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WSWS : Nouvelles et analyses : Asie

Piyaseeli Wijegunasingha, trotskyste sri lankaise, meurt à l'âge de 67 ans

Par le Socialist Equality Party
14 septembre 2010

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C'est avec le sentiment d'une grande perte que nous informons de la mort prématurée de la camarade Piyaseeli Wijegunasingha qui était membre du Socialist Equality Party (SEP), la section sri-lankaise du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI). Piyaseeli fut trotskyste durant toute sa vie adulte, elle était une scientifique marxiste et une combattante pour les intérêts de la classe ouvrière internationale.


Piyaseeli est morte le jeudi 2 septembre au matin à la suite d'une défaillance de ses organes vitaux après une intervention chirurgicale pour un cancer du sein. Elle avait suivi pendant plusieurs années un traitement pour ce cancer et dans l'intervalle elle avait souffert de plusieurs autres maladies. Elle n'avait que 67 ans.

Piyaseeli était la femme et la compagne de Wije Dias, le secrétaire général du SEP. Elle laisse derrière elle un fils de 42 ans, Keerthi Ranaba Wijegunasinghe, une belle-fille, Anjana, et une petite-fille de sept mois, Janarthi.

Tous ceux qui connaissaient Piyaseeli, qu'ils soient membres du parti, collègues de travail ou étudiants de l'université de Colombo, qu'ils fassent partie de ses amis ou de sa famille, appréciaient son caractère chaleureux, sa culture et sa dignité. Elle s'est montrée exigeante vis-à-vis de toute une génération d'étudiants qu'elle a éduquée dans l'étude de la littérature, qui était sa passion intellectuelle. Même ses ennemis politiques et universitaires la traitaient avec respect.

Pour les camarades du parti, Piyaseeli était une hôtesse généreuse ; pour eux sa maison était toujours grande ouverte. Elle était généralement réservée, mais elle pouvait à l'occasion être encouragée à jouer dans des pièces de théâtre et à chanter de sa belle voix. Outre son amour pour la littérature, elle était amatrice de beaucoup de sortes de musique, dont Beethoven.

Piyaseeli est née le 20 février 1943 dans le village de Hapagula près de Galle, dans le Sud du Sri Lanka. Elle fréquenta l'école du village de Mahamodera avant d'entrer au collège de filles de Southland à Galle qui, se rappelait-elle toujours, fit une très forte impression sur elle. Là, on l'introduisit à la littérature anglaise et c'est là qu'elle prouva d'abord ses capacités intellectuelles et rhétoriques, en tant que dirigeante du cercle de débats de l'école.

Mais la vie de Piyaseeli fut surtout marquée par le trotskisme. Elle entra dans la politique en tant que jeune étudiante à l'université de Peradeniya et devint en 1965 une des dirigeantes des protestations étudiantes contre le manque de logements adéquats. La police réprima les manifestations à coup de matraque et de gaz lacrymogène. Piyaseeli fut suspendue de l'université pour trois mois, avec d'autres étudiants, parmi lesquels se trouvait aussi le président du syndicat étudiant, Wije Dias, qui devint à l'époque son compagnon.

Wije Dias faisait partie d'un groupe de jeunes gens radicalisés politiquement et cherchant à comprendre la trahison historique du trotskisme par le LSSP (Lanka Sama Samaja Party) en 1964. Celui-ci était entré dans le gouvernement bourgeois de Madame Sirima Bandaranaike. Cet abandon fondamental des principes de l'internationalisme socialiste était le produit d'une tendance opportuniste internationale, conduite par Michel Pablo et Ernest Mandel, et qui avait sanctionné des années de désertion politique de la part du LSSP.

Le CIQI avait été fondé en 1953 afin de s'opposer à l'opportunisme pabliste. Tirant les leçons des luttes menées par le CIQI, la Revolutionary Communist League (RCL) fut fondée en 1968 en tant que sa section sri-lankaise, sous la direction de Keerthi Balasuriya. Wije était un des membres fondateurs de la section et Piyaseeli devait adhérer peu après.

En 1967, Piyaseeli avait épousé Wije et la même année elle était devenue maître-assistante à l'université de Colombo. Wije prit un poste similaire l'année suivante lorsque leur fils Keerthi est né. En 1969, Piyaseeli et Wije partirent pour l'Angleterre afin de poursuivre leurs études. Piyaseeli obtint un diplôme de littérature anglaise à l'université de Leeds.

En Angleterre, Piyaseeli était membre de la section anglaise du CIQI, la Socialist Labour League (SLL), qui avait joué le rôle principal dans la lutte contre la réunification sans principe du SWP américain (Socialist Workers Party) avec le camp pabliste en 1961-1963. Plus tard, elle devait se souvenir que sa participation aux campagnes et aux camps éducatifs de la SLL avait renforcé ses conceptions internationalistes.

Wije et Piyaseeli retournèrent au Sri Lanka en 1972 après les turbulences politiques qui avaient suivi l'installation du second gouvernement de coalition Bandaranaike qui avait déployé l'armée en 1971 pour écraser un soulèvement armé de la jeunesse rurale cingalaise dirigé par le JVP (Janatha Vimukthi Peramuna). On estime que les forces de sécurité tuèrent alors 15.000 jeunes.

La RCL défendit le JVP contre la répression d'Etat, malgré ses différences fondamentales avec la politique de nationalisme cingalais et de guérilla du JVP. En conséquence, les journaux de la RCL furent interdits ; deux de ses membres furent tués alors qu'ils se trouvaient en garde à vue. La RCL continua cependant sa campagne contre l'extension de la chasse aux sorcières menée par le gouvernement.

En 1973, Piyaseeli joua un rôle prédominant dans la défense par le parti d'artistes connus qui se montraient critiques vis-à-vis de la coalition gouvernementale et dont les oeuvres avaient été interdites ; parmi elles The Dead Rise Again, de Damma Jagoda, Puslodan de Simon Navagaththegama et Wessanthara de Saman Susiri. La position de principe prise par le parti lui valu un grand respect, entre autres de la part des artistes eux-mêmes.

Piyaseeli écrivait sous le nom de plume de Manel Hapugala pour le journal du parti dans le domaine de l'art et de la littérature, auquel s'intéressait aussi le secrétaire général de la RCL, Balasuriya. Elle participait et jouait aussi dans des pièces montées par la RCL sur des questions politiques, parmi lesquelles une pièce qui montrait le rôle du stalinisme et examinait les infâmes procès de Moscou.

Dans son travail en tant que professeur d'université, Piyaseeli développa une approche marxiste, c'est-à-dire matérialiste de la littérature et de la critique littéraire. Son premier livre, Une étude matérialiste de la littérature, publiée en 1982, se penchait sur l'idéalisme philosophique et les conceptions religieuses qui dominaient la critique littéraire au Sri Lanka. « De nombreux critiques bourgeois au Sri Lanka ont basé leurs méthodes de critique sur des concepts idéalistes développés par l'école Rasavada [en Inde]. Le présent travail comprend une critique de nombreuses conceptions courantes du point de vue de la conception matérialiste dialectique », écrivait-elle dans la préface de ce livre.

Ediriweera Sarachchandra, une autorité littéraire de premier plan dont le travail avait été critiqué dans ce livre avait déclaré que Piyaseeli ne connaissait rien de la philosophie. Elle répondit par un second livre, Une étude marxiste de la critique littéraire sri-lankaise moderne, démasquant plus encore la pauvreté de la méthode philosophique de Sarachchandra et développant une critique du travail de deux autres écrivains sri-lankais connus, Martin Wickramasinghe et Gunadasa Amarasekara.

Les conséquences terribles de la trahison du LSSP en 1964 et de son adaptation au chauvinisme cingalais devinrent visibles à la suite de la défaite du gouvernement Bandaranaike en 1977. Le gouvernement droitier de l'UNP (United National Party) dirigé par J.R. Jayawardene se tourna vers les restructurations pro-marché et une ouverture de l'île à l'investissement étranger. En réponse à l'opposition grandissante à cette politique, Jayawardene attisa le chauvinisme anti-tamoul afin de diviser la classe ouvrière, pour finalement s'engager en 1983 dans la longue et acerbe guerre civile contre les LTTE (Tigres de libération de l'Eelam Tamoul).

Ces années furent particulièrement difficiles pour la RCL. En Grande-Bretagne, le successeur de la SLL, le WRP, qui avait été constitué en 1973, avait lui-même commencé à battre en retraite politiquement, s'adaptant précisément à la politique contre laquelle il s'était battu avec tant d'énergie au début des années 1960. Du fait de son autorité politique dans le mouvement international, cela eut un impact destructeur sur toutes les sections du CIQI, y compris sur la RCL. Mais en 1982, la Workers League des Etats-Unis commença une lutte politique contre l'opportunisme de la direction du WRP, qui culmina dans la scission de 1985-86. Dans la scission avec le WRP, Piyaseeli resta fermement avec la RCL et le CIQI et, à la suite de la scission, elle contribua à la renaissance du marxisme dans le mouvement trotskyste international.

De façon tragique, Keerthi Balasuriya mourut subitement d'une crise cardiaque en décembre 1987, à l'âge de 39 ans. Dans ces circonstances difficiles, Wije Dias prit la responsabilité de diriger la RCL en devenant son nouveau secrétaire général. Bien qu'engagée dans son propre travail, Piyaseeli fut une source constante de soutien.

La guerre civile sri-lankaise s'intensifiant Jayawardene fut forcé en 1987 d'accepter un accord de paix, connu sous le nom d'entente indo-lankaise et qui fut négocié par le gouvernement indien. Le JVP réagit à cet accord par une virulente campagne communaliste, dénonçant l'entente comme une trahison de la nation. Des bandits armés du JVP assassinèrent des centaines d'adversaires politiques, de syndicalistes et d'ouvriers, parmi lesquels trois membres de la RCL qui avaient refusé de soutenir sa campagne chauvine. Face à la terreur incessante du JVP et celle de l'Etat, Wije Dias et d'autres membres dirigeants de la RCL allèrent dans la clandestinité et Piyaseeli les y rejoignit.

Dans les années 1990, Piyaseeli a mené une importante polémique contre le professeur Sucharitha Gamlath, qui avait été membre de la RCL et avait écrit sur la critique littéraire. Gamlath avait quitté le parti indiquant qu'il soutenait la déformation de la philosophie marxiste proposée par le leader du WRP, Gerry Healy. Il se mit à attaquer les livres précédents de Piyaseeli, ce à quoi elle répondit par un troisième livre, Une réponse à Sucharitha Gamlath: principes marxistes sur la critique d'art, publié en 1995.

Dans son quatrième livre, Le dieu des petites choses: un examen et une réponse, Piyaseeli défendit une nouvelle fois les principes du marxisme. Sucharitha Gamlath avait objecté à son examen du roman « The god of small things » (Le dieu des petites choses) de l'auteur indien Arundhathi Roy, disant qu'elle n'était pas critique. Dans sa longue réponse, Piyaseeli a montré la relation existant entre la politique opportuniste de Gamlath et son approche superficielle de la critique littéraire. Il avait donné trop d'importance aux limitations politiques de Roy sans considérer suffisamment ses vues importantes sur la société indienne.

Les travaux de Piyaseeli ont eu une influence considérable. Elle a contribué de façon importante à la fondation d'un cours de critique littéraire marxiste à l'université de Colombo et a été promue à la position de professeur et de chef du Département de littérature cingalaise en 1997. Poste qu'elle occupa jusqu'à sa retraite en 2009.

En même temps, Piyaseeli a traduit en cingalais un certain nombre de textes fondamentaux du mouvement trotskyste dont une partie du livre de Léon Trotsky, En défense du marxisme ; L'Héritage que nous défendons et Gerry Healy et sa place dans l'Histoire de la Quatrième Internationale, tous deux de David North; Le bolchevisme post-soviétique et les artistes d'avant-garde et La composante esthétique du socialisme, de David Walsh. Piyaseeli a aussi contribué au site du World Socialist Web Site avec ses propres articles, se concentrant en particulier sur les films venus du sous-continent indien.

Il y a un peu plus d'un mois, Piyaseeli avait été interviewée sur sa carrière par le journal hebdomadaire Ravaya. L'intervieweur lui a demandé de revenir sur « l'âge d'or » de la critique littéraire au Sri Lanka, incarné par elle-même, Keerthi Balasuriya et le professeur Sucharitha  : « Votre lutte idéologique a produit un grand réveil. Que dites-vous, quand vous revenez en arrière et pensez à cette époque ? »

Piyaseeli a répondu avec la modestie et l'objectivité qui la caractérisaient : « Je ne pense pas qu'on doive ou puisse parler d'une ère d'or de la critique d'art dans ce pays. La critique d'art marxiste se développe sur le plan international. Durant la période récente, il y a eu un progrès sans précédent dans le domaine de la critique d'art, [plus encore] que dans la période que vous appelez la période d'or de la critique d'art marxiste. Aujourd'hui, le véhicule de la critique d'art marxiste est le World Socialist Web Site. »

Cette réponse de Piyaseeli était pénétrée des conceptions internationalistes qui avaient guidé toute sa vie adulte. Elle reflétait aussi son optimisme quant à l'avenir, l'idée que la critique d'art est une partie importante du travail du mouvement trotskyste international pour guider la classe ouvrière dans sa lutte pour façonner un monde juste et humain, basé sur des principes socialistes.

Le SEP salue la mémoire de Piyaseeli Wijegunasingha.

(Article original paru le 6 septembre 2010)

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