Au cours du mois dernier, plus d'un cinquième du territoire pakistanais
et près d'un quart de ses terres arables ont été submergés par des
inondations ce qui a crée une crise humanitaire que des représentants des
Nations Unies décrivent comme la plus importante qu'ait connue
l'organisation durant les 65 ans de son histoire.
On fait état de vingt millions de personnes touchées, que ce soit par
l'inondation de leur logement ou lieu de travail ou la destruction de leurs
récoltes et cheptel. Huit millions de Pakistanais ont besoin de secours
d'urgence, y compris de très nombreuses personnes sur plus d'un million qui
ont été déplacées dans le sud de la province du Sind ces derniers jours.
Le chiffre officiel des victimes dépasse actuellement les 1 600, mais
tout le monde concède qu'il sera bien plus élevé une fois que les eaux se
seront retirées et que sera révélée l'entière étendue de la destruction.
Les Nations Unies et les agences internationales d'aide avertissent que
littéralement des millions de personnes sont en danger de mort du fait du
choléra et d'autres maladies véhiculées par les eaux, et de la faim étant
donné que les efforts de secours organisés par le gouvernement n'ont fourni
d'eau potable et d'abri qu'à une portion minuscule des personnes touchées.
Nous avons affaire à une calamité de dimension monumentale. Et pourtant
pour les bourgeoisies nationales rivales du Pakistan et de l'Inde, qui sont
pris dans une rivalité militaire et géopolitique réactionnaire depuis la
naissance de leurs Etats, suite à la Partition en 1947 du sous continent, la
vie continue comme si de rien n'était.
Ce n'est qu'après que les inondations ont ravagé le Pakistan pendant plus
de deux semaines que le gouvernement de l'Inde a proposé à Islamabad la
maigre somme de cinq millions de dollars d'aide en « geste de solidarité
avec le Pakistan. »
Il a ensuite fallu une semaine au Pakistan pour prendre la mesure de
cette offre, se référant aux « sensibilités en jeu. » Il a fallu un coup de
fil du premier ministre indien à son homologue pakistanais et des appels de
pieds publics de Washington pour faire en sorte que le Ministre des Affaires
étrangères pakistanais Shah Mahmood Qureshi annonce que son gouvernement
accepterait la proposition d'aide de New Delhi.
Tout ce tra-la-la diplomatique sur la petite cuillérée d'aide pour les
travailleurs victimes des inondations du Pakistan n'a pas provoqué beaucoup
de commentaires dans la presse, que ce soit en Inde ou au Pakistan. Les
médias de ces deux pays ont une longue histoire consistant à se faire l'écho
ou à amplifier les déclarations nationalistes ou communautaristes des
politiciens, faisant porter la responsabilité pour quelque problème
politique ou social qui soit, sur la « main cachée » de l'éternel rival.
Mais la rivalité Inde-Pakistan et la Partition sont vraiment à la source
de la tragédie actuelle.
Défiant toute logique socio-économique, historique et culturelle, le
sous-continent avait été divisé en 1947 par les grands seigneurs coloniaux
britanniques quittant l'Inde et les politiciens bourgeois de l'Indian
National Congress (Congrès national indien) et la Muslim League (Ligue
musulmane) en un Pakistan musulman et une Inde à prédominance hindoue..
Les frontières artificielles imposées par la Partition ont rendu
impossible une gestion rationnelle des voies d'eau internes de l'Asie du sud
de façon à fournir à tous irrigation, électrification et protection contre
les inondations. En effet, l'eau est l'une des principales pommes de
discorde entre New Delhi et Islamabad, en dépit du traité Indus Waters de
1960 soutenu par la Banque mondiale.
En Inde comme au Pakistan, l'élite dirigeante n'a pas développé
d'infrastructure publique de base, préférant gaspiller des ressources
vitales dans la guerre et les armements, dont les armes nucléaires. L'Inde
et le Pakistan ont combattu trois guerres déclarées et, il y a moins d'une
décennie, se sont trouvées au bord d'une quatrième.
La Partition est traitée par les élites dirigeantes de l'Inde et du
Pakistan comme « une douleur d'enfantement » de l'émergence d'une « Inde
démocratique » et d'une « patrie nationale pour les musulmans de l'Asie du
sud. » Ceci ne fait que souligner leur indifférence brutale à l'égard des
masses d'Asie du sud, indépendamment de leur origine ethnique, leur religion
ou leur caste.
La conséquence immédiate de la Partition fut un bain de sang
communautaire massif qui se solda par la mort de quelque deux millions
d'Hindous, Sikhs et Musulmans et le déplacement forcé de 14 millions de
personnes, la plus importante migration de masse de l'histoire humaine.
La Partition a défini et définit toujours la « liberté » et
« l'indépendance » incarnée dans la bourgeoisie indienne et pakistanaise.
Loin d'être une aberration, ce n'était que la conséquence la plus sanglante
et la plus immédiatement apparente de la répression politique du mouvement
de masse anti-impérialiste qui a convulsionné l'Asie du sud dans la première
moitié du 20e siècle.
L'Indian National Congress ( Congrès national indien) dirigé par Mahatma
Gandhi et Jawaharlal Nehru se sont présentés comme les victimes innocentes
d'une Partition soi-disant orchestrée par les Britanniques et la Muslim
League. Mais si les dirigeants bourgeois du Congrès ont trahi leur propre
idéal d'une Inde laïque démocratique unissant tous les peuples du sous
continent c'est parce qu'ils étaient hostiles et organiquement incapables
d'organiser une lutte pour unifier l'Asie du sud par la base au moyen d'un
appel aux intérêts de classe communs des travailleurs et des paysans du sous
continent.
Au contraire, la vague montante des luttes de la classe ouvrière et des
paysans dans l'Inde d'après la Seconde guerre mondiale et la dissension
évidente entre les rangs de l'Armée indienne britannique ont convaincu les
dirigeants du Congress qu'il était nécessaire qu'ils prennent le contrôle de
l'Etat colonial immédiatement pour empêcher toute révolution sociale.
Après l'indépendance, ces régimes rivaux ont consolidé le régime de la
bourgeoisie aux dépens des masses, empêchant une révolution agraire,
protégeant la richesse des princes et réprimant l'agitation ouvrière.
Six décennies plus tard, les bourgeoisies rivales de l'Inde et du
Pakistan ont prouvé leur totale incapacité à résoudre quelque question
démocratique et sociale brûlante confrontant les travailleurs d'Asie du sud.
La moitié des pauvres de la planète vit dans le sous continent. Il n'existe
dans aucune autre région du monde une proportion plus importante de
population souffrant de malnutrition. Ni l'Etat indien ni l'Etat pakistanais
ne dépensent plus de 5 pour cent de leur PIB pour l'éducation ou la santé.
En accord avec la logique réactionnaire de la Partition et la rivalité
indo-pakistanaise, il n'existe aucune région au monde qui soit moins
intégrée économiquement.
Incapables de fournir une quelconque solution progressiste à la crise du
régime capitaliste en Asie du sud, les bourgeoisies indienne et pakistanaise
ont de plus en plus recours au communautarisme, au nationalisme ethnique, à
la discrimination par castes et à l'intégrisme religieux pour diviser les
masses.
La Partition était et demeure un mécanisme pour la domination
impérialiste de la région. La bourgeoisie pakistanaise a rapidement accepté
la proposition de Washington de servir « d'Etat de ligne de front » dans la
confrontation américaine avec l'Union soviétique durant la Guerre froide. A
maintes reprises, les Etats-Unis ont étayé des dictatures militaires au
Pakistan et plus récemment celle du Général Pervez Musharraf. Avec des
conséquences dévastatrices pour les Afghans et les Pakistanais, les
Etats-Unis s'étaient faits les partenaires du dictateur pakistanais le
général Zia-ul Haq dans les années 1980 pour organiser et armer l'opposition
fondamentaliste islamique au régime pro-soviétique en Afghanistan.
Aujourd'hui, défiant les sentiments de son propre peuple, le gouvernement
pakistanais est en train de jouer un rôle pivot avec son soutien à
l'occupation de l'Afghanistan par les Etats-Unis et l'Otan.
La bourgeoisie indienne avait affiché une prétendue « indépendance » par
rapport à Washington durant la plus grande part de la Guerre froide. Mais ce
conflit ne consistait en rien de plus qu'à gagner une plus grande marge de
manoeuvre et les termes de sa relation de subordination à l'impérialisme
mondial. Durant la dernière décennie, tandis que les Etats-Unis ont conduit
des guerres d'agression en Afghanistan et en Irak, la bourgeoisie indienne a
forgé un partenariat « stratégique mondial » avec Washington.
Durant la guerre froide, les Etats-Unis ont contribué à perpétuer et
manipuler le conflit indo-pakistanais dans la poursuite de leurs propres
intérêts prédateurs. Ils ont récemment cherché à amoindrir les tensions
entre New Delhi et Islamabad. D'où leur pression sur Islamabad pour que ce
dernier accepte la maigre pitance de fonds d'aide après les inondations, que
New Dehli a proposée.
Mais de telles actions ne sont motivées que par les calculs stratégiques
actuels des Etats-Unis. Ils ont besoin du soutien du Pakistan en Afghanistan
et veulent qu'Islamabad utilise les troupes déployées sur sa frontière est
avec l'Inde afin d'intensifier la guerre contre-insurrectionnelle contre les
forces anti-occupation à l'intérieur du Pakistan.
Washington n'a pas ménagé ses efforts pour faire échouer les projets d'un
« pipeline de la paix » qui transporterait le gaz naturel d'Iran au Pakistan
puis en Inde, parce que cela minerait sa campagne pour isoler économiquement
l'Iran. De même, les Etats-Unis ont ignoré les avertissements pakistanais
selon lesquels l'accord nucléaire civil entre l'Inde et les Etats-Unis
pourraient déclencher une course à l'armement nucléaire en Asie du sud parce
que Washington est très désireux de courtiser l'Inde comme partenaire
stratégique et contrepoids à la Chine.
Six décennies d'indépendance ont démontré l'incapacité de la bourgeoisie
indienne et pakistanaise à accomplir les tâches fondamentales de la
révolution démocratique, à savoir la liquidation de la propriété terrienne,
l'abolition de l'oppression de caste, la séparation de l'Eglise et de l'Etat,
l'unification et l'indépendance nationale. Ces tâches d'une grande urgence
ne se réaliseront que sur la base de la perspective de la Révolution
permanente, c'est à dire faisant partie d'une lutte contre le capitalisme,
menée par la classe ouvrière et qui inclut tous les travailleurs et les
opprimés.
En Asie du sud, un élément clé de la perspective de la Révolution
permanente est le combat par les masses pour liquider la Partition de 1947,
en mettant en place des Etats socialistes unis de l'Asie du sud.