Les dirigeants syndicaux ont été chassés d’une
réunion à Johannesburg, Afrique du Sud, après avoir dit aux travailleurs du
secteur public en grève que leur grève de trois semaines était terminée. Cet
incident illustre parfaitement l’aggravation du conflit international
entre la classe ouvrière et les appareils syndicaux.
Les syndicats sud-africains de la fonction publique ont
accepté une offre salariale du gouvernement qui représente la moitié de ce qui
avait été offert aux travailleurs au début de la grève.
Ils essaient d’imposer à leurs membres un accord, après une grève
prolongée au cours de laquelle les travailleurs ont été confrontés à des
attaques de la police, au déploiement de soldats armés dans les hôpitaux et à
des injonctions contre la grève.
« Les membres sont en colère et veulent se rendre au
bureau national pour brûler leurs cartes d’adhérents en signe de
protestation, » a dit à des reporters après la réunion Ndiitwani Ramarumo,
un membre du syndicat national de l’éducation, de la santé et des
secteurs connexes (Nehawu).
Un responsable syndical qui n’a pas voulu être nommé
a dit, « Nous subissons un fort retour de bâton de la part de nos membres
qui ne sont pas d’accord avec la décision de la direction de suspendre la
grève. »
« Nombreux sont ceux qui disent que nous leur avons présenté un projet voué à l’échec, » a
poursuivi le responsable.
Les syndicats ont suspendu la grève au moment où la vague
de combativité risquait de s’étendre à d’autres sections de
travailleurs. Les membres du syndicat national des métallurgistes
d’Afrique du Sud (NUMSA) sont en grève pour revendiquer une hausse de 15
pour cent du salaire. Ils ont défilé jeudi dans Port Elizabeth pour adresser un
mémorandum aux associations patronales de l’industrie automobile et
pétrolière.
Les mineurs des mines de platine qui adhèrent au Syndicat
national des mineurs (NUM) sont en grève depuis le 23 août.
Même des sections de la police et de l’armée
discutent de la possibilité de se joindre à la grève des travailleurs du secteur
public. Ils n’en ont été empêchés que lorsque le gouvernement a obtenu
une injonction leur interdisant toute participation.
Ce qui avait débuté comme une série de grèves revendiquant
une augmentation annuelle des salaires s’est rapidement transformée en un
mouvement traduisant les tensions qui se sont accumulées dans la société
sud-africaine. Les syndicats agissent dans le but d’empêcher que la grève
des 1,3 million de travailleurs du secteur public ne devienne le foyer
d’une grève générale. Un tel mouvement pourrait établir un lien avec le
mécontentement social éprouvé par les nombreux travailleurs non organisés dans
les townships et qui ne cessent de manifester de plus en plus fréquemment
contre l’incapacité du gouvernement de fournir des services essentiels.
Les syndicats se sont empressés de mettre fin à la grève
dès qu’il est devenu évident que le gouvernement ne pourrait la maîtriser
au moyen d’une campagne diffamatoire dans la presse et de répression dans
la rue. Ils ont agi tout au long comme le principal pilier du gouvernement du
Congrès national africain (ANC) durant cette grève.
La Fédération syndicale sud-africaine, la COSATU, était
contre la grève dès le début. La grève avait été repoussée jusqu’après la
Coupe du Monde pour éviter de mettre le gouvernement dans l’embarras et
la COSATU ne l'a soutenue qu’à contrecœur
lorsque la fédération syndicale plus petite, le Congrès indépendant des
travailleurs (Independent Labour Congress), a été obligée d’appeler au
débrayage en raison de la colère de ses membres.
Le secrétaire général de la COSATU, Zwelinzima Vavi, a eu
recours à sa rhétorique la plus à gauche possible afin de maintenir le contrôle
de la grève. Il a dénoncé les ministres du gouvernement et menacé de soustraire
le soutien du syndicat au président Jacob Zuma lors des élections de
l’année prochaine. Il a mis l'accent sur la manière dont le fils de Zuma,
Duduzan Zuma, a tiré profit d’un accord de partenariat avec Arcelor
Mittal et a indiqué l’émergence d’une « élite
prédatrice » au sein de l’ANC, avec la création d'une couche
d’hommes d’affaires riches grâce au programme de
« responsabilisation économique noire » (Black Economic Empowerment).
La rhétorique de Vari a réussi à maintenir la COSATU à la
direction de la grève, position qu’elle a utilisée pour mettre fin à la
grève. Bien que frustrés et en colère, de nombreux travailleurs reprennent le
travail.
Cette trahison souligne le rôle universel joué par les
syndicats officiels comme adversaires de la lutte des classes et comme agents
du patronat et de l’Etat en imposant des attaques à l’encontre de
leurs membres.
L'idée directrice de la politique de la COSATU ainsi que
du Parti communiste d’Afrique du Sud est de nourrir l'illusion que leur
partenaire gouvernemental, l’ANC, a toujours un caractère progressiste.
Les syndicats sont étroitement liés à l’ANC depuis le début de la lutte
contre l’apartheid. Mais, le vernis progressiste accordé à ce lien a été
totalement révélé au grand jour depuis l’arrivée au pouvoir de l’ANC
nationaliste bourgeois.
Tant que l’ANC était à la tête du mouvement contre
l’apartheid, il pouvait être présenté comme un défenseur de la cause de
la population laborieuse même si son programme était explicitement capitaliste.
A présent qu’il est au pouvoir et qu’il lutte pour la réussite du
développement de l’économie capitaliste, le conflit fondamental entre lui
et la classe ouvrière a ressurgi pleinement.
Ce n’est pas simplement une question de
« corruption » personnelle si le fils de Zuma ou si
d'autres membres dirigeants de l’élite politique profitent
d’accords avec des entreprises étrangères. C’est bien plutôt
l'expression de la relation qui existe entre la nouvelle bourgeoisie noire,
représentée par l’ANC, et l’impérialisme mondial.
Pour ce qui est de la bureaucratie syndicale, de par son
rôle au sein du gouvernement et ses relations étroites avec la direction des
entreprises, elle occupe une position lui conférant un privilège considérable
et qu’elle est déterminée à défendre à tout prix contre la menace
d’en bas. Comme le montre clairement la carrière faite par l’ancien
dirigeant du syndicat des mineurs et le leader de la COSATU, Cyril Ramaphosa,
ce ne sont pas seulement quelques-uns qui ont réussi à échanger avec succès un
poste syndical et d’étroites relations avec les staliniens contre un
poste politique de haut rang dans l’ANC et une carrière dans les
affaires.
L’International Socialists, le magazine sud-africain
Amandla et d’autres groupes politiques petits bourgeois ont
déclaré que l’offre gouvernementale représentait un repli et même une
victoire partielle pour les travailleurs. Ils critiquent les dirigeants de la
COSATU pour tel faux pas ou telle erreur, une mauvaise tactique par ci ou une
approche trop prudente par là. Ils vont même jusqu’à dire que le fait de
suspendre la grève était « révoltant. »
Mais, fondamentalement ils pensent – et veulent que
les travailleurs pensent – que les syndicats peuvent être ramenés à la
vie et qu’ils sont les seules organisations qui ont le droit de mener la
classe ouvrière. Ce qui signifie maintenir l’assujettissement de la
classe ouvrière à l’ANC, le temps de rechercher vainement une faction ou
une tendance quelconque capable de pouvoir passer comme une représentation
progressiste et potentielle des intérêts des travailleurs.
Le bilan de la COSATU en ce qui concerne cette grève est
un témoignage de la nature même du syndicalisme. La fédération syndicale, selon
ses propres dires, la plus « combative » du monde, s’est rangée
du côté des représentants du capital contre la classe ouvrière au cours d'une
grève qui a mobilisé plus d’un million de travailleurs dans un conflit
ouvert avec le pouvoir de l’Etat. C’est une expérience d’une
signification internationale pour la classe ouvrière.
Durant ces dernières décennies, au fur et à mesure que
l’économie mondiale s’est de plus en plus intégrée, les syndicats
n’ont pas été en mesure de remporter des réformes ou des améliorations
mêmes les plus modestes des conditions sociales de la classe ouvrière. Les
quelques travailleurs plus qualifiés qui ont réussi à négocier une hausse des
salaires dépassant de quelques points de pourcentage le taux officiel de
l’inflation, en verront l'érosion au fil du temps.
Pour la grande majorité de la classe ouvrière, les
syndicats ne sont plus pertinents. La bureaucratie est royalement indifférente
à la souffrance, à la dégradation des conditions sociales et à la hausse du
chômage, ce qui est le sort des travailleurs. Au lieu de cela, les syndicats
agissent comme les partenaires des gouvernements pour imposer davantage de
mesures d’austérité pour que les grandes banques et les grands groupes
puissent maintenir leurs profits au lieu de la crise économique mondiale.
Les travailleurs et les jeunes dans le monde entier
doivent tirer les enseignements de l’expérience de la grève sud-africaine
dans le service public. Elle montre clairement la nécessité urgente de rompre
avec les syndicats pour construire de nouvelles organisations de lutte
de classes et d’une nouvelle direction politique sur la base d’une
perspective socialiste internationaliste.