La plupart des
commentaires sur la signification du déclassement de la note de crédit des
États-Unis par Standard & Poor's ont minimisé l'importance de cet événement
sur le motif que les États-Unis ne seront jamais en défaut de paiement sur leur
dette. Mais il y a 40 ans aujourd'hui, les États-Unis se sont retrouvés en
défaut de paiement lorsque le président Nixon a paru un dimanche soir à la
télévision pour annoncer au monde que les États-Unis ne pourraient plus honorer
leur engagement consistant à garantir la convertibilité du dollar américain en
or.
Cette décision unilatérale a fait éclater les accords des
Bretton Woods de 1944 qui étaient à la base de la reprise du commerce et des
investissements internationaux après la Deuxième Guerre mondiale. Ces accords
avaient été un fondement clé du boum capitaliste d'après-guerre.
Les accords de
Bretton Woods ont été le résultat de plusieurs années de négociations et de
discussions entre les figures de proue en matière d'économie et de finance aux
États-Unis et en Grande-Bretagne. Des deux côtés, on comprenait très bien que
si la base d'un nouveau système financier international n'était pas établie,
l'économie d'après-guerre retournerait rapidement aux conditions des années
1930, posant ainsi la menace de révolution sociale.
Mais de profonds désaccords régnaient entre les deux
parties. John Maynard Keynes, le principal négociateur britannique, qui avait
bâti sa réputation par sa critique virulente du traité de Versailles de 1919
qui avait mis un terme à la Première Guerre mondiale, était préoccupé par le
maintien de la position économique de la Grande-Bretagne, mais devait reconnaître
la suprématie économique des États-Unis. Keynes proposa qu'une monnaie
internationale, le bancor, soit établie et administrée par une Union
internationale de compensation (International Clearing Union) dont le rôle eût
été de réglementer le commerce.
Cette proposition fut rejetée par l'administration
américaine et son principal négociateur, Harry DexterWhite. Ayant assuré leur
hégémonie sur leurs rivaux capitalistes, les États-Unis n'avaient pas
l'intention de se soumettre à une réglementation internationale comme celle
envisagée par le plan de Keynes. Toutefois, bien que les États-Unis réussirent
à faire du dollar la monnaie mondiale dominante, ils durent faire une
concession en garantissant que tous les dollars à l'extérieur des États-Unis
seraient convertibles en or au taux de 35 dollars l'once. Sur la base de cette
relation dollar-or, toutes les grandes monnaies internationales étaient
rattachées au dollar, et donc entre elles, à un taux fixe. Les relations
économiques à taux de change fixes, ainsi que les efforts pour développer le
libre-échange, visaient à prévenir les dévaluations destructrices des monnaies
qui étaient survenues dans les années 1930.
Les accords de Bretton Woods ont joué un rôle clé dans la
relance de l'économie capitaliste mondiale. Mais le succès même de ces accords
a entraîné l'émergence de nouvelles contradictions.
L'expansion du commerce international et de
l'investissement étranger (dont le capitalisme américain a été l'un des
principaux bénéficiaires) signifiait qu'il devait y avoir une sortie de dollars
continue afin de financer la croissance des besoins de liquidité
internationale. Mais cela aminéla relation entre ledollar et l'or. Lesdollars qui circulaient dansl'économie
mondialeprogressaient à unrythme
plus rapide quel'or détenu parles
États-Unisqui était censéles
soutenir. Ce problèmea commencé
à émergerau début desannées
1960 - ilest dit que rien
n'avait inquiété davantage le président Kennedy que la relation entre le dollar
et l'or - et s'est aggravétout
au longde la décennie.La
quantitéde dollarsà l'extérieurdes États-Unisest passée de5 milliards de dollarsen 1951 à38,5 milliards de dollarsen 1968, soit
quelque 23 milliards $ de plus que les réserves d'or américaines.
La balance des paiements américaine (qui mesure l'entrée
et la sortie totale de fonds) était déficitaire en raison de l'investissement
étranger et des dépenses gouvernementales à l'étranger, particulièrement pour
les guerres de Corée et du Vietnam. Mais de déficit était couvert dans une
certaine mesure par une balance commerciale excédentaire - davantage
d'exportations américaines que d'importations. Toutefois, lorsque la balance
commerciale est devenue négative au début des années 1970, reflétant un déclin
de la position concurrentielle des États-Unis dans le marché mondial, Nixon est
intervenu.
La fin du système de Bretton Woods n'était pas uniquement
un produit du déclin relatif des États-Unis. Elle était aussi l'expression
d'une contradiction irrémédiable du système capitaliste, soit celle entre la
croissance d'une économie mondiale de plus en plus intégrée et la division du
monde en États-nations rivaux.
Tout au long desannées 1960,les
administrations américaines successivesont tentéde maintenir le systèmede Bretton Woodspar l'imposition derèglements limitantle flux de dollars. Maisils étaient sans cessecontrariés parla croissancede ce qui devintconnu comme le marchéeuro-dollar,qui comprenaitles dollarsqui circulaientdans lesystème financier européen hors du contrôlede
tout gouvernement national. Reflétant lafrustration croissanteface à l'incapacitédes gouvernementsnationaux même les
plus puissantspour amenerce
marchésous contrôle, le premier ministre travailliste britanniqueHarold Wilsondénonçait régulièrementles « gnomes deZurich », soit les banquierssuissessupposément à la base de
ce marché.
Tandis que le dollar américain demeurait la monnaie de
réserve mondiale après août 1971, le nouveau système de taux de change
flottants a amené une instabilité croissante dans le système financier mondial.
C'est à partir de ce moment que l'on a commencé à avoir recours de plus en plus
aux instruments dérivés financiers, qui ont joué un rôle crucial dans
l'approfondissement de la crise économique et financière actuelle.
Les produits dérivés, comme les contrats à terme
standardisés, existent depuis longtemps. Mais après l'effondrement du système
de Bretton Woods, l'instabilité des monnaies et des autres marchés financiers
combinée à une intégration toujours plus étroite de l'économie mondiale ont
nécessité le développement d'instruments financiers servant à se prémunir
contre le risque. Les dérivés sont nés pour satisfaire ce besoin, mais ont vite
connu une croissance explosive qui allait bien au-delà de leurs buts premiers.
En 1972, un an après la chute de Bretton Woods, un marché
de contrats à terme de devises fut lancé à Chicago. L'année suivante, une
formule fut développée afin de fixer le prix des options financières et un
marché d'options fut établi. En 1975, la bourse de Chicago a introduit les
premiers taux d'intérêt sur les contrats à terme standardisés. Selon la Banque
des règlements internationaux, les produits dérivés financiers étaient
pratiquement absents en 1973. En juin 2008, à la veille de l'effondrement de
Lehman Brothers, les accords négociés hors cote avaient une valeur de 683,7
trillions de dollars américains, ou 10 fois la valeur de toute la production
mondiale.
La croissance spectaculaire des dérivés financiers lors
des quatre dernières décennies met en évidence un processus analysé par Marx
concernant le crédit. Dans la première phase, écrit-il, le crédit « qui à
ses origines s'introduit sournoisement comme une aide modeste de
l'accumulation », finit par devenir un mécanisme social et financier énorme.
De même, les dérivés entrent en scène en tant que serviteur du capital afin de
le protéger contre le risque, mais finissent par contribuer à créer le plus
grand désastre financier de l'histoire.
L'effondrement du système de Bretton Woods et la
turbulence que cela a produite ont joué un rôle significatif en alimentant les
explosives luttes de classe et luttes sociales au début des années 1970.
Cependant, la classe ouvrière fut bloquée et défaite par les trahisons de sa
propre direction.
Mais ces défaites n'ont pas résolu les contradictions de
l'économie capitaliste mondiale qui a démoli le système de Bretton Woods.
Plutôt, elles se sont intensifiées. Le déclin historique des États-Unis se
poursuit et est maintenant le facteur le plus déstabilisateur de la politique
et de l'économie mondiale, au même moment où la contradiction entre l'économie
mondiale et le système d'État-nation a éclaté sous la forme d'un écroulement du
système financier international.
Cela signifie l'émergence de luttes révolutionnaires,
d'une importance qui va dépasser de loin celles d'il y a quatre décennies. Les
leçons des défaites passées doivent être tirées et la crise de direction de la
classe ouvrière doit être résolue. Cela signifie avant tout de construire le
Comité international de la Quatrième Internationale, le parti mondial de la
révolution socialiste.