondations de cet été.
Au même moment, les Etats-Unis augmentent leurs pressions
sur Zardari et l’armée pakistanaise — c’est en partie le but
des récentes attaques militaires — pour étendre leur offensive contre les
forces anti-gouvernement et anti-américaines des régions tribales dans le
Waziristan du Sud et le Waziristan du Nord, deux régions que les Etats-Unis
désignent comme étant la base centrale des opérations des talibans le long de
la frontière afghane.
Vendredi, l’ambassadeur pakistanais en Belgique a
officiellement signifié à l’OTAN, dont le siège social se trouve à
Bruxelles, le mécontentement du Pakistan devant les incursions de l’OTAN
et des Etats-Unis dans son pays. Le premier ministre Youssouf Raza Gilani a dit
au parlement pakistanais que le gouvernement « considérerait
d’autres options s’il y a de l’ingérence dans la souveraineté
de notre pays ».
Le New York Times a rapporté dans son édition de
vendredi qu’un haut responsable du renseignement pakistais avait dit que
les violations des frontières pouvaient en venir « à l’effondrement
total des relations » entre Islamabad et Washington. Au même moment,
d’autres articles soulevaient les tentatives de résoudre les tensions en
établissant une enquête conjointe sur les frappes américaines.
En 2008, le Pakistan a fermé sa frontière pendant plusieurs
jours après qu’un avion américain ait bombardé un poste pakistanais dans
la région tribale de Mohamand. Onze Pakistanais avaient trouvé la mort dans cet
incident.
Dans la presse américaine des derniers jours, de nombreux
articles ont porté sur le mécontentement grandissant du gouvernement américain
et de l’armée pakistanaise envers le régime Zardari et sur les
discussions ayant lieu au sujet d’une intervention des généraux
pakistanais pour purger le gouvernement et pour possiblement démettre Zardari
lui-même.
Le Washington Post de jeudi citait sans les nommer,
des responsables américains discutant ouvertement de coup soutenu par
l’armée. « Les responsables américains », écrit le journal,
« ont indiqué qu’ils ont commencé à étudier un changement, qui
prendrait la forme d’une démission de M. Zardari, de la dissolution du
gouvernement ou d’un appel pour de nouvelles élections respectant la constitution. »
« D’autres suggèrent plutôt qu’un nouveau
gouvernement plus populaire et bénéficiant d’un fort appui de
l’armée pourrait être en meilleur position de soutenir les politiques
américaines… « Le meilleur résultat dans la situation actuelle serait
que l’armée tire avantage de l’instabilité d’une façon qui ne
serait pas mauvaise, en se débarrassant d’un paquet de dirigeants
corrompus » a déclaré le responsable. »